Facteur : métier en voie de disparition ?

2013/12/12 | Par Maude Messier


Postes Canada mettra fin à la livraison du courrier à domicile progressivement à compter de mars prochain. Ce mercredi, la société de la Couronne a annoncé une série de mesures devant lui permettre de dégager des économies annuelles de l’ordre de 700 à 900 millions $ afin de renouer avec la viabilité financière d’ici 2019.

« On n’est pas vraiment surpris, ça circulait depuis un moment, mais c’est de la façon dont ça se fait », d’expliquer Alain Duguay, président de la section locale de Montréal du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), joint par l’aut’journal.

« Le gouvernement Harper et Postes Canada règlent ça entre eux. On ne sait rien, on l’apprend aujourd’hui en même temps que toute la population, par les médias, comme nos membres. C’est assez insultant. »

Actuellement, le tiers des ménages canadiens reçoivent leur courrier directement à la maison. La transition aux boîtes postales communautaires et la réduction des effectifs qui s’y rattache devraient se traduire par des économies de 400 à 500 millions $ par année.

De 6 000 à 8 000 emplois seront abolis, principalement par attrition, fait valoir Postes Canada, qui s'attend à ce que près de 15 000 employés prennent leur retraite ou quittent l'entreprise au cours des cinq prochaines années, lui donnant ainsi la marge de manœuvre voulue pour réduire les effectifs.

Alain Duguay ne pouvait pas commenter directement les chiffres de Postes Canada mercredi après-midi. « On n’a pas plus de données que vous là-dessus. Ce que je peux dire par contre, c’est que de notre côté, ça fait des mois qu’on dénonce que Postes Canada est en mode réduction de services. Nous, on pense que Postes Canada doit donner un service postal public universel de qualité. Il y a des moyens pour arriver à ça, de façon rentable. Ça fait des mois qu’on tente de rencontrer l’employeur pour discuter de solutions pour assurer la viabilité financière de Postes Canada. Là, il est juste question de coupures et de réduction de services. »


Payer plus cher pour moins de services

Pour M. Duguay, les boîtes postales ne sont pas une solution. Si Postes Canada fait valoir que les deux tiers de la population reçoivent déjà leur courrier dans une boîte postale communautaire, multiple ou en bordure de route, « ce n’est pas une raison pour diminuer le service partout. En ville, ce n’est pas la même dynamique. Qu’arrivera-t-il des personnes âgées, des personnes handicapées? Leur mode de vie est adapté à la ville. »

Postes Canada précise que les boîtes postales communautaires sont équipées de compartiments verrouillés, plus sécuritaires pour les colis. Alain Duguay rétorque qu’il y a de mauvaises expériences avec les boîtes postales dans les grandes villes, notamment à Vancouver, où de nombreux cas de vols et de vandalisme sont rapportés selon le STTP.

« C’est un problème. Quand la boîte aux lettres est à côté de la porte d’une maison, ce n’est pas comme au coin d’une rue ou dans un coin plus sombre. Puis, il y a la question de l’environnement aussi. Vous devriez voir les papiers par terre autour des boîtes. »

L’ère numérique provoque des bouleversements incontournables chez Postes Canada qui voit son volume de lettres diminuer sans cesse. En 2012, la société affirme avoir traité un milliard de lettres de moins qu’en 2006.

Par contre, le développement du commerce électronique est en nette hausse. Dans un communiqué publié le 9 décembre dernier, Postes Canada constate « une augmentation de 20 % des volumes de colis du régime intérieur depuis la troisième semaine de novembre par rapport à la même période de l'an dernier. »

Les volumes de colis des plus gros clients de commerce électronique de Postes Canada ont augmenté de 17 % partout au Canada depuis l’an dernier. Le Québec a connu la plus forte augmentation avec 24 %.

Postes Canada soutient que la concurrence est forte dans le secteur de la livraison des colis et que ses coûts de main-d’œuvre sont un obstacle.

