Les cégeps ont-ils vraiment besoin d’une assurance qualité?

2013/10/21 | Par Pierre Avignon


L’auteur est conseiller FEC-CSQ, recherche et information

Au printemps dernier, la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CÉEC) annonçait une nouvelle opération d’évaluation prenant la forme « d’un audit sur l’efficacité du système d’assurance qualité de chaque établissement du réseau collégial ». Or, lors de la rentrée, plusieurs enseignantes et enseignants ont été interpellés par les discours des directions portant sur le nouveau processus annoncé par la Commission. Qu’en est-il exactement?


La CÉEC et l’évaluation depuis 1993

Alors que les politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages (PIEA) sont apparues dans le premier régime pédagogique de 1984, ce n’est qu’en 1993 que le gouvernement mettra sur pied la CÉEC. Cette nouvelle organisation sera chargée d’évaluer les politiques institutionnelles des collèges et la mise en œuvre des programmes nouvellement décentralisés dans le cadre de la réforme Robillard. Cette réforme, qualifiée de « renouveau », exigera également des collèges qu’ils adoptent une nouvelle politique d’évaluation des programmes (PIEP).

Comme si ces nouvelles exigences administratives n’étaient pas suffisantes, à la suite notamment du Sommet du Québec et de la jeunesse de 2000 ainsi que des nouveaux modes de gestion par résultats exigés pour l’administration publique, le ministre Legault augmentera ces obligations par une nouvelle modification à la Loi sur les collèges en 2002. On verra alors apparaître l’obligation pour les cégeps d’adopter des plans stratégiques et des plans de réussite dont la mise en œuvre sera également évaluée par la CÉEC. Le plan stratégique devra contenir « l'ensemble des objectifs et des moyens qu'il entendra mettre en oeuvre pour réaliser la mission du collège » (article 16.1 de la Loi sur les collèges).


Quelles nouveautés avec « l’assurance qualité »?

 Depuis les années 80, le contrôle par l’évaluation a donc augmenté pour les collèges du Québec. Loin d’être un phénomène qui leur est propre, cette nouvelle forme de gestion s’applique malheureusement à l’ensemble des services publics un peu partout dans le monde. Le problème principal, comme c’est le cas avec le nouveau processus proposé par la CÉEC, est que ces pratiques se voient renforcées malgré les conséquences négatives notamment démontrées dans l’ouvrage de Vincent de Gaujelac, La société malade de la gestion.

Concrètement, plutôt que de mener des évaluations ciblées (programmes, plan stratégique, etc.) sur une période déterminée, la Commission invite les collèges à s’autoévaluer de manière permanente. C’est dorénavant cette autoévaluation que la CÉEC viendra vérifier tous les cinq ans sous la forme d’un audit qui s’appuiera sur un rapport rédigé par le collège. La qualité est donc définie comme « adéquation aux objectifs, c’est-à-dire la capacité pour un établissement d’atteindre ses objectifs et de réaliser sa mission ». Le « comité de visite », qui sera composé de deux membres de la Commission et de deux experts externes, évaluera les quatre éléments suivants : 

  • Les mécanismes assurant la qualité des programmes d’Études

  • Les mécanismes assurant la qualité de l’évaluation des apprentissages

  • Les mécanismes assurant la qualité de la planification stratégique du collège dans un contexte de gestion axée sur les résultats

  • Les mécanismes assurant la qualité de la planification liée à la réussite dans un contexte de gestion axée sur les résultats

Au final, la CÉEC se prononcera « à savoir si les mécanismes d’assurance qualité et leur gestion garantissent, garantissent généralement, ne garantissent que partiellement ou ne garantissent pas l’amélioration continue de la qualité. Même s’il est qualifié de « changement majeur » par la Commission elle-même, le nouveau processus aux balises assez clairement définies ne semble cependant pas apporter beaucoup de nouveautés. Alourdissement de la charge de travail administrative pour le personnel des cégeps, augmentation potentielle des coûts de gestion et renforcement des mesures de contrôle sont, malheureusement, encore au rendez-vous!


Participer ou remettre en question la logique de l’évaluation et de l’assurance qualité en enseignement supérieur?

Bien sûr, plusieurs enseignantes et enseignants participeront, comme c’est déjà le cas, à différentes formes d’évaluation. Cette participation, comme pour l’évaluation des professeurs dans certains cégeps, permettra de limiter les dégâts et pourquoi pas d’aller chercher certaines informations pertinentes notamment quant aux parcours des étudiantes et des étudiants. Rien ne nous empêche toutefois de soulever plusieurs critiques qui remettent en question la logique du renforcement de l’évaluation et de l’assurance qualité.

Pourquoi mesurer et évaluer toujours plus? Qui choisit les indicateurs? Pouvons-nous tout mesurer? Qu’est-ce que la qualité en éducation? Quelle est la mission principale pour les cégeps : excellence et/ou accessibilité? Voilà plusieurs questions qui méritent d’être posées afin de bien se positionner dans le débat. Il faut également se rappeler que la CÉEC a été mise sur pied pour encadrer la décentralisation de la réforme Robillard qui proposait plus d’autonomie, mais également plus de contrôle. S’opposer au concept « d’assurance qualité » en enseignement supérieur, c’est donc également critiquer la décentralisation et la mise en concurrence des établissements. À quand une « assurance accessibilité »?