Les apôtres de l’amour infini

2013/09/25 | Par Michel Rioux

Le pape Grégoire XVII – de son vrai nom Gaston Tremblay – avait fondé il y a quelques décennies une secte affublée du nom Les apôtres de l’amour infini. La secte, démantelée sur ordre des tribunaux, poursuivrait encore ses activités. De son côté, le bon pape coula le restant de ses jours tranquille, avant de s'éteindre doucement.

Mais c’est d’un autre pape que le souvenir me revient ces jours-ci. Il s’agit de Benoît XVI, dont il est bon de rappeler qu’il fut le premier à mettre en avant ce concept passe-partout de laïcité ouverte, dont se réclament par les temps qui courent plein d’intellectuels bien-pensants pour pourfendre le projet de Charte des valeurs québécoises. On sait tous que Ratzinger passera à l’histoire en raison, surtout, de la grande ouverture d’esprit qu’il a su manifester en toutes circonstances…

Ainsi donc, les mânes de Gaston et de ses disciples semblent en pleine période de recrutement ces temps-ci, les apôtres de l’amour infini revenant en force sous de nouveaux habits.

Dans une entrevue récente, le sociologue Guy Rocher affirmait que ce qu’il fallait au Québec, c’était « la laïcité, point. Si on est obligé d’ajouter un adjectif, cela prouve qu’elle est incomplète ou affaiblie ». Les fabricants d’opinion, dans le débat entourant la Charte des valeurs québécoises, prennent d’ailleurs un malin plaisir à mettre en opposition les tenants de l’ouverture, un concept porteur d’une charge positive, et ceux de la fermeture, un concept celui-là singulièrement négatif.

Le hasard n’existant pas, quand La Presse a présenté Rocher comme le prototype de la laïcité fermée, c’est la photo d’un visage dur, le regard caché derrière des verres fumés, qui a été choisie. Le message subliminal : cet homme pourrait être un bourreau capable de s’adonner à la torture… Quand on connait Guy Rocher !


Tolérance et laïcité

Un parfum délétère flotte au-dessus des têtes de celles et de ceux qui affirment la nécessité de la laïcité sans adjectif ; ces personnes seraient intolérantes, seraient fermées sur elles-mêmes, quand elles ne seraient pas xénophobes ou, pire encore, islamophobes. Une sorte d’angélisme de gauche, quoi.

Le même angélisme qui avait conduit plusieurs intellectuels à prendre la défense d’un Tariq Ramadan qui, refusant de condamner la lapidation d’une femme pour cause d’adultère, avait poussé le courage jusqu’à exiger un… moratoire sur la lapidation !

Depuis près de 50 ans, les réflexions d’un grand du journalisme m’aident à dégager une opinion. Il s’agit de Jean Daniel. De la tolérance et de la laïcité, il a écrit ceci : « La tolérance n’est pas la laïcité. La première est passive, la seconde active. La tolérance s’accommode de toutes les manifestations publiques des religions. La laïcité défend l’individu contre son groupe d’origine, la femme contre le père oppresseur et garantit que l’on peut changer de religion ou se déclarer athée. Avec la tolérance, on installe des communautés. Avec la laïcité, on construit une nation. »

Dans un débat comme celui qui a cours, on assiste en revanche à de curieux copinages. Le mystère de Québec continue en effet de s’épaissir, les radios poubelles y contribuant fortement. Alors que dans l’ensemble du Québec, le projet de Charte est soutenu par 59 % de francophones, cet appui chute à 45 % dans la région de Québec.

C’est en effet dans cette zone de plus en plus sinistrée, château-fort conservateur et caquiste, que se recrutent le plus grand nombre d’alliés objectifs de cette gauche angélique adepte de la laïcité ouverte et adversaire de la Charte.

Quand, aux informations télévisées, on a pu lire sur une pancarte exhibée à l’occasion d’une manifestation contre la Charte des valeurs, Protégez-nous des Québécois de souche, j’ai trouvé ça un peu beaucoup fort de café et me suis dit qu’une invitation à respirer par le nez serait de mise !

Surtout que, quelques jours plus tard, au Pakistan et au Kenya, des terroristes se réclamant de l’islam tuaient gratuitement et aveuglément des centaines de personnes innocentes. Entre autres des chrétiens sortant de la messe à Peshawar.

Me semble qu’il y aurait une petite gêne à se garder, non ?

Avec beaucoup de tact et de délicatesse, c’est Boucar Diouf qui a eu les mots les plus éclairants. « Si, a-t-il écrit, on peut aujourd’hui, au Québec ou au Canada, choisir sa liberté et son féminisme dans le voile ou à découvert, non seulement on a un devoir de mémoire envers les artisans de cette liberté, mais on a aussi une obligation de solidarité envers ces consoeurs vivant dans des pays où les mêmes dogmes religieux, qui les empêchent encore de voter ou d’avoir un permis de conduire, les obligent aussi à se couvrir. »