Un Père Goriot québécois

2013/11/15 | Par Ginette Leroux


La bergerie de la ferme Gagnon & fils est renommée dans la région. Depuis 40 ans, le fermier prend un soin jaloux de ses bêtes. Gaby Gagnon l’a reçue en héritage de son père.

On est à la fin de l’été. Il s’apprête à engranger les foins, les blés sont mûrs. Les moutons broutent encore dans les champs. Les nuages prennent leurs teintes d’automne, des volées d’oies bruyantes jappent dans le ciel. Chez les Savard, l’encan sonne l’heure de la fin d’un règne.

À 63 ans, Gaby Gagnon n’a jamais fait fortune, mais il tient le coup. On ne peut pas en dire autant de sa femme. Vingt ans déjà qu’elle a quitté son mari, lassée du travail interminable qu’impose la vie sur une ferme. L’éleveur n’a pas de relève; ses filles sont parties faire leur vie à Montréal. Leur présence auprès de leur père se fait rare.

Un jour, Marie lui annonce son divorce. Elle a besoin d’argent pour garder la maison où, désormais, elle élèvera seule ses deux enfants. En plus, sa plus grande a des dettes.

L’amour que Gaby porte à ses filles n’a pas de limite. Le père élève les valeurs familiales au-dessus de tout. Profondément ému par les difficultés de sa fille, il s’engage à la soutenir financièrement, comme il l’a toujours fait par le passé. Même au prix du plus grand sacrifice de sa vie.

À prime abord, Gaby paraît désemparé. L’homme de peu de mots a appris à ne compter que sur lui-même. Aucun réconfort à l’horizon. Un mariage raté, des filles absentes, une voisine, veuve, qui en a plein les bras avec ses enfants en bas âge, et des frères qui n’ont pas du tout l’humeur agricole le laissent seul devant la plus grande décision de sa vie. Il n’y a que son ami, qui est aussi son comptable, pour tenter de le raisonner. « Voyons Gaby, les agriculteurs n’ont pas les moyens d’arrêter. »

Peine perdue. Le démantèlement de sa ferme aura lieu, même si la vente de ses biens signifie la fin de sa vie active.

Est-ce vraiment la fin? Gaby ne va pas se laisser happer par le vide. Sa force est intérieure. Elle l’a guidé tout au long de sa vie. Aucune amertume ne le tenaille. La fin d’un cycle ne suppose-t-elle pas un recommencement?


« Le Démantèlement » de Sébastien Pilote est un drame silencieux. Une histoire universelle inspirée du « Père Goriot » de Balzac, ce père qui se ruine pour ses filles qu’il plaçait au-dessus de son bien-être personnel.

Au moment du casting, Sébastien Pilote voulait « un acteur très américain. Une pièce d’homme. » Le choix de Gabriel Arcand en éleveur expérimenté, patient, attentif aux gestes du quotidien, s’avère complètement juste. « Il a passé quelques jours dans une bergerie avant le tournage, confirme le réalisateur. Il devait savoir comment attraper un mouton. »

Gabriel Arcand a trouvé, dans ce rôle, chaussure à son pied. L’acteur a opté pour la simplicité et la vérité. L’approche est gagnante. On le sent en parfaite symbiose avec ses bêtes. « Quand on travaille avec un acteur de cette trempe, dit Sébastien Pilote, on a l’impression de travailler avec un étalon sans selle ».

Deux de nos meilleures actrices, Lucie Laurier et Sophie Desmarais, dans le rôle des deux sœurs, complètent la distribution. De Normandin à Saint-Cœur-de-Marie, à Héberville, la caméra de Michel La Veaux caresse les champs et les collines de la belle région du Saguenay.

Si vous avez aimé « Le Vendeur » (2011), vous apprécierez la continuité dans laquelle s’inscrit « Le Démantèlement ».

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