Une révolution inachevée

2013/09/27 | Par Alain Dion

«Pas plus que l’enrichissement des individus au gré de la mise en œuvre des Plans Nord successifs ne pouvait être garant, du seul fait de son existence, d’un enrichissement collectif durable, pas plus la valorisation individuelle d’un parcours académique allongé ne pouvait être garante par simple cumul d’une valorisation collective de l’éducation.

Gérard Beaudet


En novembre 2012, le Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep de Rimouski (SEECR) invitait la population à une grande assemblée d’information sur l’importance du maintien et du développement des cégeps en région. Organisée dans la foulée du Sommet sur l’enseignement supérieur, cette assemblée publique accueillait quatre panélistes venus débattre des divers aspects de la contribution des cégeps au développement des régions du Québec. L’occupation du territoire, la démocratisation de l’éducation, l’attrait migratoire et l’apport culturel et économique de nos institutions d’enseignement en région étaient au cœur des échanges.

Un des panélistes invités, Gérard Beaudet, urbaniste émérite et professeurs à l’institut d’urbanisme de l’Université de Montréal, avait particulièrement impressionné l’auditoire en présentant à la fois un ardent plaidoyer en faveur de cégeps installés sur l’ensemble du territoire et en dénonçant vertement le virage concurrentiel et entrepreneurial des universités.

Dans un récent ouvrage intitulé Les dessous du printemps étudiant paru chez les Éditions Nota Bene, Gérard Beaudet prend à témoin la crise étudiante du printemps 2012 pour élaborer une réflexion fort pertinente au sujet de «la relation trouble des Québécois à l’histoire, à l’éducation et au territoire.»

S’appuyant sur les réactions excessives, les tensions et la polarisation des débats lors du printemps érable, il s’applique dans un premier temps à démontrer comment ce grand rêve de démocratisation et de valorisation de l’éducation qui était au cœur des projets de la révolution tranquille ne s’est pas véritablement ancré dans l’imaginaire collectif. Beaudet trace par la suite un parallèle particulièrement intéressant entre la vision marchande de l’éducation, spécialement l’enseignement universitaire, et la dilapidation du territoire québécois.

À l’aide de multiples exemples, (le développement anarchique de campus universitaires, la vente du Mont Orford, ou encore l’exploitation débridée du gaz de schiste), l’auteur s’applique habilement à démontrer comment l’éducation et l’occupation du territoire sont d’abord soumis aux diktats financiers et à cette culture gestionnaire où le client est maître et où l’enrichissement individuel fait loi.

Gérard Beaudet soulève dans cet ouvrage une réflexion à la fois riche et exigeante. Associant éducation et territoire, il souligne brillamment le lien étroit «entre ces deux lieux de définition et de construction de notre identité» et il dénonce d’un même souffle la marchandisation du territoire et celle de l’enseignement supérieur. Il propose finalement de revenir à l’origine de ce qui a été au cœur des interventions de l’État lors de la mise en place de ces grands chantiers collectifs lancés il y a plus de 50 ans. Pour Beaudet, il serait maintenant temps de faire face à l’histoire et de réaliser les derniers pans d’une révolution tranquille inachevée.

1 Beaudet, Gérard, Les dessous du printemps étudiants, Éditions Nota Bene, 2013