Pour un véritable débat sur la laïcité

2013/09/13 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Respectivement président et secrétaire du SPQ Libre

Le SPQ Libre salue l’initiative du gouvernement du Parti Québécois visant à doter le Québec d’une charte de la laïcité. Car, malgré l’appellation « Charte des valeurs », c’est bien d’une charte de la laïcité dont il s’agit. Nous sommes entièrement d’accord avec la perspective dans laquelle s’inscrit cette charte, telle qu’elle a été présentée par le ministre Bernard Drainville, soit de compléter la laïcisation de la société québécoise entreprise au cours de la Révolution tranquille.


La résurgence de la religion

Tous les pourfendeurs de ce projet de charte, dont Gérard Bouchard et Charles Taylor, parlent d’une « solution à un problème qui n’existe pas », d’« une fumée sans feu ».

Pourtant, il n’est pas nécessaire d’avoir mené de longues études sociologiques pour réaliser la résurgence et l’expansion à l’échelle internationale, nord-américaine et canadienne du facteur religieux. À tous les jours, les médias nous montrent, au Moyen-Orient, en Afrique ou ailleurs, des conflits à caractère religieux.

Au Canada, le gouvernement conservateur est au pouvoir grâce à l’appui militant d’une « Christian Coalition », qui regroupe les églises pentecôtistes, évangélistes, catholiques et des organisations de la communauté juive. Avec la création d’un bureau spécial sur la liberté de religion, celle-ci devient, selon l’aveu même du premier ministre Harper, un facteur important dans l’établissement de la politique étrangère du pays.

Au Québec, la question religieuse est réapparue, en grande partie, à la faveur de l’immigration maghrébine, de religion musulmane. Avec les demandes de lieu de prière en milieu de travail et, surtout, le port du voile islamique, les musulmans pratiquants sont devenus une minorité visible bien identifiable.

Au sein de la population québécoise dite « de souche », cette minorité a réveillé de vieilles inquiétudes. D’abord, parce qu’elle représente la pointe visible d’un phénomène extrêmement important, qu’on se garde de débattre publiquement, soit l’arrivée chaque année de 50 000 nouveaux immigrants. Un nombre qui exigerait, de n’importe quelle société « normale » de 8 millions d’habitants, des capacités d’intégration considérables.

Dans le cas de la société québécoise, subsiste dans le subconscient collectif, depuis que Lord Durham en avait fait l’essentiel de son Rapport au lendemain de la Rébellion des Patriotes de 1837-1838, la crainte de politiques d’immigration ayant pour but sa minorisation. À cela s’ajoute un facteur bien réel : le Québec ne possède pas les pleins pouvoirs pour déterminer ses politiques d’immigration et d’intégration des immigrants.


La Charte, un document féministe

L’apparition de signes religieux dans l’espace public fait craindre la remise en question des acquis de la Révolution tranquille au chapitre de la laïcisation. À cet égard, le port du voile islamique est perçu de façon particulièrement négative par les femmes québécoises.

Les reportages de Radio-Canada nous présentent, ces jours-ci, des femmes voilées, détentrices de doctorats, exerçant des professions libérales, qui affirment porter volontairement le voile, sans aucune pression ou contrainte extérieure. Mais les Québécoises ne sont pas naïves. Elles savent bien ce que signifie pour la femme le port du voile islamique. Le Québec a déjà vécu une expérience similaire.

Dans son plus récent livre, Démocratie des urnes et démocratie de la rue (Québec-Amérique), Jean-Marc Piotte décrit bien ce qu’était le Québec des années 1950 : « Institution de l’Index qui interdisait les livres non conformes à l’orthodoxie catholique, port obligatoire d’un couvre-chef pour les femmes dans les églises et interdiction pour les hommes; célébration du mariage où la future épouse devait déclarer sa soumission à son futur époux en échange de sa protection; interdiction du divorce assurant une plus grande liberté aux dominées, les femmes; mariage interreligieux fortement déconseillé, voire proscrit; écoles non mixtes; la sexualité acceptée après le mariage en vue de la seule procréation; condamnation de moyens de contraception efficaces; interdiction de l’avortement; maintien des fils et des filles dans la famille jusqu’à leur mariage; opprobre couvrant l’homosexualité, etc. » Il n’est pas difficile d’y reconnaître plusieurs des préceptes de l’Islam, dont le port du voile islamique se fait le promoteur.

