Colette Noël, Maîtresse d’école (1926-2013)

2013/10/22 | Par Diane Savard et Robert Cadotte


Le Québec vient de perdre une de ses grandes pionnières en éducation. Colette Noël a «fait école», au primaire comme à l’université. Toute sa vie, elle a été une enseignante « avant son temps », secouant les certitudes des institutions et innovant constamment.

Sa résilience était légendaire. À l’âge de 6 ans, elle devient orpheline. Jeune adulte, elle épouse un Français, qui décède avant la naissance de leur enfant.

En 1955, elle décide de retourner en France avec son fils André, âgé de 2 ans, pour faire un stage à l’école de Célestin Freinet, célèbre pédagogue progressiste, connu pour ses méthodes visant à améliorer « l’éducation des enfants du peuple ».

De retour au Québec, en pleine période duplessiste, elle fonde la première école active au Québec. Une école qui va à l’encontre de toutes les pratiques scolaires de l’époque. Cela se passe à Beloeil en 1957.

Les classes fonctionnaient avec la « coopérative de classe », moment où les élèves discutaient librement des projets et des problèmes de la classe. On y prenait des décisions. Puis, on réalisait les projets.

On y pratiquait le texte libre. Les arts occupaient une grande place. Les enfants apprenaient à écrire en rédigeant de vraies lettres à de vrais gens. Une des classes a même écrit au pape pour lui proposer des réformes. Il faut noter dans ce cas que les élèves ont été très déçus de la réponse.

Les élèves imprimaient aussi un journal mensuel avec une imprimerie au plomb. Pour financer l’encre et le papier, ils vendaient leur journal aux gens du village.

L’école Noël a été la première à organiser des classes neige. Ces classes n’étaient pas que récréatives. Avant de partir, les élèves planifiaient les repas et les budgets. Ils finançaient cette activité en vendant leurs productions en arts plastiques aux commerces du coin. La classe durait 5 jours dans un chalet de Val-David. Le matin, on faisait la classe. L’après-midi, on s’adonnait aux activités de plein air. Tout le monde participait à la préparation des repas et à la vaisselle.

À une époque où toutes les classes du Québec étaient organisées en rang d’oignons, où les enseignants enseignaient à des élèves qui répétaient et apprenaient par cœur, on peut imaginer la révolution que constituait l’école Noël.

Colette était une adepte de l’école publique. Dans la foulée du Rapport Parent, elle a demandé l’intégration de son école au système public. Devant le refus de la sous-ministre Thérèse Baron, elle décide de dissoudre l’école, car elle ne peut se résoudre à continuer l’expérience qui requiert des parents des sacrifices financiers qui excluent les familles plus pauvres. Pourquoi ce refus?

Est- ce parce que sa pédagogie était révolutionnaire ou parce qu’elle n’avait pas de critères religieux pour accepter les enfants et que les non-catholiques étaient exemptés d’enseignement religieux? Colette n’a jamais pu en avoir la confirmation. Mais toujours est-il que dans les deux cas, elle était 25 ans avant son temps.


Le groupe de recherche La maîtresse d’école

Son parcours pédagogique ne s’arrête pas là. À la fin des années ’60, elle devient professeure au Département préscolaire-primaire des Sciences de l’éducation de l’Ude M.

En 1975, les étudiantes du département font des journées d’études qui entraînent une remise en question de la formation des maîtres. Trop théorique et décrochée. Et pour cause! L’immense majorité des professeurs réguliers n’ont jamais enseigné dans une école primaire.

Cette insatisfaction interpelle Colette. Elle demande au doyen un congé sabbatique (sic) pour retourner enseigner une année dans une école primaire publique. Question de valider son enseignement universitaire. Cela se passe en septembre 1976.

Parallèlement, cinq jeunes profs et chargés de cours, tenants d’une pédagogie progressiste, décident de former une groupe de recherche, qu’ils nomment avec humour le groupe La maîtresse d’école.

