OMC : 9ème ministérielle de Bali

2013/12/12 | Par Maxime Combes


L’auteur est membre d'Attac France et de l'Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives

La 9ème ministérielle de l'OMC à Bali (Indonésie) ne devait pas être une réunion de négociations. Le nouveau directeur général de l'OMC, Roberto Azevedo, souhaitait y arriver avec un accord finalisé que les ministres n'auraient eu qu'à valider. Aucun accord n'ayant été atteint lors de la dernière session de négociations à Genève, les négociations se sont poursuivies à Bali après un coup d'éclat médiatique d'Azevedo ayant déclaré que ce n'était ni plus ni moins que « l'avenir de l'OMC » qui était en jeu à Bali.

Comportant une dizaine de textes portant sur trois sujets principaux, à savoir « la facilitation des échanges », « l'agriculture » et le « développement », le paquet de Bali ne porte que sur une petite partie de l'agenda du « cycle de développement » initié à Doha il y a 12 ans et jusqu'ici bloqué.

En s'accordant sur le paquet de Bali, premier accord depuis la naissance de l'OMC en 1995, les pays membres de l'OMC, désormais au nombre de 160 depuis l'adhésion du Yémen, ont-ils ouvert une nouvelle expansion des politiques de libre-échange et d'investissement au sein de l'OMC que les importantes mobilisations de la société civile, notamment à Cancun en 2003, et les désaccords intervenus entre les pays membres, notamment sur l'agriculture, avaient jusqu'ici limité ?


Psychodrames habituels !

A chaque conférence internationale, son lot de psychodrames et conflits diplomatiques montés en épingle. A Bali, les négociations ont principalement achoppé sur deux points. Le premier concerne les politiques agricoles. Les pays industrialisés, les Etats-Unis en tête, se sont longtemps opposés à une proposition provenant du G33, un groupe de 46 pays « en développement », dont l'objectif annoncé visait à leur permettre de soutenir les paysans et leur agriculture, réduire les risques de famine et atteindre leurs objectifs du millénaire en termes d'alimentation.

Dans le but d'assurer leur « sécurité alimentaire », ces pays, l'Inde en tête, exigeaient de pouvoir mettre en oeuvre des politiques d'achats de stocks à prix administrés, de subventions agricoles et de mesures compensatoires qui sont très fortement limitées et sanctionnées par l'OMC lorsqu'elles dépassent certains seuils. Ces seuils étant fixés avantageusement en faveur des « pays développés », la proposition visait à obtenir un engagement de ces derniers à ne pas poursuivre les « pays en développement » et leurs politiques de « sécurité alimentaire » le temps que « soit trouvé une solution permanente ».

Les Etats-Unis, refusant de trop grandes concessions, ont finalement obtenu que l'Inde accepte une solution transitoire, nommée « clause de paix »1, encadrée par de nombreuses conditions. Si la référence au fait de « trouver une solution permanente » est bien présente, ce qui semble satisfaire l'Inde, il n'est nulle part précisé quelle forme pourrait prendre cette solution et si elle doit consister en une revoyure partielle ou totale des chapitres du GATT consacrés à l'agriculture.

Il est seulement indiqué qu'une telle solution devra être adoptée d'ici quatre ans, lors de la 11ème conférence ministérielle. Par ailleurs la clause de paix ne s'applique que pour les seules cultures de base d'un régime alimentaire d'un pays, restreignant son champ d'application.

Elle n'est valable que pour les seules politiques de « sécurité alimentaire » existantes à ce jour, et ne pourra couvrir d'éventuelles nouvelles politiques, en Inde ou ailleurs, qui pourront donc être poursuivies devant l'Organe de règlement des différends de l'OMC. Par ailleurs, elle ne concerne que la constitution de stocks à prix administrés et non les subventions agricoles et mesures compensatoires (ASCM).


Une « clause de paix » au rabais !

