Oléoduc Énergie Est

2013/10/30 | Par Alice-Anne Simard et Vincent Baillargeon


Alice-Anne Simard est étudiante à la Maîtrise en Biologie
Vincent Baillargeon est étudiant au baccalauréat en Économie et Politique





À l’aube des changements climatiques, le Canada, en tant que grand producteur et consommateur d’énergie, doit se positionner sur son avenir énergétique. Alors qu’il est de plus en plus certain que l’Homme est la principale cause du réchauffement observé depuis le milieu du XXe siècle, principalement en raison de la combustion des énergies fossiles, de l’agriculture et des changements d’affectation des terres1, il devient urgent d’entamer une véritable transition énergétique qui nous libèrerait de notre dépendance au pétrole.

Or, la stratégie énergétique du Canada, qui s’appuie fortement sur la production de pétrole issu des sables bitumineux de l’Alberta, s’inscrit dans la direction opposée. En effet, l’Alberta souhaite doubler sa production de pétrole d’ici 2022 et recherche donc des voies d’exportation vers les marchés asiatique et américain2.

Dans cette optique, deux projets d’oléoduc ont été élaborés: le Northern Gateway en Colombie-Britannique et le Keystone XL aux États-Unis. Les deux projets ont été vivement dénoncés par plusieurs environnementalistes et plusieurs groupes des Premières nations en raison de leurs risques tant environnementaux qu’économiques, sociaux et culturels3.

De plus, le gouvernement de la Colombie-Britannique, en raison des inquiétudes environnementales, n’a eu d’autres choix que de s’opposer au projet dans sa forme actuelle4.

Au sud de la frontière, le président Barack Obama a, quant à lui, émis de sérieuses réserves au projet, affirmant même qu’il faut rejeter Keystone XL s’il est prouvé que sa construction augmentera significativement les émissions de gaz à effet de serre planétaires5.

Puisque ces projets risquent de ne pas voir le jour, l’industrie des sables bitumineux convoite l’Est du Canada afin de pouvoir exporter son pétrole. La compagnie TransCanada projette donc de construire l’oléoduc Énergie Est pour amener 1,1 million de barils de pétrole par jour de l’Alberta au Nouveau-Brunswick en passant le Québec6. TransCanada soutient que le tracé n’est pas encore officiel, mais il ne fait aucun doute qu’il passera par les basses-terres du Saint-Laurent, où on retrouve les meilleures terres agricoles du Québec, en plus de passer dans le fleuve.

De plus, un des scénarios du tracé passe par les terres de la ferme expérimentale de l’Université Laval à Saint-Augustin-de-Desmaures. Cette ferme, d’une superficie de 280 hectares, est destinée à la recherche et à l’enseignement7.

Or, il existe une panoplie de raisons pour lesquelles nous devons nous opposer à ce projet. Tout d’abord, les risques de déversements des oléoducs sont non négligeables. En effet, des chercheurs de l’Université Simon Fraser en Colombie-Britannique ont calculé que le projet Northern Gateway présentait un risque de déversement de plus de 90%, avec une moyenne de 16 déversements par année8.

De plus, selon l’Agence internationale de l’énergie, le transport par oléoducs entraîne des déversements contenant trois fois plus de pétrole que le transport par voie ferroviaire9.

Les déversements de pétrole issu des sables bitumineux causent aussi plus de préjudices à l’environnement puisque ce type de pétrole, beaucoup plus lourd et visqueux que le pétrole conventionnel, est plus difficile à nettoyer, notamment parce qu’il coule au fond des étendues d’eau et qu’il se lie aux sédiments10.

Malgré les nombreux risques environnementaux que présente cette industrie, le gouvernement du Parti québécois, tout comme le gouvernement conservateur de Stephen Harper, mettent l’exploitation des hydrocarbures fossiles au centre de leur politique énergétique.

En effet, en plus d’être favorable aux projets d’exploitation du pétrole sur Anticosti, à Old Harry et en Gaspésie, le gouvernement Marois s’est dit ouvert au projet Énergie Est11. Une des raisons de cet appui au projet est qu’il permettrait de créer de nombreux emplois.

Or, malgré plusieurs chiffres avancés tant par TransCanada et par les groupes opposés au projet, certains chiffres ne mentent pas : entre 2002 et 2011, le secteur pétrolier a permis la création de 16 500 emplois au Canada, ce qui ne représente qu’un mince 1% de l’augmentation totale de l’emploi au cours de la même période12.

