Les trois fonctions du projet d’assurance autonomie

2013/10/24 | Par Jacques Fournier


Extraits d’une présentation faite lors d’un séminaire organisé par le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA), tenu à Montréal le 8 octobre.

L’auteur est organisateur communautaire retraité.

La Commission parlementaire, chargée d’examiner le Livre blanc sur l’assurance autonomie du ministre Réjean Hébert, a débuté ses travaux le 23 octobre. Le projet du ministre a trois fonctions principales, selon moi : une fonction transformatrice, une fonction réparatrice et une fonction de promotion de la privatisation et de la tarification.


Une fonction transformatrice

Le pourcentage actuel du budget des services aux aînés en perte d’autonomie consacré aux ressources institutionnelles (CHSLD et ressources intermédiaires) est de 74 %. Seulement 17 % du budget va aux services à domicile et 9 % à des services que l’on ne peut imputer clairement à l’une ou l’autre mission.

Le chiffre de 17 % consacré aux services à domicile au Québec peut être comparé aux taux d’autres pays : Pays-Bas, 32 %; Suède, 41 %; France, 43 % et Danemark, le champion à 73 %. Le ministre voudrait que le taux québécois passe à 31% . Cet objectif de désinstitionnalisation rallie un large consensus. Le projet d’assurance autonomie aurait une fonction transformatrice bénéfique.

Le défi sera que les sommes destinées aux services à domicile soient disponibles avant la désinstitutionnalisation. On se souvient que, dans le dossier de la santé mentale, on a désinstitutionnalisé les personnes concernées avant que les services ne soient disponibles dans la communauté. Ils ne le sont d’ailleurs toujours pas complètement.

Connaissant la passion du gouvernement pour le déficit zéro, il y a lieu d’être inquiets que les aînés en perte d’autonomie n’aient pas le niveau de services à domicile requis par leur état.

Pourtant, les sources de financement existent. La Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics (COTPSP), un regroupement de plus de 120 organismes, a rédigé récemment un document bien fouillé et rigoureux indiquant que le gouvernement québécois pourrait, par 19 mesures bien ciblées, aller chercher 10 milliards $ de plus par une taxation adéquate, qui irait recueillir les revenus là où ils se trouvent (1).

Une autre source importante de financement, ce sont les 750 M $ que le ministre Hébert compte économiser annuellement en implantant la réforme : diminution de l’hospitalisation et de l’institutionnalisation, etc. (Le Devoir, 24 avril 2013).


Une fonction réparatrice

L’un des effets positifs attendus du projet d’assurance autonomie, c’est de créer une barrière étanche entre les budgets des services aux aînés en perte d’autonomie (CHSLD, ressources intermédiaires et services à domicile) et les budgets des hôpitaux qui comblent souvent leurs déficits en utilisant à d’autres fins les sommes normalement destinées aux services à domicile. C’est ce qu’a découvert et expliqué la Protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain, dans son Rapport d’enquête du 30 mars 2012.

Or, il y aurait eu une façon plus simple de mettre en place cette barrière : il aurait suffi de ne pas fusionner les CLSC, les CHSLD et les hôpitaux. En 2003, lors des fusions imposées sous le bâillon par le ministre Philippe Couillard, la Coalition Solidarité Santé, un regroupement d’une quarantaine d’organismes communautaires et de syndicats, avait fait une mise en garde : en fusionnant les trois catégories d’établissements, à cause de l’hospitalo-centrisme, les budgets des CHSLD et des services à domicile risquaient d’être « confisqués » par les hôpitaux. Neuf ans plus tard, c’est ce qu’a constaté la Protectrice du citoyen.

Aujourd’hui, pour réparer cette erreur, on recrée par la caisse autonomie une barrière étanche entre les budgets des hôpitaux et les services aux aînés en perte d’autonomie. C’est la fonction réparatrice du projet.


Une fonction de promotion de la privatisation et de la tarification

Par sa fonction de promotion de la privatisation et de la tarification, le projet réduit le secteur public et intensifie l’apport du secteur privé. C’est, pour moi, une fonction nuisible et dévastatrice, qui ne crée pas les conditions de réussite du projet.

Actuellement, les personnes âgées en perte d’autonomie qui ont besoin de bains et de soins d’hygiène à la maison bénéficient des services gratuits des auxiliaires familiales et sociales des CLSC.

Le Livre blanc propose que ces services soient dorénavant prodigués par les entreprises d’économie sociale en aide domestique, les EÉSAD. Or les services des EÉSAD ne sont pas gratuits, même si les taux horaires sont établis en fonction du revenu.

Ils sont fournis par des personnes sous-payées et moins qualifiées que les auxiliaires familiales. Une partie d’entre elles vit même sous le seuil de la pauvreté.

Le taux de rotation élevé du personnel des EÉSAD ne favorise pas la continuité des services, continuité requise pour des clientèles vulnérables.

La fonction de promotion de la tarification et de la privatisation a pour corolaire la réduction de la qualité des services et de la décence des conditions de travail.

L’économie sociale est techniquement une composante du secteur privé, mais elle constitue aussi ce qu’on appelle le tiers-secteur, car elle a une philosophie et des pratiques en partie différentes du secteur privé.

Comme le secteur privé, l’économie sociale a besoin de la contribution des usagers. Les EÉSAD, à leur corps défendant, deviendraient le bras armé du MSSS, l’exécutant de ses politiques de tarification.

C’est l’ancien ministre des Finances Raymond Bachand qui a dû être content en lisant le Livre blanc. Il avait mis de l’avant rien de moins que ce qu’il avait appelé la révolution tarifaire. Il s’agirait de remplacer par étapes l’impôt progressif sur les revenus par des tarifs divers sur les services publics. Ces mesures sont régressives, c’est-à-dire qu’elles bénéficient aux plus fortunés et contribuent, avec plusieurs autres facteurs, au grand mouvement mondial d’accroissement des écarts entre les revenus des nantis et ceux des démunis.

Si l’objectif du Livre blanc est vraiment de désinstitutionnaliser les services aux aînés en perte d’autonomie, il faut que le ministre, pour convaincre les aînés de ne pas recourir aux ressources lourdes, leur offre, avant toute chose, une panoplie substantielle de services à domicile de qualité et accessibles.

Version complète de la présentation

http://www.aqdr.org/wp-content/uploads/nouv_20131009.pdf
(1) http://www.nonauxhausses.org/wp-content/uploads/SolutionsFiscales.pdf