Stephen Harper, son plan de match antisyndical et anti-Québec

2013/11/26 | Par Pierre Dubuc

Au cours des derniers mois, le gouvernement de Stephen Harper a déposé à la Chambre des Communes trois projets de loi antisyndicaux.

Il y d’abord eu le projet de loi C-377 sur la « transparence » syndicale. Son adoption a été bloquée temporairement par le Sénat, mais reviendra à l’ordre du jour. Il obligera les organisations syndicales à rendre publique, de façon détaillée, toute dépense de plus de 5 000 $.

On imagine facilement des journaux comme les journaux de Péladeau ou les Radio-poubelles en faire leurs choux gras. Le but visé est clair : contraindre les syndicats à mettre fin aux dépenses touchant l’action politique, prise dans son sens le plus large.

Un autre projet de loi, le C-525, vise à modifier le Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique fédérale et au Parlement. Avec son adoption, une accréditation nécessiterait plus de 50% des votes du total des salariés. Ceux qui ne votent pas seront réputés être contre la syndicalisation. La révocation d’un syndicat serait aussi rendue plus facile.

Enfin, des dispositions du projet de loi mammouth C-4, un projet de loi omnibus sur le budget, permettrait au gouvernement de définir unilatéralement les services essentiels dans la fonction publique fédérale. Quand il y en aura 80% ou plus dans une unité de négociation, ce sera l’arbitrage automatique.

Pour définir les services essentiels, de nouveaux barèmes sont prévus, comme de tenir compte de « la situation fiscale du Canada par rapport à ses politiques budgétaires énoncées ». Un libellé qui est inspiré directement des lois spéciales imposées aux syndicats d’Air Canada et de Postes Canada. Avec l’adoption de C-4, le gouvernement pourra décréter sans avoir à adopter une loi spéciale.

Il y a aussi les propositions adoptées au congrès du Parti conservateur qui s’est tenu récemment à Calgary. Plus de 10 % (9 sur 82) des résolutions du congrès proposent de revoir les règles d’adhésion et de financement des organisations ouvrières.


Le Vrai Visage de Stephen Harper

Tout cela n’est pas une surprise lorsqu’on connaît le parcours de Stephen Harper. Je l’ai décrit, ce parcours, dans Le Vrai Visage de Stephen Harper, un livre que j’ai publié en 2006. Rappelons-en les grandes lignes.

Stephen Harper est né à Toronto. Il a fait des études en économie et il est un adepte des thèses de Frédéric Hayek et toute l’école néolibérale. Il a par la suite déménagé en Alberta où il a travaillé pour l’Imperial Oil. Déjà, son père était comptable pour l’Imperial Oil à Toronto.

Son père est un militariste. Il a publié deux monographies sur les emblèmes militaires et a été consultant pour le ministère de la Défense nationale.

Stephen Harper a milité au Parti progressiste-conservateur du temps de Mulroney. Mais il trouvait le parti trop à gauche.

On se rappellera que le Parti progressiste-conservateur a éclaté sous l’effet de deux événements. La création du Bloc québécois après l’échec de Meech et, plus tard, la création du Reform Party dans l’Ouest. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase dans l’Ouest, c’était l’octroi par le gouvernement Mulroney du contrat d’entretien de 138 avions CF-18 à Canadair à Montréal, plutôt qu’à Bristol Aerospace à Winnipeg.

Au Reform Party, Harper ne s’entendait pas avec le chef Preston Manning. Il le trouvait trop à gauche. Manning voulait créer un parti populiste. Harper voulait un parti résolument à droite.

Ils ne s’entendaient pas non plus sur la question nationale québécoise. Manning a appuyé l’accord du Lac Meech, l’accord de Charlottetown et était prêt à reconnaître une déclaration d’indépendance du Québec.

Harper était contre Meech, contre Charlottetown, contre tout statut particulier pour le Québec. On verra plus loin sa position sur une déclaration d’indépendance du Québec.


Harper à la présidence de la National Citizen Coalition

À un moment donné, Harper quitte le Reform Party pour assumer la présidence de la National Citizen Coalition, un groupe de pression, qui avait l’appui de tous les milieux d’affaires importants au Canada.