De plus, ce chiffre ne tient pas en compte la perte de 173 000 emplois dans le secteur manufacturier à cause de l’augmentation de la valeur du huard, elle-même engendrée par l’exploitation des ressources naturelles13.

En effet, avec une exploitation rapide des ressources naturelles s’ensuit une augmentation de la valeur de la monnaie locale, affectant les manufacturiers qui peinent à exporter leurs biens; c’est ce que l’on nomme la « maladie hollandaise ».

À ce sujet, les résultats d’une étude commandée par Stephen Harper ont démontré que le Canada est bel et bien affecté par ce syndrôme14.

Ainsi, si le gouvernement québécois donne son appui au projet Énergie Est, ce seront tous les autres secteurs économiques qui en subiront les conséquences. Avec son ouverture au projet, le gouvernement du Parti québécois est loin d’avoir une « gouvernance souverainiste »; il agit plutôt dans l’intérêt économique de l’Alberta, en plus de lier son avenir énergétique aux décisions d’Ottawa.

Avec le projet Énergie Est, ce sont donc nos terres, nos cours d’eau, notre santé, notre économie et notre indépendance qui seront mis en péril. Aujourd’hui, le peuple québécois a l’opportunité de refuser que le pétrole issu des sables bitumineux transite sur son territoire, en donnant en même temps un coup dur à l’expansion de cette industrie, qui sera contrainte de trouver une autre voie d’exportation ou d’abandonner son idée d’augmenter sa production de pétrole dans les prochaines années.

Ce projet d’oléoduc, qu’il soit réalisé au Québec ou ailleurs, nécessite une forte opposition citoyenne. Seule une mobilisation importante de tous les Québécois et de toutes les Québécoises pourra stopper le projet, ouvrant ainsi la voie à une véritable transition énergétique, où l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables remplaceront les hydrocarbures fossiles.


Références :

1. McGrath, Matt. «IPCC climate report: humans ‘dominant’ cause of warming». BBC News [En ligne]. (27 septembre 2013). (Page consultée le 20 octobre 2013)

2. Reuters. «Alberta oil sands production likely to double by 2022». Financial Post [En ligne]. (5 août 2013). (Page consultée le 20 octobre 2013)

3. The Canadian Press. «First Nations leaders vow to stop Keystone, Northern Gateway pipelines». The Huffington Post [En ligne]. (20 mars 2013). (Page consultée le 20 octobre 2013)

4. Jones, Jeffrey. «B.C. says ‘No’ to Northern Gateway on concerns over oil spills». The Globe and Mail [En ligne]. (31 mai 2013). (Page consultée le 20 octobre 2013)

5. Shear, Michael D. et Calmes, Jackie. «Obama says he’ll evaluate pipeline projet depending on pollution». The New York Times [En ligne]. (27 juillet 2013). (Page consultée le 20 octobre 2013)

6. Agence QMI. «TransCanada lance un projet de 12 milliards $». Canoë [En ligne]. (1er août 2013) (Page consultée le 20 octobre 2013)

7. Université Laval. Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation. Ferme de Saint-Augustin-de-Desmaures, [En ligne]. (Page consultée le 20 octobre 2013)

8. Gunton, Thomas et Broadbent, Sean. A spill risk assessment of the Enbridge Northern Gateway project, [En ligne]. (Page consultée le 20 octobre 2013)

9. Caroom, Eliot. «Pipelines spill three times as much oil as trains, IEA says». Bloomberg [En ligne]. (14 mai 2013). (Page consultée le 20 octobre 2013)

10. Imperial Oil. Material Safety Data Sheet: DilBit Cold Lake Blend, [En ligne]. (Page consultée le 20 octobre 2013)

11. Gouvernement du Québec. Ministère des Ressources Naturelles. De la réduction des gaz à effet de serre à l’indépendance énergétique du Québec (Document de consultation : Commission sur les enjeux énergétiques du Québec), [En ligne]. (Page consultée le 20 o

12. Institut Polaris et Centre canadien de politiques alternatives. The Bitumen Cliff, [En ligne].(Page consultée le 20 octobre 2013)

13. Confédération des syndicats nationaux. Avenir du secteur manufacturier et industriel québécois pour un développement durable : une intervention structurée, [En ligne]. (Page consultée le 20 octobre 2013)

14. Michel Beine, Charles S. Bos et Serge Coulombe. 2012. Does the Canadian economy suffer from Dutch disease? Resource and Energy Economics, 34: 468-492.