Le Québec compte plus de relationnistes-lobbyistes que de journalistes 

2013/09/04 | Par Léo-Paul Lauzon

« Toujours moins de journalistes », tel était le titre de l’article de Stéphane Baillargeon publié dans Le Devoir du 27 juin 2013. Un excellent texte, d’un très bon journaliste, qui aurait dû avoir plus d’impacts. Il présente des données révélatrices, inquiétantes et lourdes de conséquence pour la santé de notre démocratie. Baillargeon souligne que le Québec compte aujourd’hui 4,5 fois plus de relationnistes (13 700) que de reporters (3 000). Tout aussi préoccupant est le fait que le nombre de relationnistes augmente sans cesse et que celui des journalistes diminue. En passant, plusieurs relationnistes sont d’ex-journalistes.

Moins de journalistes rime avec couverture superficielle des phénomènes et quasi-disparition du journalisme d’enquête. Place au sensationnalisme et aux sujets accrocheurs. Fini le temps des journalistes spécialisés dans un domaine. Les patrons les préfèrent polyvalents au maximum, afin de couvrir plusieurs événements de nature différente dans la même journée. Tout en se faisant également photographes.

Tout aussi important pour la démocratie est le pouvoir excessif exercé par les relationnistes. Nombreux et jouissant d’importantes ressources financières, ils peuvent maquiller et déformer les faits, et farcir la cervelle du monde (et des journalistes) au profit de leurs clients avec des campagnes de désinformation qui logent à l’adresse de la démagogie et de l’idéologie.

C’est en mentant, en menaçant, en charriant et en faisant peur au monde qu’ils réussissent à amener l’adhésion ou la résignation à leurs politiques qui, contrairement à leurs prétentions, favorisent principalement, pour ne pas dire seulement, leurs puissant clients et patrons.

Moins de journalistes veut dire aussi que ceux-ci reproduisent souvent tel quel, dans leurs médias écrits et parlés, les communiqués de presse des relationnistes en plus des plogues et des info-publicités financés par les riches détenteurs du pouvoir qui nous sont présentés comme des articles de fond, relevant supposément du journalisme d’enquête.

Ah ben là, vous trouvez que j’exagère!? Pourtant, c’est pas moi qui le dis, mais des journalistes eux-mêmes : «Une majorité de journalistes jugent qu’ils se font manipuler par les relationnistes» (La Presse, 31 mars 1988). C’est encore pire aujourd’hui mes amis.

Quant aux nombreuses plogues, ça ne vient pas de moi, mais d’André Bédard, l’ex-président de la Banque Nationale du Canada, un faiseux de première classe, et qui avait candidement déclaré : «Achetez-vous une couple de bons articles» (Journal de Montréal, 13 novembre 1997). Ce n’était pas bien fin pour les journalistes! Dans ce cas, on peut parler «d’articles clés en main».

Ce même odieux personnage avait suggéré de fermer les régions non rentables et de laisser les démunis se débrouiller seuls (Radio-Canada, 18 avril 1995). Cela n’a pas empêché l’impérial Lucien Bouchard, alors premier ministre péquiste de Québec, de lui décerner l’Ordre national du Québec en 2000 (La Presse, 15 avril 2000). Lulu qui, une fois de plus, a, par ce geste, insulté et méprisé la population. Bon Lulu, qui fait parti d’un comité consultatif du voleur de fonds publics Dessau (La Presse, 22 juin 2013).


De 298 lobbyistes en 2003 à 3 654 en 2012, soit 12 fois plus

Encore une bonne nouvelle pour la santé démocratique de notre beau pays. Au Québec, les lobbyistes, souvent d’ex-politiciens, sont passés de 298 en 2003 à 3 654 en 2012, soit une légère minime augmentation de 1126% en 10 ans.

Ces lobbyistes qui possèdent un pouvoir politique et financier infini et qui ont, en tout temps, un accès illimité et instantané aux ministres, premiers ministres, hauts fonctionnaires, pour leur vendre leur salade. Dans bien des cas, ces derniers sont leurs amis ou leurs ex-collègues. Par ignorance et par intérêt, ils se font ainsi complices des diktats et des directives de la classe dominante.

Les puissants avec leur armée de relationnistes et leur milice de lobbyistes n’ont pas besoin de se faire voir ou de descendre dans la rue pour obtenir gain de cause, Même si plusieurs d’entre eux sont des bandits en bonne et due forme, la police ne court pas après eux. Ils n’iront pas en prison, contrairement aux «radicaux» et aux «extrémistes» qui n’ont que la rue pour se faire entendre.

Alors mes amis, 13 700 relationnistes plus 3 656 lobbyistes au Québec, ça fait un grand total de 17 354 agents au service de la classe dominante, contre seulement 3 000 journalistes dont plusieurs sont malheureusement à leur service. Cela donne donc près de six fois plus de relationnistes lobbyistes que de journalistes. Démocratie vous dites? Et vogue la galère et swingue la baquaise dans le fond de la boîte à bois.

La morale de cette histoire est que protester dans la rue est un geste tout à fait condamnable provenant de gens qui ne respectent pas l’ordre, la loi, les institutions et toute cette merde qui nous est servie par les moralistes profiteurs.

Les lobbyistes et les relationnistes sont quant à eux du ben bon monde qui respectent les lois et les institutions en tout temps, enfin presque tout le temps, et qui travaillent avec acharnement pour le bien commun.

Si, en 2003, il y avait seulement 298 lobbyistes et que leur nombre a explosé à 3 654 en 2012, il faut dire merci aux libéraux de Charest qui ont été au pouvoir durant cette période. «Sentant la victoire, les lobbyistes libéraux se préparent», que titrait un journal du 25 avril 2002. Dans l’évangile, il y a eu le miracle de la multiplication des pains. Sous le règne libéral, il y a eu multiplication planifiée des lobbyistes, de la corruption et de la collusion à vitesse grand V. Le démantèlement de l’État attire toujours son lot de rapaces et de charognards.