Parmi les principaux faits d’armes du NCC, mentionnons le financement des groupes anglophones qui contestaient la Loi 101 au Québec et une action devant les tribunaux pour empêcher les syndicats de financer des causes sociales. Le NCC a investi un million de dollars dans cette démarche juridique, mais a été débouté par la Cour suprême.

Ne restait donc qu’à changer la loi. C’est ce qu’Harper s’apprête à faire avec le projet de loi sur la « transparence » syndicale, dont nous avons parlé précédemment.

Harper est revenu en politique et il a habilement réussi à réunir à nouveau les éléments épars de l’ancien Parti progressiste-conservateur et du Reform Party pour recréer, après bien des péripéties, le Parti conservateur, en laissant toutefois tomber l’appellation « progressiste ».


Harper devant la Civitas Society

Prenons maintenant un peu de recul pour mieux connaître les idées de Stephen Harper, sa conception du Canada et de la place du Québec dans le Canada.

Contrairement à bien d’autres, Harper n’est pas un politicien qui agit seulement au gré du vent et des sondages. C’est un politicien qui a un plan.

Il y a deux textes qui nous aident à mieux cerner l’idéologie et le plan de match de Harper.

Dans le livre qu’il vient de consacrer à Stephen Harper (The Longer I'm Prime Minister: Stephen Harper And…) le journaliste Paul Wells y fait référence et j’étais heureux de constater que ce sont les deux mêmes textes que j’identifiais dans mon livre publié il y a sept ans.

Il y a d’abord l’important discours que Harper a prononcé, deux ans avant son élection, devant la Civitas Society, un groupe d’extrême-droite. Il y décrit sa philosophie et sa stratégie.

Dans ce discours, Harper rappelle l’existence de deux courants de pensée fondamentaux du XIXe siècle, le libéralisme économique classique tel que défini par Adam Smith, et le conservatisme social classique élaboré par Edmund Burke. Ces deux courants, explique-t-il, ont fusionné au XXe siècle pour combattre le socialisme.

Aujourd’hui, se félicitait Harper devant la Civitas Society, avec la chute du mur de Berlin et les révolutions de Thatcher et Reagan, on peut affirmer que les idées de droite au plan économique ont gagné.

Même les partis de gauche ont abandonné les idées de planification économique, s’en remettent au marché, et abandonnent l’idéal socialiste. On en a eu un exemple récemment au Canada, avec le NPD qui, à son dernier congrès, a laissé tomber toute référence au socialisme dans son programme.

Cette victoire désormais acquise pour la droite au plan des idées économiques, la lutte devait maintenant, selon Harper, être portée sur le terrain des valeurs sociales. Il faut revaloriser la famille, le mariage (sauf le mariage gai, bien entendu), la femme au foyer, mettre l’accent sur la sécurité, la loi et l’ordre, en faisant montre de plus sévérité envers les jeunes contrevenants, en gardant les détenus plus longtemps en prison, etc.

Au plan international, le Canada devait aussi réviser ses politiques. Harper a déclaré devant la Civitas Society : « La politique extérieure du Canada doit reposer sur les valeurs morales du Bien contre le Mal ».

Cela a signifié la participation du Canada à la guerre en Afghanistan, en Libye. Rappelons qu’un gouvernement Harper aurait été favorable à la participation du Canada à la guerre en Irak. Concrètement, cela a aussi signifié le démantèlement de l’ACDI, et son remplacement par le Bureau de la liberté religieuse.

On pourrait ajouter que le Mal, ce devait être aussi le protocole de Kyoto.

Ce qui était aussi très intéressant dans ce discours de Harper devant la Civitas Society, c’est l’avertissement qu’il servait à ses partisans. Il faut, disait-il, bien choisir le terrain des luttes à venir en s’assurant de ne pas diviser les rangs des conservateurs.

« L’important, ajoutait-il, c’est d’aller dans la bonne direction, même si c’est lentement ».

C’est exactement ce qu’il a fait depuis qu’il est pouvoir. On voit très bien sa tactique. Il fait déposer par des députés d’arrière-ban des projets de loi privé sur des sujets controversés comme les lois antisyndicales, l’avortement, etc. et il prend la température sociale. S’il n’y a pas trop de réaction, il va de l’avant.