Plusieurs historiens considèrent que le mouvement d’émancipation des femmes a été, à l’échelle mondiale, le mouvement politique le plus important du XXe siècle. Au Québec, une de ses principales réalisations est sans conteste la laïcisation de la société et de ses institutions. Dans ce sens, la charte de la laïcité proposée par le gouvernement Marois est un document féministe, visant à consolider les acquis de la Révolution tranquille.


Un débat qui rappelle celui sur la Loi 101

Que la communauté musulmane soit à l’origine du débat actuel sur la laïcité devrait être affirmé sans gêne. Au cours des années 1960, c’est l’envoi de ses enfants à l’école anglaise par la communauté italienne qui a été le déclencheur du débat linguistique.

Lorsque le Dr Laurin a déposé le Livre blanc sur la langue, à l’origine de la Charte de la langue française, nous avons assisté au même tollé qu’actuellement. Les droits fondamentaux des anglophones et des allophones étaient bafoués, disait-on; les anglophones menaçaient de quitter le Québec (plusieurs l’ont fait); le Parti Québécois était traité de xénophobe et de raciste.

Mais, au terme du débat, le Québec s’est doté d’une charte qui imposait des contraintes à l’utilisation de la langue anglaise, et aux droits des anglophones et des allophones. La charte a établi un certain « équilibre » entre les droits collectifs des francophones et les droits individuels. Il devrait en être ainsi quant à la charte de la laïcité.


Quelle identité? Religieuse ou nationale?

Le débat, auquel nous sommes conviés, devrait être l’occasion de clarifier plusieurs concepts. Ainsi, au cours de l’émission d’affaires publiques du midi à Radio-Canada, lors d’une entrevue avec la présidente du Syndicat de la fonction publique, l’animateur a déclaré qu’on ne pouvait comparer l’expression des opinions politiques à l’expression de la foi religieuse parce que « la religion n’est pas un choix »!

Cette affirmation pourrait être écartée comme pure idiotie, si elle n’était pas reprise sous une autre forme par plusieurs opposants à la charte qui affirment que, pour certaines personnes, « le port de signes religieux fait partie de leur identité ».

Précisons d’emblée que le port de signes religieux n’est pas obligatoire, qu’il est l’apanage des intégristes. Mais la réflexion doit être poussée plus loin et l’association entre religion et identité questionnée.

Au XIXe siècle, les Québécois s’identifiaient comme Canadiens-français catholiques. Pour les ultramontains, qui rêvaient d’instaurer une théocratie sur les rives du Saint-Laurent, l’identité était avant tout catholique.

Avec la Révolution tranquille, nous nous sommes émancipés de la religion et notre identité nationale sera dorénavant définie par la langue, l’histoire, la culture, un territoire, le Québec, et une vie économique qui nous étaient propres.

Au même moment, les peuples du Maghreb suivaient un cheminement similaire avec la décolonisation. De musulmans, ils devenaient Algériens, Marocains, Tunisiens, etc. Le principe de la nationalité primait désormais sur le principe religieux. C’était un immense pas en avant.

Mais, depuis quelques décennies, la roue de l’Histoire s’est mise à tourner à l’envers et le principe religieux a refait surface et a détrôné le principe national. On identifie les peuples de ces régions, et leurs ressortissants qui émigrent au Québec, par leur religion plutôt que par leur nationalité.

Quelles sont les conséquences sur notre propre identité que de légitimer cette substitution? Soyons conscients qu’il existe tout un courant nationaliste de droite au Québec, qui glorifie le Québec d’avant la Révolution tranquille, qui nie la Grande Noirceur, qui cherche à réhabiliter la vieille identité « canadienne-française », et qui pourrait faire sa jonction avec l’Église catholique.