Au final, si l'on y rajoute quelques limites et conditions procédurales complexes, la « clause de 1 La « clause de paix » engage les membres de l'OMC à ne pas se poursuivre devant l'Organe de règlement des différends – ORD - de l'OMC en attendant une évolution des règles à l'origine du conflit paix » s'appliquera principalement et quasi exclusivement aux dispositifs existants en Inde.

Par contre elle hypothèque toute possibilité de généralisation des politiques de sécurité alimentaire, qui plus est de souveraineté alimentaire, dans les années à venir. Ce qui a fait dire à certains négociateurs du G33 que l'Inde ne négociait que dans la poursuite de son propre intérêt, sans se soucier des besoins et intérêts des autres membres du groupe.

La Via Campesina note de son côté que cette clause de paix est une absurdité puisqu'aucun pays ne devrait avoir à mendier auprès de l'OMC le droit de garantir le droit à l'alimentation, et que les politiques agricoles devraient être exclues de l'OMC.


Le blocus de Cuba pouvait-il faire dérailler les négociations ?

Le second psychodrame s'est noué lors du dernier jour de négociations, ce vendredi 6 décembre. Alors que les différents textes comprenaient de nombreux passages entre crochets, c'est-à-dire non encore validés, le directeur général de l'OMC Roberto Azevedo a proposé un texte finalisé, sur la base des réunions bilatérales tenues lors des dernières quarante-huit heures.

Parmi les paragraphes supprimés se trouvaient ceux proposés par Cuba pour remettre en cause l'embargo commercial des Etats-Unis sur Cuba qui dure depuis plus de 50 ans. La suppression, unilatérale brutale et irrespectueuse, de ces paragraphes, a attisé la colère de Cuba et des pays de l'Alba représentés à Bali.

Dénonçant un texte déséquilibré au seul profit des pays les plus riches et de leurs multinationales, ils ont exigé une modification substantielle du texte. Sans accord sur le texte, les négociations ont été prolongées de plus de 12 heures. Au final Cuba a obtenu qu'il soit fait mention de l'Article V du GATT et de son principe de non-discrimination qu'ils espèrent pouvoir utiliser contre le maintien de l'embargo.

Au passage, alors que les paragraphes initiaux étaient intégrés à l'accord sur la Facilitation des échanges, la mention obtenue n'a été rajoutée que dans la seule déclaration ministérielle adjointe aux accords validés à Bali, plus rhétorique que normative.

La partie agricole des négociations comportait également un volet exportations. A en croire la ministérielle de Hong Kong en 2005, toutes les subventions aux exportations agricoles devaient être éliminées d'ici 2013. C'est loin d'être le cas, pour le bénéfice du modèle agricole américain notamment.

A Bali, il a été juste rappelé que « la concurrence à l'exportation reste une priorité pour le programme de travail post-Bali ». Autre promesse faite à Hong Kong, la remise à plat du volet coton, qu'exige depuis longtemps les pays africain,s n'a pas avancé puisqu'il est simplement annoncé qu'il y aura des « discussions dédiées » dans le programme de travail post-Bali.


Le « cycle du développement », une promesse sans lendemain

Si le paquet de Bali intègre une partie en faveur des « pays les moins développés » (Least Developed Countries – LDC), il ne comporte rien de substantiel ou de significatif. La mise en oeuvre effective d'un traitement spécial et différencié et d'un mécanisme de contrôle restent de vieilles promesses non tenues, aujourd'hui à l'état de déclaration. Leur mise en oeuvre ne bouleversera pas la donne, tandis qu'il est assez choquant que ces mesurettes destinées aux pays les plus pauvres de la planète aient été utilisés comme monnaie d'échange dans ces négociations.

Alors que le cycle de Doha avait été annoncé comme celui « du développement », supposé apporter un avenir meilleur et plus juste à la majorité des populations de la planète, le résultat de Bali montre à quel point cette affirmation était sans fondement.


