Comment la droite vénézuélienne accapare la rente pétrolière

2013/11/25 | Par André Maltais

Depuis l’élection de Nicolas Maduro à la présidence du Venezuela, le 14 avril dernier, le pays connaît une recrudescence de pénuries de biens de consommation de première nécessité (lait, farine, huile, papier de toilette, etc.) et s’est développé un marché noir où ces mêmes produits sont accessibles à des prix plusieurs fois supérieurs à ce qu’ils devraient coûter.

Pénuries et inflation s’ajoutent aux sabotages des réseaux de distribution d’eau et d’électricité et sont attribuées par la droite au gouvernement Maduro dont l’incompétence, dit-on hypocritement, paraît au grand jour après le décès d’Hugo Chavez.

La droite espère ainsi, le 8 décembre prochain, arracher une première victoire électorale depuis 1998, laquelle, à son tour, faciliterait un blocage des politiques nationales au niveau municipal.

Cette stratégie figure telle quelle dans un document intitulé Plan estratégico venezolano, dont l’avocate vénézuélienne et états-unienne, Eva Golinder, vient de révéler l’existence.

Publié le 13 juin dernier, par deux fondations colombiennes (dont Internationalismo democratico, de l’ex-président colombien, Alvaro Uribe) et par la firme de consultants états-unienne FTI Consulting, le document est le fruit d’une collaboration entre des dirigeants de l’opposition vénézuélienne (Maria Corina Machado, Julio Borges et Ramon Guillermo Avelado), l’expert états-unien en guerre psychologique J. J. Rendon, et le chargé de l’USAID pour l’Amérique latine, Mark Feierstein.

Les auteurs prescrivent les sabotages électriques et la hausse des prix des produits de première nécessité comme moyen d’affaiblir le gouvernement en vue des élections municipales du 8 décembre prochain.

Une fois celles-ci gagnées, on projette la création de situations de crise dans les rues pour éventuellement mener à une intervention nord-américaine ou des forces de l’OTAN, appuyées par le gouvernement colombien. Quand ce sera possible, peut-on y lire en toutes lettres, la violence de rue doit provoquer des morts ou des blessés.

Mais, au-delà de cette stratégie, l’enjeu de la guerre économique, dénoncée depuis plusieurs mois par le gouvernement, est l’appropriation des dollars de la rente pétrolière. Depuis le coup d’État raté de 2002 et le sabotage pétrolier de 2003 (au cours duquel 28,5 milliards de dollars ont fui le pays), l’État vénézuélien contrôle PDVSA, la pétrolière qui génère les dollars, et l’émission de devises par le biais de la Commission de l’administration de la devise (CADIVI) et du Système de transactions pour les fonds en devises étrangères (SITME).

L’octroi de dollars pour l’importation, explique l’économiste vénézuélien Simon Andrés Zuniga, est la façon par laquelle l’oligarchie arrive aujourd’hui à s’approprier une bonne partie de la rente pétrolière.

Ainsi, en 2012, sur une rente pétrolière de 59,3 milliards de dollars, le gouvernement vénézuélien octroyait au secteur privé 36,2 milliards pour importer des biens de consommation. Mais 60% de ce dernier montant, soit 20 milliards, s’est volatilisé dans des comptes bancaires à l’étranger.

Le 40% restant (16,2 milliards), nous dit Zuniga, correspond à de réelles importations mais surfacturées à l’État. Il en découle, encore là, que beaucoup moins de produits sont importés par rapport aux sommes reçues.

Aux échelons inférieurs des réseaux d’approvisionnement, distributeurs et commerçants profitent aussi du système en stockant les produits pour les vendre ensuite à meilleur prix dans les pays voisins ou sur le marché noir vénézuélien.

C’est ainsi que, puisqu’il manque de produits importés, la droite réclame toujours plus de dollars, dollars que l’État fournit au taux de 6,3 bolivars alors que les produits importés se vendent ensuite à la population au prix de 40 bolivars par dollar, générant des taux de profit de plus de 600%!