« Ça fait longtemps qu’on dit qu’il faut diversifier les services et orienter davantage vers la livraison des colis. Postes Canada est en retard sur les concurrents, par sa faute. Pourquoi avoir investi des millions dans la transformation postale et commencer seulement maintenant à implanter les technologies pour les colis? »

Postes Canada haussera les tarifs pour les envois de lettres à l’intérieur du Canada, faisant passer le coût des timbres de 0,63 $ à 0,85 $ chacun, si achetés en carnets ou en rouleaux, et à 1 $ chacun si achetés à l’unité. Cette nouvelle tarification générera de 160 à 200 millions $ par année.

Le syndicat craint que cette hausse ne pousse les entreprises à se tourner vers d’autres solutions, ce qui nuirait alors considérablement à la société. Une inquiétude que partage aussi la Fédération canadienne des entreprises indépendantes, bien que les deux organisations ne s’entendent pas sur les solutions à privilégier.

Postes Canada compte aussi sur le renforcement des ventes au détail par l’augmentation des comptoirs concessionnaires, en partenariat avec des commerces déjà établis, pour un total de 40 à 50 millions $. « Plusieurs achats en un endroit, idéal pour les Canadiens occupés », indique-t-elle.

Alain Duguay insiste sur le fait que depuis janvier 2012, Postes Canada a fermé 36 bureaux de poste au Canada, dont 12 à Montréal et huit autres au Québec.

« Les employés des franchisés ne sont pas des employés de Postes Canada, ils n’ont pas les mêmes conditions de travail ni la même formation. C’est du nivellement vers le bas et de la précarisation », affirme Alain Duguay.

La rationalisation des opérations internes, ou la transformation postale, déjà en phase d’implantation à travers le Canada, devrait permettre de faire des économies de 100 à 150 millions $ par année grâce notamment au tri informatisé et à la motorisation des itinéraires, permettant aux facteurs de faire plus de livraisons, courrier et colis à la fois.

« On a des problèmes de surcharge de travail liés à ces restructuration, de santé et de sécurité, soutient le président de la section locale de Montréal, visiblement exaspéré. Pourquoi avoir bouleversé et investi dans la restructuration du tri et de la livraison des lettres alors qu’il n’y en aura plus? Je n’en sais rien. Ça fait des mois que les relations sont tendues, que les routes changent, que les facteurs finissent à des heures pas possibles, qu’ils se blessent parce qu’il fait noir et que les nouvelles méthodes de travail sont dangereuses. Qu’est-ce que le plan va changer dans leur quotidien? Il est trop tôt pour vous le dire. »

À ces économies, la société de la Couronne ajoute qu’elle entend diminuer ses coûts de main-d’œuvre par l’attrition et la négociation collective.

« Un effectif réduit permettra à Postes Canada d'être une entreprise plus flexible et concurrentielle, capable de s'adapter rapidement à un marché en constante évolution », peut-on lire dans un communiqué publié mercredi, ajoutant qu’elle entend régler pour de bon les problèmes liés à son régime de retraite déficitaire.

Rappelons que la dernière négociation entre Postes Canada et le STTP s’est soldée par l’imposition d’une loi spéciale. Les parties ont finalement conclu une entente, le syndicat préférant une convention négociée à une convention imposée en arbitrage dont les balises avaient déjà été prescrites par le gouvernement conservateur dans la loi spéciale.

« Nous, on va poursuivre nos campagnes de sensibilisation et d’information pour l’amélioration et la diversification des services, comme l’offre de services bancaires et un virage vers la livraison de colis. On va tout faire pour ne pas arriver à ça. »

Depuis plusieurs années, la dégradation progressive des services postaux, les mauvaises relations de travail, les problématiques liées aux restructurations du travail font dire à plusieurs qu’il n’y a pas de meilleure façon pour privatiser un service public que de le rendre médiocre. Alain Duguay est d’avis que ce plan d’action prend définitivement cette tangente.