Fin du droit de grève dans la fonction publique fédérale?

2013/10/28 | Par Maude Messier

La grande majorité des conventions collectives des employés de la fonction publique fédérale viendront à échéance au printemps 2014. Ce n’est donc pas un hasard si le gouvernement conservateur a choisi d’inclure, dans le projet de loi omnibus C-4 sur l’exécution du budget, des changements importants aux règles du jeu, en matière de relations de travail avec ses employés, qui viendront restreindre le droit de grève des fonctionnaires. Un manque de transparence qui «pipera les dés en faveur du gouvernement», déplore l’Alliance de la fonction publique du Canada.

Le président du Conseil du Trésor Tony Clement estimait «ridicule» que le gouvernement ait l’obligation de négocier avec les syndicats pour désigner les services essentiels.

Les nouvelles dispositions de C-4 lui donneront les coudées franches. Elles permettent au gouvernement de s’arroger le droit exclusif de définir lui-même les services et les postes jugés essentiels, alors que ce processus faisait jusqu’ici l’objet d’une entente avec les syndicats.

Dès lors que 80% des postes d’une unité de négociation seront réputés nécessaires à la fourniture d’un service essentiel, en tout ou en partie, le recours à l’arbitrage sera automatique pour le règlement des différends. La grève sera, bien entendu, interdite et, là où il y a arbitrage, il n’y a pas de négociations.

Les modifications concernent aussi l’établissement de nouveaux barèmes et de facteurs prépondérants devant désormais être pris en considération pour les décisions arbitrales, tels que «la situation fiscale du Canada par rapport à ses politiques budgétaires énoncées» et «l’état de l’économie canadienne».

Les syndicats chez Air Canada et Postes Canada ont goûté à cette médecine conservatrice lors de lois spéciales, qui imposaient des arbitrages restrictifs avec des directives similaires à celles qui se retrouvent aujourd’hui dans le projet de loi C-4.

Autrement dit, le gouvernement agit en amont. Il pourra désormais faire avorter un conflit de travail, réel ou potentiel, sans même avoir à adopter une loi spéciale, simplement par la désignation de ces services, installations et postes comme étant essentiels et ce, sans avoir à consulter les syndicats.

Joint par l’aut’journal, le vice-président régional de l’Alliance de la fonction publique du Canada pour la capitale nationale, Larry Rousseau, est clair : C-4 constitue une entrave à la liberté de négociation des syndicats et entraîne un déséquilibre dans le rapport de force. C’est une façon de museler les syndicats et cela signifie un retour au paternalisme dans les relations de travail entre le gouvernement et ses employés.

«En établissant seul ce qui doit être désigné comme services et postes essentiels, le gouvernement est le seul maître à bord. Il limite le recours à la grève et aux moyens de pression. Il limite le droit à la négociation et, donc, la possibilité pour les organisations syndicales de représenter leurs membres», explique Larry Rousseau, en dénonçant du même souffle l’abolition des services de recherche de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, chargée de produire des études indépendantes pour des fins de comparaisons.

« Ce gouvernement a tendance à minimiser l’apport de la science, des données, des recherches et des preuves, et fonde ses politiques sur l’idéologie. C’est désormais ce qui formera la base des décisions de la Commission. Nous sommes très inquiets. »

Le syndicaliste soutient qu’en juin 2014, près de 80% des conventions collectives des employés des services publics fédéraux viendront à échéance. Pour lui, il est clair que cette façon de museler les organisations syndicales vise à permettre au gouvernement de traverser la période des négociations de l’automne 2015, sans perturbations économiques, de façon à ne pas entacher la campagne électorale par des conflits de travail. «Il n’aura qu’à déclarer que 80% de la fonction publique est essentielle. C’est déplorable!»

Une lecture que partage le député néo-démocrate Alexandre Boulerice, porte-parole de l’Opposition officielle en matière de travail. « On retrouve dans ce projet de loi imposant, rebaptisé ‘‘Mammouth 3’’, des modifications à des dizaines de lois. Un fourre-tout que les Conservateurs veulent faire adopter en imposant le bâillon en Chambre, empêchant ainsi les parlementaires d’en débattre! », dénonce-t-il en entrevue.

C-4 sera étudié brièvement au Comité des Finances, explique le député Boulerice, même si un grand nombre des modifications imposées n’ont rien n’à voir avec les finances, comme c’est le cas pour la modification à la notion de «danger» dans le Code canadien du travail, qui complexifiera le recours au droit de refus, pour l’ensemble des travailleurs sous juridiction fédérale, et non pas exclusivement les employés de la fonction publique.

L'AFPC a demandé une rencontre au président du Conseil du Trésor pour lui faire part de ses inquiétudes par rapport à C-4 et lui demander de retirer les modifications à la loi régissant les relations de travail. L’AFPC propose plutôt que le gouvernement arrime le cadre législatif pour les employés du fédéral à celui du secteur privé.

«Notre proposition est raisonnable et sert les intérêts de nos membres et de la population canadienne», affirme Robyn Benson, présidente de l'AFPC, dans un communiqué publié, avant que le ministre annule la rencontre à la dernière minute.

Après avoir tenté d’imposer des modifications aux relations de travail par le biais de projets de lois privés sur la « transparence syndicale » (C-377) et la formule Rand dans le Code fédéral du travail (C-525), les Conservateurs utilisent le projet de loi omnibus pour y enchâsser des modifications législatives qui n’ont rien à voir avec le budget. C’est une autre attaque frontale contre le mouvement syndical.