Libre-échange Canada-Europe

2013/10/22 | Par RQIC


Le blitz de promotion aujourd'hui en faveur de l'Accord de libre-échange Canada-Union européenne (AÉCG) dont le texte officiel n'a toujours pas été rendu public, il faut le rappeler, et qui s'appuie certes sur une entente de principe de 2 paragraphes (cliquez PDF) mais surtout sur des documents de propagande biaisés du gouvernement fédéral, a été orchestré en affirmant que l'accord facilitera l'accès à un marché de 500 millions de consommateurs en éliminant 98% des tarifs.

Ce que ne disent pas les promoteurs du libre-échange, délibérément, c'est qu'aujourd'hui même, sans l'AÉCG, seulement une moyenne de moins de 3% des produits du Canada sont frappés d'un tarif à leur entrée en Europe. Autrement dit, 97% des produits canadiens en moyenne ne sont pas tarifés. Conséquemment, ce que l'on nous présente comme un gain majeur, et qui est assez sexy en terme médiatique, n'en est pas un. Plusieurs entreprises d'ici, dans une majorité de secteurs, peuvent déjà faire des affaires en Europe dans des conditions tarifaires favorables.

Le Canada et l'Union européenne le savent très bien. En octobre 2008, ils ont publié une évaluation conjointe (qui a servi de tremplin pour lancer les négociations) qui le souligne noir sur blanc:

« En moyenne, les tarifs sur les biens échangés entre l?UE et le Canada sont faibles, résultant principalement de la baisse progressive des tarifs à l’échelle multilatérale. En 2007, après pondération selon les échanges, les produits canadiens faisaient l’objet d’un tarif moyen de 2,2% à l’accès au marché de l’UE, alors que les produits de l’UE faisaient face à un tarif comparable, soit 3,5%, dans le marché canadien (voir figure 2.1). Cependant, un certain nombre de secteurs font toujours face à un niveau élevé de protection tarifaire, y compris certains secteurs de produits agricoles et alimentaires, de textiles et de vêtements et le secteur de l’automobile. » (page 38)

Curieusement, on ne retrouve plus cette étude sur le site du gouvernement fédéral. Une autre preuve de la grande transparence du processus entourant l'AÉCG? Vous le trouverez donc sur le site de la Commission européenne en suivant ce lien: 

http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2008/october/tradoc_141034.pdf

Autrement dit, l'enjeu de l'AÉCG, ce ne sont pas les tarifs. L'un des enjeux, c'est en réalité l'accès des multinationales européennes aux marchés publics des provinces et des municipalités, c'est un précédent, qui valent annuellement pour le Québec près de 30 milliards de $. Qui dit marchés publics dit services publics. Les deux sont liés.

De surcroît, l'AÉCG retirera le droit, souverain, de tous les niveaux de gouvernements d'orienter les investissements étrangers par des politiques ciblées, pour protéger l'environnement par exemple, promouvoir le développement local, favoriser l'usage de technologies créées ici, exiger l'implantation des investissements dans certaines régions pour favoriser la création d'emplois et des emplois qui soient de qualité, exiger l'utilisation de main d'oeuvre locale, etc.

C'est ce qu'on appelle, dans le jargon, la prescription de résultats. L'AÉCG non seulement l'interdira mais donne des outils aux investisseurs étrangers pour poursuivre l'État s'il applique de telles politiques d'intérêt public ou celles qui répondent à des objectifs économiques en fonction d'un certain projet de société, qu'une entreprise peut juger contraignantes envers ses ambitions de profits, au nom du traitement juste et équitable. Ici, on ne fabule pas, le Canada (et le Québec par le fait même) est actuellement poursuivi pour 250 millions de dollars par la compagnie états-unienne Lone Pine Resources qui conteste le moratoire du Québec sur les gaz de schiste.

De telles poursuites des multinationales contre la capacité de gouverner des États se multiplient partout dans le monde. Déjà le Canada est le 6e État le plus poursuivi. L'AÉCG est calqué voire va plus loin que l'ALÉNA en la matière, et on peut s'attendre à une augmentation des poursuites avec l'entrée des puissantes multinationales européennes sur les marchés publics du Québec, des compagnies qui ne sont pas connues pour être des enfants de coeur.

Il y a beaucoup d'enjeux dont personne n'a parlé aujourd'hui. Sans doute parce que le texte de l'accord n'a pas été rendu public et qu'on se fie un peu trop aux dires des gouvernements, qui seraient mal vus de dire qu'ils ont mal négocié. Il est temps que le texte soit rendu public, pour qu'un vrai débat de société soit lancé.