Harper et The Patriot Game de Peter Brimelow

L’autre texte de référence important pour comprendre la politique de Stephen Harper concerne directement la situation canadienne et québécoise. Dans son livre, Paul Wells souligne l’extraordinaire influence d’un livre sur les militants du Reform Party, dont faisait partie Harper, au milieu des années 1980.

Ce livre a pour titre The Patriot Game and the Canadian Question Revisited. Il est l’œuvre d’un certain Peter Brimelow. Brimelow est un britannique-américain. Il était à l’époque l’éditeur du magazine américain Forbes et il signait une chronique au Canada dans le Financial Post.

Quelles sont les thèses de Brimelow qui ont tant plu à Harper et à ses amis du Reform Party.

Premièrement, Brimelow constate l’échec des politiques de Trudeau, qu’il résumait en 4 mots : bilinguisme, socialisme, centralisme et nationalisme.

Il dénonce le French Power de Trudeau. Le gouvernement Mulroney ne trouve pas grâce non plus à ses yeux. C’était, selon lui, « l’été indien du French Power ».

Brimelow attribue le gonflement de la fonction publique fédérale à l’influence du Québec sur la politique fédérale, aux concessions faites au Québec pour le garder à l’intérieur de la Confédération.

Cela a produit, selon Brimelow, une nouvelle classe sociale, la « classe sociale de la fonction publique et des médias », qu’il met en opposition à la classe sociale du secteur privé qui, avec ses taxes, paient les salaires des premiers. Aujourd’hui, il ajouterait « et leur régime de retraite ».

À cause de cette domination du French Power, les anglophones étaient maintenant les colonisés au Canada, selon Brimelow.

La solution s’impose donc d’elle-même. Mettre fin aux concessions au Québec. Démanteler les programmes sociaux et la fonction publique. S’attaquer au principal obstacle à la réalisation de ce programme : les organisations syndicales. C’est exactement ce que Harper est en train de faire.


Une cible de prédilection : la fonction publique fédérale

Dans un article du Globe and Mail, paru récemment, le journaliste Konrad Yakabuski raconte comment « faire carrière dans la fonction publique » a déjà été le rêve de plusieurs. Mais que ce ne l’est plus. Dans cet article, il cite des chiffres intéressants.

Il rappelle que le gouvernement Harper a retranché 25 000 emplois dans la fonction publique depuis son arrivée au pouvoir en 2006 avec des coupures dans le personnel des services sociaux, de la recherche, de la protection du public (contrôle de la qualité des aliments, etc.), du personnel scientifique (laboratoires, recensement, etc.).

Mais Yakabuski fait remarquer que la fonction publique fédérale comprend tout de même aujourd’hui 25 000 employés de plus qu’en 2006. Mais ils occupent des jobs qui ont été créées essentiellement dans les services douaniers, le service correctionnel (les prisons), la GRC et les autres agences de sécurité. Donc, dans toutes ces fonctions dont la tâche est de protéger la propriété privée.

En passant, Yakabuski rappelle que le dernier congrès conservateur s’est prononcé pour la transformation du régime de pensions des fonctionnaires, de régime à prestations déterminées en régime à cotisations déterminées. Il prévoit que ce sera la lutte centrale de 2014.


L’Amérique du Nord britannique de Harper et Brimelow

Mais revenons à Brimelow. Il y a d’autres volets extrêmement intéressants de son ouvrage qui nous aident à encore mieux comprendre les politiques de Stephen Harper.

La thèse la plus originale de Brimelow était que le Canada n’existe pas en tant que nation propre. Il n’est qu’une entité géographique, qu’une portion d’une entité plus grande : l’Amérique du Nord anglo-saxonne. À ses yeux, seul le Québec émergeait, en 1986, date la parution de son livre, comme véritable État-Nation.

Affirmer que le Canada ne constitue pas une nation permet de dénoncer toute l’idéologie nationaliste canadienne de la « nouvelle classe de la fonction publique » de Trudeau et Mulroney, et condamner des mesures comme le bannissement de toutes les références à la royauté, à l’empire britannique.

