Maux des mots

2013/10/22 | Par Michel Rioux


Tabarnak et ventre-saint-gris ! Il m’a fallu attendre 70 ans presque pour me découvrir une vocation tardive, comme on disait dans le temps de ceux qui devenaient prêtres sur le tard. Une vocation à la xénophobie, si j’en crois le slogan d’une manif qui se déploie malingrement place Émilie-Gamelin au moment où ces lignes sont écrites : Contre la charte xénophobe, y affirme-t-on.

Or, je suis de ceux qui appuient la charte, tout en estimant qu’on devrait y apporter certains ajustements. Donc, syllogisme oblige, si j’appuie une charte réputée xénophobe, il serait dans l’ordre des choses que je le sois moi-même. Ainsi donc, à l’instar de monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, je faisais dans la xénophobie sans m’en rendre compte…

Utilisés à tort et à travers, les mots finissent par perdre tout leur sens.

À un point tel qu’il sera de plus en plus difficile de prendre quelqu’un au mot, ces derniers étant de plus en plus dépossédés du sens dont on les avait dotés à l’origine. Pis encore, le jour n’est peut-être pas très loin où il ne sera plus possible d’avoir des mots avec quelqu’un.

Chercher ses mots, les manger même, seront désormais des occupations de tous les instants puisqu’on ne saura plus, nonobstant la fameuse charte, à quel saint se vouer.

Avoir un mot sur le bout de la langue deviendra une maladie incurable puisqu’il sera impossible d’en diagnostiquer tant le sens que l’origine. Sans mauvais jeu de mots, et n’ayant pas peur des mots pendant qu’il en est encore temps, les mots auraient des maux, par les temps qui courent.

Comment, par exemple, ne pas penser immédiatement à Justin Trudeau quand on lit ces lignes du philosophe Jean-Jacques Rousseau : « Resserrez donc le plus qu’il est possible le vocabulaire de l’enfant. C’est un très grand inconvénient qu’il ait plus de mots que d’idées, et qu’il sache dire plus de choses qu’il n’en peut penser. »

Cette réflexion autour des mots et de leur sens m’a conduit à cette insulte qu’on assène à certains partisans du Parti Québécois : des purs et durs ! Sans doute – et encore, le dire de cette façon indique qu’il y en a bien un, un doute – préférerait-on, a contrario, se faire taxer de « sale et mou » ?

De même, celui ou celle qui s’époumone à dénoncer le projet d’indépendance du Québec se rend-il compte qu’il plaide de ce fait vouloir vivre dans un État dépendant ?

Tiens, encore un coup. Il y a quelques années, l’armée canadienne avait pour slogan : Si la vie vous intéresse. N’est-ce-pas une utilisation plutôt incongrue du mot vie, quand on a vu ce qui s’est passé, en Irak avec les Étasuniens, et en Afghanistan avec tous les autres ?

Un autre coup, tant qu’à y être ! Quand il y avait de l’emploi en masse et que le taux de chômage était autour de six pour cent, les mesures protégeant les travailleurs portaient le nom d’assurance-chômage. Maintenant que le chômage caracole dans des sphères pas mal plus élevées, les mêmes mesures portent le nom d’assurance-emploi…

Ainsi donc, une majorité perd son statut et n’en n’est plus une si elle n’est pas agréée par le Prince qui règne à Ottawa et qui fait cause commune avec Brent Tyler !

Ainsi donc, selon le diagnostic, disons… singulier, pour ne pas manquer à la charité chrétienne, et livré par 19 sommités de la psychiatrie de McGill, la pratique d’une religion conduirait à un meilleur équilibre mental. Les religions, comme d’autres idéologies, ont conduit à des aberrations.

Les croisades et l’Inquisition, ça vous dit quelque chose ? Et les fous de Dieu qui, aujourd’hui, assassinent des milliers de personnes en criant Allah Akbar, ils seraient en meilleure santé mentale que des athées ? Voyons donc ! Me semble que quelques nuances s’imposeraient ici dans ce plaidoyer pour un multiculturalisme à la Trudeau.

Avec Aragon, regrettons ce bonheur qui nous échappe encore puisque, paraît-il, « c’est un grand moment dans la vie d’un peuple que celui où tout le monde, ou presque tout le monde, s’applique à employer les mots dans leur sens véritable ».

Ou encore, serait-il possible que le philosophe du siècle des Lumières ait eu raison, qui écrivait que « l’homme s’enterre lui-même journellement avec ses propres mots altérés qui ont perdu tous leurs sens. Aussi enterre-t-il journellement et continuellement la parole ».