Illégales, les clauses « orphelin » sévissent toujours

2013/11/12 | Par Maude Messier


Les clauses de disparité de traitement sont interdites au Québec depuis 2000. Pourtant, près de 80 000 travailleurs couverts par une convention collective entre 2007 et 2012 étaient touchés par une clause discriminatoire.

Et ce ne serait que « la pointe de l’iceberg », pour reprendre l’expression des représentants du Collectif Jeunesse, formé du Comité Jeunes FTQ, de Force Jeunesse, du Comité national des jeunes de la CSN, de la FECQ, et de la FEUQ, alors qu’ils présentaient, le vendredi 8 novembre dernier, un mémoire conjoint révélant des données inquiétantes, colligées à partir des informations rendues disponibles par le ministère du Travail du Québec.

Le mémoire fait état d’une étude ayant porté sur 6 746 conventions collectives signées entre 2007 et 2012, soit un cycle complet d’ententes collectives, si on considère que les conventions durent en moyenne trois ans.

Il en ressort que près de 18% des travailleurs couverts par ces conventions collectives sont affectés par des clauses de disparité de traitement. De ce nombre, près du quart ont des salaires à l’embauche inférieurs à leurs confrères exécutant le même travail dans le même établissement.

Les clauses « orphelin » introduisant une discrimination relativement aux assurances et aux régimes de retraite concernent aussi près du quart des travailleurs ciblés.

Les conditions d’emploi induisant une discrimination en fonction de la date d’embauche, et donc bien souvent de l’âge, sont pourtant illégales au Québec. Ce qui signifie qu’il est interdit d’instaurer des conditions de travail inférieures et moins avantageuses pour une catégorie d’employés embauchés après une date fixée par l’employeur (pour les milieux non syndiqués) ou encore après la date de signature d’une convention collective.

Or, le mémoire du Collectif Jeunesse démontre clairement que les mesures mises en place depuis le début des années 2000 pour contrer ces pratiques discriminatoires ne sont pas suffisantes. Pire encore, ces chiffres ne tiennent pas compte des réalités des milieux non syndiqués, ni des employés sous juridiction fédérale parce que de telles informations ne sont pas compilées. Il ne s’agit donc que d’un mince aperçu de la situation.

C’est pourquoi le Collectif estime que le débat doit faire partie de l’espace public, particulièrement à l’heure où les régimes de retraite se trouvent sur la sellette, bien souvent au nom de l’équité intergénérationnelle.


Régimes de retraite : l’éléphant dans la pièce

Le Comité national des jeunes du Parti Québécois a réagi positivement au dépôt du mémoire vendredi après-midi et a conséquemment déposé une proposition au Conseil national du Parti Québécois en fin de semaine pour demander à la ministre du Travail, Agnès Maltais, de se pencher sur la problématique des clauses « orphelin » dans le cadre de son plan d’action sur les régimes de retraite. Une proposition qui a bénéficié d’un appui massif des délégués.

Mais le Collectif Jeunesse souhaite aller plus loin et réclame que le principe d’équité intergénérationnelle soit inclus dans le livre blanc sur la politique jeunesse actuellement en préparation dans le cadre du renouvellement de la politique jeunesse du gouvernement. En bref, ils veulent que le principe d’équité intergénérationnelle soit un véritable objectif national.

Si la question des régimes de retraite revient invariablement, c’est qu’il existe un flou juridique dans la Loi sur les normes du travail entourant les disparités de traitement concernant les assurances collectives et les régimes de retraite complémentaires. Flou qui explique la transformation, progressive mais certaine, des régimes à prestations déterminées vers des régimes à cotisations déterminées au détriment des nouveaux employés, et donc, des plus jeunes.

Vendredi dernier, le Collectif dénonçait le flou juridique de la loi québécoise qui cautionne en quelque sorte la situation actuelle. Dans un contexte où le débat sur les régimes de retraite est comme un éléphant dans la pièce, le rapport D’Amours ne souffle mot sur l’illégalité des pratiques qui ont cours dans de trop nombreux milieux de travail.

Ils réclament que l’interdiction des clauses de disparité de traitement soit respectée et que soit mis fin au flou juridique de la Loi sur les normes du travail afin que les clauses de disparité de traitement soient spécifiquement bannies des régimes de retraite et d’assurances collectives.

« L’inaction du gouvernement nous préoccupe, de souligner Éloi Beaumier-Lafontaine, président de Force Jeunesse. Nous estimons que l’équité intergénérationnelle est menacée et que les transformations, notamment des régimes de retraite, se font au détriment des jeunes. »

À son avis, s’il est vrai que les modalités et les caractéristiques des régimes de retraites collectifs pourraient gagner à être revues, cela ne signifie pas pour autant qu’il faille les éliminer d’emblée.

« Il faut distinguer les différents types de régimes, mais en ce qui concerne les régimes complémentaires privés, les régimes collectifs sont les meilleurs outils d’épargne et les plus sûrs. Il ne faut pas les abandonner, au contraire. Il en va de la sécurité financière de la relève. »

Le Collectif fait valoir que les régimes à cotisations déterminées font reposer la totalité du risque de gestion sur les épaules des individus, alors qu’avec les régimes à prestations déterminées, le risque est assuré collectivement, un principe beaucoup plus équitable.

Plusieurs reprochent aux syndicats d’être partie prenante du problème puisque, s’il y a signature d’une convention collective, c’est qu’il y a entente.

Imaginons le scénario suivant. Lors d’une négociation dans un contexte économique difficile, l’employeur fait une offre finale qui accorde certains bénéfices aux travailleurs en poste et ferme l’accès au régime de retraite à prestations déterminées pour les nouveaux employés, qui auront plutôt un régime à cotisations déterminées ainsi que des avantages sociaux moins importants. Ça se passe tous les mois, pour ne pas dire toutes les semaines.

Les syndicats sont des organisations démocratiques et une entente de principe est, au final, adoptée par les membres. Menacés de pertes d’emplois ou de réductions de salaires, des syndiqués adoptent une entente qui contient des clauses de disparités de traitement qui, à l’heure actuelle, sont tolérées.

Le principe de l’équité intergénérationnelle peut être difficile à faire admettre à des travailleurs dont les conditions de travail sont affectées dans l’immédiat, au détriment d’une éventuelle relève sans visage, avec laquelle ils n’ont pas de liens, d’attachements, d’histoire commune. Ça peut sembler sans conséquence, dans l’immédiat.

En milieux syndiqués, ça représente un réel défi. Les représentants jeunes ont sonné l’alarme vendredi dernier. Ils demandent un espace public de dialogue et une intervention gouvernementale pour modifier la loi.

Sans changement législatif, les syndicats arriveront peut-être à des solutions (si on en croit notamment un certain nombre de résolutions qui seront amenées au Congrès de la FTQ visant à bannir la signature de ces clauses), mais les travailleurs non syndiqués feront toujours les frais de ces pratiques discriminatoires.