La revanche des rentiers

2013/10/16 | Par IREC


L’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) publie aujourd’hui une note de recherche portant sur la financiarisation de l’économie, phénomène connu, mais abordé ici sous l’angle du coût du capital. « La financiarisation de l’économie va bien au-delà de la seule spéculation financière. Elle met en évidence l’essor d’un capitalisme financier qui se traduit matériellement par un coût du capital plus élevé, avec des conséquences néfastes, tant sur le plan microéconomique que macroéconomique. Le “surcoût” du capital auquel il conduit est formé de revenus prélevés sur les entreprises qui n’ont, en dehors du risque entrepreneurial, aucune justification économique. C’est un phénomène de pure rente », a déclaré Gilles Bourque, chercheur à l’IRÉC.

Les données tirées de la recherche confirment l’un des éléments clés identifiés par les chercheurs s’intéressant au modèle de la financiarisation : le divorce entre la rentabilité croissante depuis deux décennies et l’accumulation médiocre du capital durant cette même période. « Le taux d’accumulation net passait de 8 % au cours des années 1950 à une moyenne de moins de 1 % pour le Québec pendant les années 2000 et de moins de 2 % pour le Canada au cours des deux dernières décennies. Il s’agit là d’un renversement du rythme de l’accumulation du capital. C’est un changement structurel fort qui marque un tournant majeur dans le modèle productif », a poursuivi l’auteur de la recherche.

Si cette situation s’expliquait principalement par une faiblesse de la demande, nous aurions dû constater des tendances semblables pour les profits des entreprises. Or, au contraire, pendant les mêmes années, les profits des entreprises connaissaient une évolution tout à fait différente. Depuis le début des années 1990, les marges bénéficiaires sont en augmentation constante.


Le transfert de « la valeur aux actionnaires »

Ces phénomènes s’expliquent par le « retour des actionnaires » dans la gouvernance des firmes avec, comme corolaire, le transfert de « la valeur aux actionnaires ». Dans tous les cas de figure présentés dans la recherche, l’importance des dividendes versés aux actionnaires connaît une croissance spectaculaire : alors que leur évolution est assez stable ou légèrement à la baisse pendant les années 1980 et la première moitié des années 1990, nous assistons depuis 1995 à une hausse spectaculaire des dividendes versés, dont l’importance a plus que doublé durant cette période.

Le versement des dividendes n’est pas le seul moyen pour transférer « la valeur aux actionnaires ». En raison d’un traitement fiscal avantageux des gains en capital, les entreprises ont été très actives dans le rachat d’actions. Pour les seules entreprises du TSX, on est passé de deux milliards $ de rachats d’actions en 1995 à près de 15 milliards $ en 2004. Malheureusement, ces moyens pour transférer « la valeur aux actionnaires » se font souvent aux dépens de la pérennité des entreprises qui engrangeaient ces profits.

Ils se font aussi aux dépens des autres parties prenantes des entreprises. « Nous constatons une augmentation du prélèvement financier (gains en capital et dividendes) sur la richesse produite par les entreprises. Comme il ne s’agit pas de la création de nouvelles valeurs ajoutées, cette ponction conduit logiquement à diminuer les revenus perçus par les autres parties prenantes, au premier rang desquels se trouvent les salariés. Ainsi, à partir des années 1980, la part des salaires dans la valeur ajoutée au Québec et au Canada a connu une dégringolade majeure, passant de 50 % à 45 % du PIB », a indiqué le chercheur.


La financiarisation est un frein au développement

Contrairement à l’explication habituelle de la faiblesse des investissements au Québec, qui fait porter le blâme sur la lourdeur de l’État ou sur les carences de l’entrepreneuriat québécois, la recherche de l’IRÉC met la lumière sur les effets pervers du surcoût du capital. « Le point de vue actionnarial, qui domine aujourd’hui l’entreprise, privilégie la rentabilité de l’investissement plutôt que la croissance et favorise la distribution massive des profits aux actionnaires. Le secteur de la finance est le grand gagnant de cette financiarisation. Les sociétés financières ont connu une montée impressionnante de leurs marges, qui sont passées de 10 % à plus de 25 % entre 1980 et 2013. L’effet le plus catastrophique de cette financiarisation réside dans l’élévation de la norme de rendement financier imposée aux entreprises laquelle réduit de manière directe les possibilités d’investissement dans la multitude de projets moins rentables. Il est de temps d’analyser en profondeur les changements qui affectent les capacités productives. Il est temps de revoir les liens entre économie financière et économie réelle », conclut l’auteur.

Pour télécharger la note de recherche de l’IRÉC La financiarisation de l’économie nuit-elle aux entreprises? et connaître les résultats des autres travaux de l’IRÉC, voir www.irec.net