L’insatisfaction des étudiantes perdure face aux autres professeurs qui ne remettent pas leur enseignement en question, si bien qu’elles organisent un colloque «La formation des maîtres nous prépare-t-elle à enseigner?»

Les étudiantes demandent à Colette de venir les rencontrer pour expliquer sa démarche de retour dans une classe du primaire. Résultat : lors du colloque, les étudiantes demandent que les profs fassent aux sept ans un stage d’enseignement dans une école, question de mieux adapter leurs cours à la réalité. Ce fut, on s’en doute, refusé.

À l’été 1977, croyant couper court à la contestation, le département congédie les trois chargés de cours de La maîtresse d’école. À son retour d’année sabbatique, Colette est outrée du traitement qui leur est réservé. Elle se joint au groupe qui, suite à une grève des étudiantes, retrouve finalement ses chargés de cours.

Le Projet de pédagogie progressiste dans lequel se sont inscrites la moitié des finissantes du département peut redémarrer. Au cours des deux années qui suivent, les étudiantes de pédagogie progressiste publient des cahiers pédagogiques qui font le tour du monde. Le premier cahier est traduit en anglais par des professeurs de l’Université de Toronto. Fernand Séguin et Paolo Freire font l’éloge du deuxième. Les travaux de La maîtresse d’école feront par la suite école, non seulement au Québec, mais au Canada anglais, en Amérique latine et dans les pays francophones européens.

Suite à la grève de 1977, le Projet de pédagogie progressiste dirigé par Colette et son groupe obtient de plus en plus de succès auprès des étudiantes. Les autres profs qui se retrouvent avec la portion congrue des finissantes décident en 1980 de congédier cette fois-là tous les membres du groupe. Seule Colette est «épargnée» ayant obtenu sa permanence avant 1977. Malgré une grève étudiante de 10 semaines, le Projet de pédagogie progressiste est aboli avec l’implication du recteur lui-même. Les idées pédagogiques de La maîtresse d’école commençaient sérieusement à déranger. Elles avaient gagné plusieurs départements de sciences sociales.


De Pacijou à nos jours

Cela n’arrête pas Colette et son groupe. En 1987, ils se joignent à une dizaine d’autres pédagogues pour fonder Pacijou, un groupe de recherche préoccupé par l’augmentation spectaculaire de la violence chez les jeunes. Colette travaille à la conception d’outils pédagogiques pour contrer les modèles violents ou sexistes états-uniens présentés aux jeunes à travers les jouets et les émissions pour enfants.

En 1992, elle reçoit le prix Léo-Guindon de l’Alliance des profs de Montréal et la revue l’Alliance publie sous la plume de Pierre Dubuc un dossier spécial sur « Colette Noël, Maîtresse d’école ».

Entre 1994 et 2001, elle s’investit dans une école primaire d’Hochelaga Maisonneuve pour élaborer un programme de sciences de l’environnement. Membre du comité scientifique de l’école, elle convainc son petit-fils François de donner ses 900 livres de jeunesse à la bibliothèque anémique de l’école. Ce geste conduira par la suite la CSDM à organiser une vaste collecte de livres pour regarnir les bibliothèques scolaires.

À 75 ans, elle joint un groupe de conteuses et entreprend de raconter des légendes amérindiennes et québécoises aux élèves du primaire.

Infatigable, après le tremblement de terre de 2010, sa sensibilité envers le Tiers-Monde l’amène à mobiliser sa communauté de Val-David pour soutenir l’éducation en Haïti.

Quelques mois avant sa mort, ne pouvant plus se rendre dans les écoles, elle avait entrepris de donner des cours d’alphabétisation au jeune homme de 30 ans qui déneigeait son entrée.

Jusqu’à son dernier souffle, toutes ses actions pédagogiques ont été guidées par une préoccupation sociale et la libération des opprimés. Depuis quelques années, elle s’inquiétait de la tendance individualiste que prenait l’éducation québécoise. Le mouvement des carrés rouges lui a redonné espoir. Une belle jeunesse était là pour prendre le relai!