Le Devoir, la Révolution Labeaume et le Front commun

2013/11/01 | Par Pierre Dubuc


Dans un éditorial intitulé « Des maires solidaires », signé Jean-Robert Sansfaçon (29 octobre 2013), le journal Le Devoir semble rallier le camp de la « Révolution Labeaume » contre le mouvement syndical.

Sansfaçon invite les maires à se montrer « solidaires » de Labeaume « pour réclamer les outils dont ils ont besoin de ce gouvernement beaucoup trop proche de l’establishment syndical ».

De quels « outils » s’agit-il? Sansfaçon rappelle que le gouvernement du Québec s’est doté « des pouvoirs nécessaires pour décréter, au besoin, les conditions de travail de ses propres employés ».

Il affirme ne pas prôner une telle mesure pour les municipalités, mais Québec aurait dû, selon lui, « depuis des lustres fournir aux élus municipaux des instruments d’une négociation équilibrée, tels que des normes et des barèmes à respecter en matière d’avantages sociaux, de régimes de retraite et même d’échelles salariales ».

Il serait intéressant que Sansfaçon nous explique la différence entre un « décret » et l’imposition de « normes et de barèmes »!

La croisade antisyndicale de Labeaume risque de s’étendre à plusieurs municipalités. Déjà, à Montréal, la nouvelle coqueluche des médias, Mélanie Joly, enfourche la même monture que Labeaume en réclamant, à son tour, le droit au lock-out pour les municipalités.


Aujourd’hui, les municipalités; demain, le Front commun du secteur public?

Cette campagne antisyndicale devrait intéresser au plus haut point l’ensemble du mouvement syndical, et plus particulièrement les syndicats du secteur public et parapublic, qui préparent actuellement la négociation de 2015.

En appui à leurs revendications, les employés du secteur public envisagent d’utiliser la comparaison avec les employés municipaux, qui bénéficient de meilleures conditions salariales.

Mais Labeaume, Sansfaçon et toute l’armada médiatique sont en train de les désarmer avant même que les hostilités soient déclarées. Rien ne justifie, écrit Sansfaçon, que les employés municipaux « utilisent leur position privilégiée dans la chaîne des services essentiels pour arracher des conditions 33% supérieures à celles de leurs homologues provinciaux ».

Avec la victoire appréhendée de Labeaume, on risque donc d’assister à une campagne bien orchestrée pour réduire les salaires et les avantages sociaux des employés municipaux au niveau de ceux de la fonction publique québécoise, avant même que le Front commun ait eu le temps de mettre de l’avant ses revendications et son argumentaire.

Si la droite réussit à défoncer, au cours des prochains mois, la première ligne syndicale, défendue par les employés municipaux, la bataille sera extrêmement rude pour leurs collègues du secteur public.


L’axe USA-Harper-Labeaume

Il faut bien prendre la mesure de l’ampleur de l’offensive antisyndicale en cours. En Amérique du Nord, elle origine des États-Unis avec l’expansion aux États du Nord des législations « right to work », cantonnés autrefois dans les anciens États esclavagistes du Sud.

C’est ainsi que, dernièrement, le Michigan, berceau du syndicalisme américain, est devenu un État « right to work ».

Au Canada, le gouvernement Harper a accouché de trois projets de lois antisyndicaux. Un premier sur la « transparence syndicale », un deuxième sur l’élimination de la formule Rand pour les employés relevant du Code du travail fédéral, et un troisième qui priverait, à toutes fins pratiques, les employés de la fonction publique fédérale de leur droit de grève, en octroyant au gouvernement fédéral la possibilité de décréter que les services fédéraux sont des services essentiels.

Ces trois projets de loi vont, de toute évidence, revenir au feuilleton législatif du Parlement. D’autant que plus de 10 % des résolutions (9 sur 82), mises de l’avant par les militants conservateurs en vue de leur congrès de la fin de semaine à Calgary, proposent de revoir les règles d’adhésion et de financement des organisations ouvrières, nous apprend Hélène Buzzetti du Devoir.

En Ontario, le Parti conservateur, qui a de bonnes chances d’accéder au pouvoir lors du prochain scrutin, promet dans sa plate-forme électorale d’adopter des législations « right to work ».

Au Québec, Labeaume est le fer de lance de cette offensive. Réussira-t-il à obtenir du Parti Québécois les « outils » qu’il réclame pour mater les syndicats? L’affaire de l’amphithéâtre est, à ce compte, un mauvais présage.


L’ombre de PKP

On se rappellera que Labeaume s’était fait l’émissaire de Pierre-Karl Péladeau auprès du Parti Québécois pour obtenir le dépôt d’un projet de loi mettant à l’abri de toute contestation l’entente entre la ville et Québecor sur la gestion du nouvel amphithéâtre.

La nomination de PKP à la présidence d’Hydro-Québec et sa présence de plus en plus marquée dans les cercles dirigeants du Parti Québécois n’a rien de rassurant sur l’attitude future du Parti Québécois à l’égard des revendications syndicales. Rappelons que PKP a décrété 13 lock-out en 14 ans, pendant qu’il était à la tête de Québecor Média, dont le dernier au Journal de Montréal a duré plus de deux ans.

La rumeur coure que PKP serait candidat du Parti Québécois dans la circonscription de St-Jérôme, lors du prochain scrutin, et des dirigeants du parti sondent actuellement le terrain auprès des membres pour connaître leur réaction à une éventuelle candidature du patron de Québecor à la direction du Parti Québécois dans l’éventualité où Mme Marois démissionnerait après une défaite électorale.


Préparer la riposte

La ministre du Travail Agnès Maltais a opposé jusqu’ici une fin de non-recevoir aux demandes de modifications au Code du travail du maire Labeaume. Mais, au lendemain d’un éventuel triomphe du Régis Labeaume, la pression sera énorme sur le gouvernement Marois.

Qu’un journal modéré comme Le Devoir s’enrôle dans la croisade Labeaume est un indice inquiétant de la profondeur de l’offensive antisyndicale en cours.

Mais, on se rappellera que le projet de loi sur l’amphithéâtre, pilotée par Agnès Maltais, avait provoqué le départ de trois députés péquistes et une crise au sein du Parti Québécois qui avait ébranlé le leadership de Pauline Marois.

Que fera le gouvernement Marois face à la « révolution » Labeaume? La réponse réside sans doute dans l’ampleur et la vigueur de la riposte syndicale et progressiste.