Or, que voit-on aujourd’hui? On voit Stephen Harper réintroduire toutes ces références royales. L’aviation et la marine canadiennes sont rebaptisés « aviation royale du Canada » et « marine royale du Canada ». Lors d’une visite en Grande-Bretagne, Harper a même utilisé l’expression « Dominion du Canada ».

Pour Harper et Brimelow, il y a la nostalgie de l’empire britannique d’Amérique du Nord d’avant la Révolution américaine. Ce n’est pas anodin. L’ancêtre de Stephen Harper a combattu au Nouveau-Brunswick les révolutionnaires américains avec l’armée britannique. Il s’était installé sur les terres rendues disponibles par l’expulsion et la déportation des Acadiens.

Cette nostalgie de l’empire britannique de l’Amérique du Nord explique sans doute l’importance accordée par Harper à la célébration de la guerre de 1812 entre le Canada et les États-Unis, qu’il présente comme une victoire du futur Dominion du Canada, en fait comme une sorte de revanche de la défaite britannique subie aux mains des révolutionnaires américains en 1776. Le problème, c’est que les États-Unis considèrent eux aussi qu’ils ont gagné la guerre de 1812!


Harper et Brimelow, et la reconnaissance de la nation québécoise

Je disais précédemment que Brimelow considérait le Québec comme la seule véritable nation du Canada. C’est à mettre en parallèle avec la reconnaissance par Harper de la nation québécoise. Mais, attention, il faut ici bien faire attention aux mots utilisés. Harper a reconnu que « les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni ».

Il y a, bien sûr, le fait que de préciser « au sein d’un Canada uni » est une négation du droit à l’autodétermination. Mais il y a aussi la formulation « les Québécois forment une nation » qui est lourde de sens. En anglais, on a aussi utilisé le mot français « Québécois » plutôt que Quebeckers. C’est une reconnaissance qui se limite aux Québécois de souche. Ça ne reconnaît pas le territoire du Québec comme entité juridique. Ça ouvre toute grande la porte à la partition du Québec.

C’était aussi la position défendue par Brimelow. Déjà, le titre de son livre, The Patriot Game, faisait référence à la partition de l’Irlande.

Brimelow appuyait l’indépendance du Québec, mais avec un territoire amputé du Nord autochtone et du West Island et de l’Outaouais.

L’indépendance du Québec mettrait fin, selon Brimelow, à l’influence colonisatrice du Québec sur le Canada, et rapprocherait les différentes régions du Canada des États-Unis, et donc de la formation d’un grand ensemble anglo-saxon nord-américain.

Pour atteindre ce résultat, soit l’indépendance du Québec, Brimelow encourageait le recours au terrorisme de la part des Québécois. Il s’étonnait que le Québec n’y ait pas eu recours depuis octobre 1970. « Pourtant, écrivait-il, le terrorisme fonctionne. Il faut monter les enchères ». C’était vraiment, le modèle irlandais, le Patriot Game.

Petite anecdote. J’ai publié une revue du livre de Brimelow dans l’aut’journal au mois d’octobre 1986. Quelques semaines plus tard, Brimelow commentait mon article dans sa chronique du Financial Post. Il se disait particulièrement fier que j’aie écrit qu’il « faisait partie de l’aile la plus réactionnaire de la bourgeoisie canadienne ». Et il m’a envoyé une invitation personnelle à lui rendre visite dans ses bureaux de New York. Peut-être pensait-il trouver en moi un terroriste potentiel !


La partition du Québec…

À notre connaissance, Harper n’a encore rien fait pour encourager la résurgence du terrorisme québécois. Cependant, son approche à l’égard du Québec s’inspire drôlement de Brimelow et est extrêmement provocatrice.

Harper a toujours été un partisan de la ligne dure à l’égard du Québec. Comme nous l’avons dit précédemment, Harper a rompu avec Preston Manning parce que ce dernier avait appuyé l’Accord du Lac Meech, l’Accord de Charlottetown et s’était prononcé pour une reconnaissance d’une déclaration d’indépendance du Québec. Sur cette dernière question, voici la position de Harper.