C’est bien simple, résume Zuniga, la majorité des dollars du SITME ne sert pas à l’importation de produits et cela est la vraie cause des pénuries et de la spéculation. Le supposé manque de devises n’existe pas comme le révèlent les chiffres de la Banque centrale du Venezuela selon lesquels l’État a consacré la somme fabuleuse de 317 milliards de dollars pour l’importation de produits entre 2003 et 2012.

Mais le secteur privé dispose de 160,1 milliards d’actifs à l’étranger. Un tel montant change aujourd’hui le rapport de force avec le gouvernement en donnant à l’oligarchie un formidable pouvoir de corruption du système de contrôle des changes.

Il faut savoir que, contrairement à ce que véhiculent les grands médias vénézuéliens et occidentaux, le gouvernement chaviste laisse beaucoup de liberté aux milieux d’affaires du pays.

Hugo Chavez savait, dit le sociologue Heinz Dieterich, que le seul contrôle des changes dans un marché libre est incompatible à moyen et long terme avec la confrontation de groupes dominants où se retrouve le capital financier, spéculatif et parasitaire.

Le président aurait pu agir en 2004-2008, alors que les chavistes contrôlaient largement toutes les institutions politiques. Par exemple, en concentrant toutes les importations aux mains de l’État et en nationalisant les banques qui découragent impunément l’économie en bolivars et qui, lors de la crise bancaire de 2009, allaient sortir du pays 30 milliards de dollars.

Dieterich va même jusqu’à dire que Chavez a alors préféré acheter la paix interne en laissant collaborer la vieille classe dominante avec la nouvelle classe politique bolivarienne. Cette alliance, dit-il, a malheureusement été cachée au peuple derrière un discours fantaisiste de socialisme chrétien et bolivarien, et une gigantesque machine de propagande.

L’oligarchie, aujourd’hui, conclut Dieterich, rompt ce contrat social particulier. Elle ne se contente plus d’une fraction de la plus-value pétrolière ; elle la veut toute au prix du sang de la population.

Mais, pour l’économiste états-unien, Mark Weisbrot, le Venezuela a suffisamment de réserves et de revenus en devises étrangères pour bien manoeuvrer, incluant faire baisser la valeur du dollar sur le marché noir et éliminer une bonne partie des pénuries. Quant au président Maduro, il est loin d’être l’incapable que décrivent nos grands médias si libres de mal informer!

Le 8 octobre, après avoir demandé et obtenu de l’Assemblée nationale l’autorisation de gouverner par décrets, le président a mis fin à plusieurs mois d’hésitations d’une partie de son gouvernement (dont le ministre des Finances Nelson Merentes) prête à négocier avec certains secteurs de la bourgeoisie locale décrits comme patriotes et nationalistes.

Le 5 novembre, le président décrète la baisse drastique des prix sur la plupart des produits de première nécessité, accompagnée d’une vaste opération civico-militaire qui parcourra tout le pays pour détecter les mécanismes spéculatifs et arrêter les spéculateurs et leurs complices.

Le président crée aussi un fonds spécial de compensation pour protéger à court terme les biens de consommation prioritaires, un budget national des devises, une corporation nationale de logistique de transport (dotée de 5000 camions) pour faciliter la distribution interne des produits importés et, surtout, un Centre national du commerce extérieur pour réguler les importations qui comptent pour plus de 70% de ce que consomme le pays.

Le président ordonne également la création d’une ambitieuse politique de production intérieure pour diminuer la dépendance aux importations qui va grandissant à mesure qu’augmente le pouvoir d’achat d’une population bénéficiant de politiques sociales dont le montant per capita a triplé depuis la première élection d’Hugo Chavez, en 1998.

Finalement, conclut Weisbrot, l’apocalypse tant souhaitée au Venezuela n’est peut-être pas si proche.