Des caisses populaires pour les travailleurs

2013/09/30 | Par Pierre Dubuc

« Quand les travailleurs de l’usine d’Alma de Rio Tinto au Lac Saint-Jean se sont retrouvés en lock-out, ils ont pu bénéficier de l’appui de leur Caisse d’économie », de nous raconter Guy Champagne, le directeur général de la Caisse d’économie Desjardins des Travailleuses et Travailleurs unis, rencontré dans ses bureaux de l’édifice du Fonds de solidarité à Montréal.

« Ce fut la même chose pour les travailleurs d’AVEOS, lors de la fermeture sauvage de leur atelier, d’enchaîner son collègue, Réjean Bellemare, président du conseil d’administration de la Caisse. Des travailleurs se sont retrouvés avec des problèmes face à l’assurance-emploi. Il y a eu des délais dans l’émission des relevés d’emplois. La Caisse a repoussé de trois mois les paiements sur les hypothèques, les marges de crédit et les dettes personnelles à ceux qui en faisaient la demande. »

« Sur les 600 à 700 travailleurs d’AVEOS, 50 à 60 s’en sont prévalus. Après un an, il n’y avait pas un remboursement de prêt en retard! », précise Réjean.

Savoir qu’on sera épaulé par sa caisse d’économie en cas de grève ou de lock-out est un avantage certain lorsqu’on aborde le renouvellement d’une convention collective. D’ailleurs, c’est dans cet objectif qu’on été mis sur pied les premières caisses d’économie des travailleurs au cours des années 1940, sur le modèle des « credit union ».

Guy et Réjean sont intarissables lorsqu’on les lance sur la piste des origines de ces « credit unions », comme on les appelait à l’époque, et du chemin sinueux qui les a amenés dans le giron du Mouvement Desjardins.

« Même si Alphonse Desjardins avait créé une caisse dans son milieu de travail au gouvernement fédéral, on sait que le milieu de prédilection pour l’implantation des caisses populaires était la paroisse. Cependant, ce qu’on sait moins, c’est qu’il a fondé des caisses dans les usines… aux États-Unis », de raconter Guy Champagne.

Répondant à l’appel de ses compatriotes expatriés dans le Nord-Est des États-Unis, le fondateur du Mouvement qui porte son nom avait constaté que les usines, plus que les paroisses, jouaient un rôle prépondérant dans l’organisation de la société.

Quand, à la faveur de l’industrialisation, les usines ont commencé à pousser au Québec, les travailleurs et leurs syndicats ont importé le modèle américain des « credit unions » en milieu de travail. Et, rapidement, ils ont vu l’intérêt de les regrouper dans une entité plus large.

Mais, comme le Mouvement Desjardins, associé de très près à l’Église catholique, voyait d’un œil suspect ces « credit unions » lié à des syndicats « internationaux », ils ont plutôt décidé de s’affilier à la Quebec Credit Union League.

Au début des années 1960, le souffle de la Révolution tranquille passe sur les « credit unions » francophones, qui décident de faire bande à part. « On a eu notre voyage de tout faire en anglais », déclare Robert Soupras, l’un des fondateurs de la Fédération des caisses d’économie.

En 1962, 14 caisses fondent la Fédération. Au cours des quatre années suivantes, 225 autres caisses sont créées. En 15 ans, les actifs passent de 15 à 250 millions. Mais ce n’est qu’en 1979 que la Fédération des caisses d’économie signe un protocole d’affiliation avec le Mouvement Desjardins. Finalement, en 1981, les 70 caisses de la Quebec Credit Union League décident, à leur tour, de joindre la Fédération et le Mouvement Desjardins.

Au cours des années 1990, le Mouvement Desjardins procède à d’importantes réformes de structures, avec des regroupements, des fusions et des rationalisations. Le nombre de caisses en milieu de travail diminue, mais elles conservent leur originalité et leur spécificité. Il y a, entre autres, celles des policiers, de la culture, de l’éducation, de la santé, de la CSN.

À compter des années 2000, une quinzaine de caisses desservant des groupes de syndiqués FTQ se fusionnent pour former la Caisse des Travailleuses et Travailleurs unis. En 2004, elle fait preuve d’une belle audace en faisant l’acquisition des actifs de la Banque Nationale à Fermont. « Nous sommes la seule institution financière sur place. On dessert les 1500 travailleurs d’Arcelor Mittal, mais aussi les 3 000 résidants », de souligner Guy et Réjean.

Pour eux, une succursale de leur caisse a sa place dans une entreprise au même titre qu’une garderie ou un gymnase. « Nous avons, par exemple, un point de service à l’aluminerie de Bécancour, à Postes Canada, à l’usine d’Arcelor Mittal à Contrecoeur. On connaît le salaire des travailleurs, leur convention collective, leur fonds de pension. On peut les aider à se préparer à la retraite. On a aussi une entente avec La Personnelle pour leur offrir l’assurance-habitation, l’assurance-auto. »

Un autre avantage avec les caisses des travailleurs, c’est qu’elles peuvent utiliser les fameux « trop perçus » pour soutenir des causes sociales. « Notre conseil d’administration, qui est modelé sur celui de la FTQ, en ce sens que les principales organisations syndicales de la FTQ y sont représentées, a pris comme orientation d’aider des médias sociaux, comme l’aut’journal, des initiatives comme le centre d’archives syndicales ou encore la francisation des immigrants, la formation des délégués sociaux de la FTQ, ou de soutenir certains événements par la production de documents », précisent-ils.

Avec le déclin du secteur industriel et la diminution du nombre de travailleurs par milieu de travail, les caisses des travailleurs doivent prendre un important virage. « Il nous faut être plus mobile. Nous le faisons déjà dans le cas de la construction et d’autres syndicats. Nous avons sept points de service avec des employés permanents, mais aussi 15 autres mobiles. Ce qui nous permet de couvrir un territoire qui va de l’Outaouais à Fermont », soulignent Guy et Réjean en me montrant fièrement la photo du nouveau point de service qu’ils ouvrent le mois prochain sur la Côte-de-liesse. Nul doute, les Caisses d’économie des travailleurs sont promis à un bel avenir.