Peu après le référendum de 1995, il dépose à la Chambre des communes, à titre de simple député, un projet de loi privé, le projet de loi C-341 intitulé : « Loi déterminant les conditions auxquelles un référendum sur la séparation du Québec du Canada doit satisfaire pour être considéré comme l'expression véritable de la volonté de la population du Québec. »

Il parle de la nécessité d’une question claire, mais le projet de loi prévoit aussi la tenue d’un référendum fédéral le même jour que le référendum québécois avec un bulletin de vote comprenant deux questions, dont la deuxième pose carrément la question de la partition :

« a) le Québec devrait-il se séparer du Canada et devenir un pays indépendant sans lien juridique spécial avec le Canada - OUI ou NON ?

b) si le Québec se sépare du Canada, ma municipalité devrait-elle se séparer du Québec et continuer de faire partie du Canada - OUI ou NON ? »

S’ajoute à cela le fait, qu’après avoir franchi toutes ces embûches, la séparation du Québec du Canada devrait recevoir, selon le projet de loi de Harper, le consentement de toutes les provinces et de l’ensemble de la population canadienne lors d’un référendum pancanadien.

Plusieurs des dispositions du projet de loi de Stephen Harper seront reprises dans le jugement de la Cour suprême sur la sécession du Québec et, surtout, dans la Loi sur la Clarté parrainée par Stéphane Dion. Harper est donc le véritable père de la Loi sur la Clarté.


ou sa marginalisation à l’intérieur du Canada

Brimelow appuyait son argumentaire sur l’évolution démographique et économique du Canada. Les provinces de l’Ouest étaient en 1986 devenues aussi populeuses que le Québec. Cette évolution s’est poursuivie et accentuée depuis.

Des journalistes renommés du Canada anglais viennent de publier un livre intitulé The Big Shift, qu’on pourrait traduire par le Grand Revirement. Ce que Brimelow appelait la « nouvelle classe de la fonction publique », ils l’appellent « le consensus laurentien », qui décrit l’élite libérale de la fonction publique et des médias, et dont ils prédisent sa disparition.

Ils s’attardent aux changements démographiques du pays. Au fait que 20% de la population canadienne soit née à l’extérieur du pays. C’est 11,5% au Québec, mais 28% en Ontario et en Colombie-britannique. C’est 46% de la population de Toronto. 30% de celle de Vancouver.

C’est cette clientèle qui est courtisée par les Conservateurs, en mettant de l’avant les valeurs morales conservatrices dont Harper a parlées devant la Civitas Society : la famille, la sécurité, la lutte contre le crime, etc. C’est cette clientèle de nouveaux Canadiens des banlieues de Toronto et de Vancouver qui a donné à Harper sa majorité, dans une alliance avec l’électorat traditionnel anglophone de l’Ouest du pays.

Au plan économique, depuis les débuts de la Confédération, l’alliance des milieux d’affaires de Montréal et de Toronto a dominé le pays. Mais, aujourd’hui, l’axe Montréal-Toronto est remplacé par l’axe Toronto-Calgary, soit l’alliance entre les milieux financiers de Toronto et les pétrolières de l’Ouest.

C’est tellement vrai que dans un document de stratégie géopolitique publié en 2010 par le Conseil international du Canada, un centre de recherche parrainé et financé par l’élite économique du Canada, priorité est donnée aux relations avec l’Asie via le Pacifique et au développement de l’Arctique pour l’avenir économique du Canada. Dans ce document d’une centaine de pages, il n’est jamais fait mention du Québec.

Autre phénomène extrêmement important. L’élection du 2 mai 2011 a prouvé qu’un parti au Canada pouvait prendre le pouvoir sans représentation significative au Québec. C’est un changement considérable. Les modifications apportées à la carte électorale fédérale, pour refléter les transformations démographiques du pays, vont rendre permanente cette possibilité. À la prochaine élection, il y a aura 3 sièges de plus au Québec, mais 15 de plus en Ontario, 6 de plus en Alberta, 6 de plus en Colombie-Britannique.

Avec cette nouvelle donne, il est évident que le Québec n’a plus de rapport de force face au reste du Canada.

