Il y a 40 ans… coup d’état au Chili!

2013/09/10 | Par Osvaldo Nuñez

L’auteur est un ex-député du BQ, premier député d’origine latino-américaine élu au Canada.

Ce 11 septembre, le Chili et le million de Chiliens de partout au monde commémorent le 40e anniversaire du sanglant coup militaire qui mettait fin, le 11 septembre 1973, au projet de socialisme démocratique du gouvernement de l’ancien Président Salvador Allende. De plus, la communauté chilienne du Québec célèbre ses 40 ans de présence dans cette nation qui a accueilli avec beaucoup de chaleur humaine et de générosité les quelque 13 000 réfugiés et immigrants provenant du Chili.

Au Canada, et aux États-Unis plus encore, c’est pourtant d’un autre 11 septembre – celui de 2001 – dont les gens se souviennent. Les Chiliens comprennent certainement le drame du World Trade Center. Ils n ‘en demeurent quand même pas moins bouleversés par cette tragédie beaucoup plus grave et beaucoup plus prolongée qui a frappé le Chili et dont le gouvernement américain porte une très grand part de responsabilité.

Le gouvernement d’Allende, élu en 1970, et sa « voie chilienne vers le socialisme » avaient suscité un énorme intérêt en Amérique latine et dans le monde, y compris au Québec. Plusieurs Québécois, dont des syndicalistes tels que Michel Chartrand de la CSN, et Théo Gagné de la FTQ, des prêtres et des jeunes , s'étaient rendus dans ce pays situé à l’autre extrémité du continent pour y connaître, étudier, travailler ou collaborer avec le gouvernement de la coalition de gauche, l’Unité populaire.

Au cours des trois années de gouvernement d’Allende, les réalisations ont été considérables : la nationalisation du cuivre dont les revenus constituaient, selon le Président, « le salaire du Chili »; la réforme agraire, l’éducation universelle et gratuite, la participation des travailleurs dans les entreprises, la hausse importante du taux de syndicalisation et celle du salaire minimum, etc.

Naturellement, ces réformes profondes, prônant la justice sociale et visant à mettre fin aux énormes inégalités, constituaient une menace aux intérêts des plus puissants. La bourgeoisie et les partis de droite ont donc commencé une campagne de déstabilisation du gouvernement: manœuvres institutionnelles, grèves patronales, tentatives de coup d’État, etc. Cette opposition féroce était renforcée et guidée par la CIA et le gouvernement de Richard Nixon qui avait déclaré, en 1970, devant le Conseil national de sécurité des États-Unis: « Nous ne devons pas laisser l’Amérique latine penser qu’elle peut emprunter ce chemin sans en subir les conséquences ». Il a donc poussé l’armée chilienne à intervenir.

Le 11 septembre 1973 survient le coup d'État dirigé par le général Augusto Pinochet. Le Palais présidentiel, où se trouvait le Président, est bombardé par la Force aérienne. Avant sa mort, lors d’un discours radiophonique, Allende déclare : « Ils ont la force, ils pourront nous asservir ; mais on n’arrête pas les mouvements sociaux, ni par le crime ni par la violence ».

Débute alors l’une des dictatures les plus brutales qu’ait connues l’Amérique latine : plus de 3 000 disparus et plus de 30 000 personnes détenues sans mandat et torturées, et des dizaines de milliers d’exilés. Les violations des droits humains ont été permanentes et cruelles pendant les 17 ans de dictature, condamnées à chaque année par l’ONU.

Le régime militaire devient un laboratoire des politiques néo-libérales dans le monde, en réduisant le rôle de l’État, en privatisant les entreprises publiques et en faisant de l’éducation et de la santé de simples marchandises. La pire conséquence de ces politiques a été l’élargissement rapide et considérable des inégalités sociales. Malheureusement, sous plusieurs aspects, les gouvernements de centre gauche des partis de la Concertation pour la démocratie ont poursuivi ce même modèle, ce qui fait que le Chili est le pays le plus inégalitaire des nations membres de l’OCDE.

Devant la pression populaire, à l’approche de ce 40e anniversaire, certains leaders de la droite font leur mea culpa. Même le président actuel, Sebastián Piñera, de droite, a tenu le régime militaire responsable des violations des droits humains en déclarant, il y a quelques jours : « Il y a eu beaucoup de complices passifs qui savaient et n’ont rien fait ou n’ont pas voulu savoir ». Le Président critique également la soumission des juges et des journalistes « qui n’écrivaient pas ce qui correspondait à la vérité ».

Ces déclarations ont mis mal à l’aise la candidate de la droite aux élections présidentielles du 17 novembre prochain, Evelyn Matthei, fille d’un ancien commandant-en-chef de la Force aérienne et membre de la Junte militaire. Elle a déclaré : « Je n’ai pas à demander pardon pour quoi que ce soit. J’avais 20 ans au moment du coup d’État ».

Les tensions au sein de la droite, la grande impopularité du Président et d’autres facteurs placent madame Matthei loin derrière madame Michelle Bachelet dans les intentions de vote. Tout indique que l’ancienne présidente sera réélue aux prochaines élections, avec un programme de réformes plus profondes visant à combattre les inégalités : adoption d’une nouvelle Constitution plus démocratique, implantation d’un système fiscal obligeant les riches et les grandes entreprises à contribuer davantage au trésor public, éducation supérieure gratuite et accessible à tous et modification substantielle du Code du travail et des programmes de sécurité sociale.

Des activités commémorant cet anniversaire se réalisent partout au Chili et dans d’autres pays. À Montréal, les organisations de la communauté chilienne – et à leur tête, l’Association des Chiliens du Québec – tiendront une rencontre publique à la salle du Gesù, au centre-ville, le mercredi 11 septembre 2013, à 19 heures. Ainsi, les Chiliens d’ici exprimeront leur gratitude au peuple québécois pour l’accueil qui leur a été réservé depuis 40 ans, et rendront hommage à Salvador Allende, l’une des figures des plus marquantes du 20e siècle.