Mustapha Kémal, ça vous dit quelque chose?

2013/09/24 | Par Gaston Michaud

La charte des valeurs québécoises soulève beaucoup de passions. Le débat est vigoureux et….. émotif. Je dirais que les intérêts de toutes sortes conditionnent beaucoup trop le débat : positionnement électoral d’abord, ensuite corporatismes culturels, religieux ou même économiques. On aura très vite compris que le rationnel n’a pas toujours la rigueur mathématique et que la passion et parfois l’opportunisme se découvrent des arguments qui essaient de nous convaincre.

Le débat est très important et il n’est pas un pays du monde qui échappe au questionnement sur les accommodements raisonnables. En Arabie Saoudite, les femmes ne sont pas toutes heureuses de l’interdiction de conduire une automobile et, à l’opposé, le nudisme sur les plages est vu à plusieurs endroits comme immoral.

Qu’on le veuille ou non, les arguments d’un côté comme de l’autre n’emportent jamais notre adhésion à 100%. D’où, si possible, la nécessité d’écouter et de respecter, de soupeser. Le débat est nécessaire et inévitable comme une opération chirurgicale est parfois nécessaire même s’il y a des possibilités qu’elle s’avère douloureuse. L’expression « charte de la chicane », par exemple, est déplacée et inutilement provocante. En anglais, on dit : du « wishful thinking ».

Malgré certaines incohérences, malgré certains arguments fragiles, j’ai un penchant certain pour les avancées de la charte proposée par l’actuel gouvernement.

D’abord, nous ne devons certainement pas revenir en arrière et nous retrouver dans le bourbier de l’avant Révolution tranquille. Avant 1960, je me promenais dans la ville d’Ottawa en soutane blanche, chape noire et couronne sur la tête. Des attributs soi-disant religieux mais bien folkloriques, dont la libération nous a rapprochés de l’essentiel. Les femmes avaient besoin, pour entrer dans l’église sans faire de péché mortel, de s’affubler d’un mouchoir ou d’un gant sur la tête. Des coutumes disparues sans laisser de traces et dont on réalise après coup le ridicule et la futilité.

Puisque c’est là que le bât blesse, le port du voile et les autres attributs vestimentaires peuvent bien être du même ordre. Je ne suis pas un théologien musulman, mais la littérature fait état de grandes divergences dans les opinions sur cette question partout et tout au cours de l’histoire. Obligée, pas obligée, dogme ou coutume : je n’aurais pas voulu être une femme musulmane.

En 1922, Mustapha Kémal, président de la Turquie, un pays à très grande majorité musulmane, proclamait la laïcité de son pays. En 1926, il interdisait à tous ses fonctionnaires de porter quelque signe religieux que ce soit. Autour des années 80, le voile n’était pas porté en Iran. C’est venu avec Khomeiny dont on connait la réputation. La même chose en Égypte depuis plus longtemps.

Vers 2005, on ne portait pas le tchador en Tunisie, quelques femmes le portaient au Maroc. En Algérie, les extrémistes avaient la lame de couteau bien aiguisée pour celles qui n’en portaient pas. Au Mali, pays très majoritairement musulman, les voiles sont très rares.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le dogme a des failles. Il est questionné depuis toujours et il porte sur du très accessoire. L’expression suivante fait donc beaucoup de sens : « Ceux qui portent le voile ne sont pas tous des extrémistes, mais les extrémistes portent tous le voile ».

L’excision, le crime d’honneur, la violence conjugale permise, etc., sont bien apparentés à la religion et sont bien du ressort de la vie privée. Et, à ce que je sache, ces coutumes sont interdites par la loi dans un grand nombre de pays sans qu’on parle d’atteinte à la vie privée et aux droits des individus.

Une autre faille. À peu près tout le monde accepte que le port de signes religieux soit interdit aux employés de l’État qui sont en position d’autorité : les juges, les policiers, etc. Certains incluent les enseignants et les responsables de la petite enfance. Alors, le principe n’est pas absolu, donc sujet à débat.

La France a fait le choix de se rendre au bout de sa logique et, après une période d’adaptation, ne s’en porte pas plus mal. Quatre-vingt sept ans après Mustapha Kémal, le pays a abandonné le principe du cas par cas et des frontières légales mobiles et arbitraires pour adopter une position claire et, à mon avis, non discriminatoire. Les Français ne sont quand même pas le peuple le moins civilisé de la terre.

J’ai essayé de vous présenter les arguments qui font pencher la balance du côté de la charte présentée (avec des amendements possibles évidemment). J’en appelle surtout aux hommes et aux femmes qui ont laissé leur pays parce que le lien entre l’État et la religion rendait leur vie impossible. Aux hommes et aux femmes qui sont venus ici chercher de l’air et profiter de notre ouverture et de notre accueil. Parlez! De grâce, parlez !