Et que ceux qui pensent que le Québec est définitivement laïque, qu’il n’y a aucun risque d’un retour de l’Église, s’intéressent à l’augmentation du nombre d’écoles religieuses privées catholiques et imaginent un instant l’impact qu’aurait eu la nomination de Mgr Ouellet comme pape.


Pour un véritable débat politique

Si la question identitaire se pose à l’échelle mondiale en réaction à la mondialisation, elle prend la forme au Québec d’une réaction à la domination anglo-saxonne nord-américaine. Dans ce contexte, le « France bashing » auquel on assiste est particulièrement hallucinant.  Au journal a Presse, en particulier, on s’emploie à dénigrer notre filiation historique et culturelle avec la France, pour nous imposer le contexte nord-américain auquel nous devrions nous conformer. Au diable, la société distincte!

La charte de la laïcité pose les assises d’un Québec laïque et indépendant, tout comme la Charte de la langue française jetait les fondements d’un Québec français et indépendant.

Le SPQ Libre invite la population à aborder ces questions avec tout le respect nécessaire pour qu’il en ressorte une plus grande unité de toutes les composantes de la société québécoise, c’est-à-dire son noyau francophone « de souche » avec toutes les minorités nationales sur son territoire.

Dans cette perspective, nous croyons que le mouvement syndical, en tant que principale organisation de la société civile, a un rôle crucial à jouer pour ramener au calme les opposants à la charte et organiser auprès de ses membres, et de l’ensemble de la population, un débat respectueux des enjeux fondamentaux qu’elle pose. À cet égard, il faut saluer la démarche du Syndicat de la fonction publique et sa prise de position en faveur de la charte.


+++


Quelques autres réflexions suscitées par le débat sur la charte


Primauté de la liberté de religion ou de pensée?

Le débat sur la laïcité soulève des questions fort importantes. Celle, entre autres, du rapport entre la liberté de religion et la liberté de pensée? Posons la question suivante: est-ce que les partisans du port des signes religieux ostentatoires accepteraient que des enseignants athées portent devant les élèves du primaire et du secondaire des t-shirts où serait inscrite la phrase suivante : « Dieu n’existe pas! »? Rappelons qu’environ 20% de la population québécoise se dit athée. La liberté de religion a-t-elle préséance sur la liberté de pensée?


Gouvernement des juges ou des élus?

Se pose également la question du rapport entre les chartes, les tribunaux et les gouvernements. Désirons-nous nous en remettre aux tribunaux plutôt qu’aux élus? Voulons-nous être gouvernés par des juges?

La question prend une coloration particulière au Québec, puisqu’aucun gouvernement n’a reconnu la Constitution de 1982 et sa charte des droits et libertés. Cette dernière est décriée parce qu’on y a inclus le multiculturalisme – une politique visant à diluer la question nationale québécoise dans le grand tout canadien – et des articles spécifiquement conçus pour limiter les droits linguistiques du Québec. De plus, force est de constater que la Cour suprême, où dominent des juges anglophones, nommés par Ottawa, a remplacé, dans les faits, le droit de désaveu des lois provinciales par le gouvernement fédéral, inscrit dans la Constitution de 1867.


Droit au travail

Françoise David, sur les ondes de Radio-Canada, a invoqué le droit au travail des Maghrébins pour répudier la charte de la laïcité. Ces derniers sont effectivement victimes de discrimination à l’emploi. Mais le non-dit sur cette question est que des patrons n’embauchent pas de Maghrébins de crainte de devoir accorder des lieux de prières, des congés religieux, etc. Des règles claires comme le propose la charte devraient permettre un plus grand accès au travail pour la majorité des Maghrébins et non l’inverse.


La « wedge poltics »

Certains commentateurs politiques font grand cas des tactiques de « wedge politics », c’est-à-dire de stratégies qui polarisent l’opinion publique, dont se servirait le Parti Québécois. En fait, ces chantres du « consensus » reprochent au PQ de faire de la politique! Mais comment qualifier l’adoption de la Loi 101, ou mieux encore les référendums, sinon comme des exemples parfaits de « wedge politics »!