Les multinationales choyées

Finalement, c'est du côté volet « Facilitation du commerce » de ces négociations qu'il faut regarder pour trouver des engagements réellement contraignants. Alors que les échanges commerciaux n'ont augmenté que de 0,02 % en volume en 2012 par rapport à 2011, marquant un net ralentissement des échanges après deux années de hausse importante, cet accord s'inscrit clairement dans une perspective d'expansion des échanges commerciaux à l'échelle mondiale.

Schématiquement, tous les Etats membres, dont les plus pauvres, s'engagent à simplifier les procédures douanières et à mettre à niveau leurs appareils réglementaires et logistiques afin de réduire les coûts des transactions commerciales. Les pays du Nord, et les lobbies privés, ont fait valoir que ces derniers pourraient diminuer de 10 %.

Les derniers chiffres annoncés, de l'ordre de 1000 milliards de dollars d'économie et de création de 21 millions d'emplois à l'échelle mondiale, paraissent totalement fantaisistes.

Par ailleurs, comprenant des exigences de libéralisation et d'accès facilités aux marchés, les mesures de « facilitation des échanges » seraient extrêmement coûteuses à mettre en oeuvre pour les « pays en voie de développement » et profiteraient surtout aux entreprises multinationales, sans que les pays industrialisés ne fournissent une assistance technique et financière pour leur mise en oeuvre.

Le Rapport sur le commerce mondial 2013 de l'OMC indique que 1% des entreprises d'imports exports concentrent 80% des exportations américaines, que 85% des exportations européennes sont dans les mains de 10% de grands exportateurs et que les 5 plus grandes entreprises d'imports exports des pays en développement sont en charge de 81% de leurs exportations.

L'accord de facilitation des échanges va donc surtout profiter à ces multinationales et au secteur privé, alors que sa mise en oeuvre va terriblement peser sur les budgets des pays les plus pauvres.


Les prémices d'une finalisation du cycle de Doha ?

Salué comme un immense succès par l'essentiel des négociateurs et commentateurs, le paquet de Bali est annoncé comme celui qui a sauvé et relégitimé l'OMC et le multilatéralisme commercial et qui va permettre de finaliser le « cycle de Doha ».

Si la déclaration ministérielle prévoit bien d'établir dans les douze mois « un programme de travail clairement défini sur les questions en suspens du cycle de Doha », il faut noter que le paquet de Bali comportait tout au plus 10 % de l'ensemble du programme de travail établi à Doha, la majorité des sujets importants (services, etc.) restant non achevés.

Par ailleurs, si cet accord est le premier que l'OMC parvient à conclure depuis 1995, l'institution reste largement délégitimée et court-circuitée par la multiplication des accords de libre-échange et d'investissement bilatéraux. Les mêmes qui se félicitent de cet accord à l'OMC et de la relance du multilatéralisme en matière commerciale négocient actuellement des accords bilatéraux aux ambitions extrêmement larges.

Par ailleurs, le débat est-il réellement entre multilatéralisme et bilatéralisme ? Ou bien entre poursuite et expansion des politiques de libre-échange et d'investissement destructrices des économies et productions locales et vivrières, et mise en oeuvre de politiques commerciales justes et démocratiques, centrées sur les droits des êtres humains et de la nature.

Saluer l'accord de l'OMC à Bali revient à se féliciter d'un accord sur la « facilitation des échanges » contraignant les pays au profit des multinationales et de quelques promesses non tenues mais réaffirmées en faveur des pays pauvres.

Les négociations ont échoué à assurer une protection permanente du droit à l'alimentation des populations, au risque d'exposer des centaines de millions de personnes à la faim et la famine dans le seul but de satisfaire au dogme de l'expansion des échanges commerciaux. Il serait temps de mettre fin à cette mascarade et de reconnaître les dégâts qu'ont suscité de telles politiques depuis de nombreuses années, et d'en tirer toutes les leçons.