À l’époque, devant la montée du mouvement national québécois, Brimelow appuyait l’indépendance du Québec qui semblait inévitable, mais assortie de la partition de son territoire. Près de 30 ans plus, l’indépendance n’étant plus la menace qu’elle était, la marginalisation du Québec au sein du Canada est à l’ordre du jour.


Harper et le Québec

Il va être intéressant de voir quelle sera l’attitude de Harper à l’égard du Québec d’ici l’élection de 2015. Rappelons qu’au départ, Harper a courtisé le Québec. Il débutait tous ses discours en français, il a reconnu que les Québécois formaient une nation, il a donné au Québec un siège à l’Unesco.

En cherchant à séduire l’électorat nationaliste, il s’appuyait sur des précédents historiques d’alliance entre les conservateurs de l’Ouest et les nationalistes québécois. Pensons à l’alliance Diefienbaker et Duplessis. Ou à celle de Mulroney avec le René Lévesque du « beau risque ».

Harper a d’abord misé sur une relation privilégiée avec Jean Charest, un ancien conservateur, ne l’oublions pas. C’est dans cette perspective qu’il a accepté de régler le « déficit fiscal ». Mais il a rompu les ponts avec Charest quand celui-ci a utilisé l’argent d’Ottawa pour réduire les impôts plutôt que d’équilibrer le budget de la province.

Harper s’est ensuite tourné vers la CAQ de Mario Dumont. Mais ce fut un feu de paille.

Par la suite, il suivi avec intérêt la montée dans les sondages de François Legault. On se rappellera que le Journal de Montréal et Léger Marketing l’avaient à toutes fins pratiques proclamé premier ministre avant même qu’il ait fondé son parti! C’est sûr que Harper était très à l’aise avec la promesse électorale de la CAQ d’instaurer le vote obligatoire pour la syndicalisation.

Avec la déconfiture de la CAQ, que reste-t-il comme répondant québécois à Harper?

En fait, il ne lui reste, comme le soulignait Jean Lapierre, que Régis Labeaume!


Harper et PKP

Il sera intéressant de suivre au cours des prochains mois et des prochaines années la relation entre Stephen Harper et Pierre-Karl Péladeau. Les ambitions politiques de PKP sont un secret de polichinelle. La rumeur veut qu’il soit candidat pour le PQ dans la circonscription de St-Jérôme lors du prochain scrutin. La rumeur veut aussi qu’il aspire à diriger le PQ, advenant une défaite électorale et la démission de Mme Marois.

PKP a tissé des liens importants avec Harper. Ses journaux (Sun News) au Canada anglais ont appuyé ouvertement Harper lors de la dernière campagne électorale et ils soutiennent toujours ses politiques avec enthousiasme.

Chose certaine, la prochaine élection au Québec va être cruciale. Une victoire péquiste, avec un gouvernement majoritaire, relancerait le Québec, le mettrait en meilleure position face à Ottawa, et ouvrirait la voie à un nouveau référendum. Un gouvernement majoritaire péquiste aurait aussi pour effet de relancer le Bloc Québécois à Ottawa.

Par contre, une défaite du PQ serait désastreuse pour le Bloc à Ottawa, nous ramènerait les Libéraux au pouvoir, et comporterait le risque de voir PKP prendre la tête du Parti Québécois, ce qui ne serait pas de très bonne augure pour le mouvement syndical.

Brimelow prédisait que l’indépendance du Québec ferait remonter à la surface le vieux fond conservateur du Québec. À voir aller les choses, il se peut que ce vieux conservateur émerge, non pas de l’indépendance, mais de la marginalisation croissante du Québec dans le Canada.

Alors, si on ne veut pas que cela survienne, il faut que les organisations syndicales se retroussent les manches et s’impliquent sur le terrain politique.

Pour ma part, je l’ai fait avec Marc Laviolette, Monique Richard, Martine Ouellet et plusieurs autres syndicales et progressistes au sein du SPQ Libre et c’est un bilan d’étapes que nous décrivons dans ce livre que nous venons de publier : Le SPQ Libre et l’indépendance du Québec. Dix ans de lutte au sein du Parti Québécois. Que je vous invite à lire.

Merci de votre attention.

Pierre Dubuc