La social-démocratie confrontée aux écueils de la participation citoyenne

2014/01/03 | Par Jacques Fournier

L’auteur est organisateur communautaire retraité

Dans une perspective social-démocrate, la participation citoyenne, la délibération publique et la recherche de consensus sociaux sont des ingrédients majeurs dans la quête d’une société plus juste, plus égalitaire et plus fraternelle. Il est important -- et même essentiel -- que les citoyennes et les citoyens s’impliquent, signent des pétitions, présentent des mémoires aux commissions parlementaires, etc.

De même, les mouvements sociaux se doivent de participer aux sommets socio-économiques et autres outils de recherche de terrains d’entente. Mais force est de constater que certaines situations récentes tendent à démontrer que les mécanismes de la participation citoyenne sont parfois piégés : il faut en être conscients.

Ces quelques réflexions s’inspirent, entre autres, d’un substantiel colloque sur la délibération publique, organisé par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), en collaboration avec le Collectif pour le renouvellement de la social-démocratie, tenu à l’UQAM les 29 et 30 novembre 2013.


Le consensus du 1996

La première situation qui pose des interrogations est celle des suites de ce qu’on a appelé le consensus de 1996. Cette année-là, un sommet socio-économique réunissant les grands partenaires (l’État, le patronat, le monde coopératif, les syndicats, les groupes communautaires) avait, dans le but de créer des emplois de qualité, convenu de favoriser la mise en place des entreprises d’économie sociale en aide domestique (EESAD).

Un partage des tâches précis avait été reconnu entre le secteur public et celui de l’économie sociale. En gros, le secteur public (les auxiliaires familiales des CLSC) continuait à fournir les services à la personne (bains, etc.) tandis que les EESAD prendraient en charge l’entretien ménager, etc.

Et tous et toutes reconnaissaient l’importance de l’objectif que les salaires des employées des EESAD les placent au-dessus du seuil de pauvreté car il s’agissait « d’éviter la création de ghettos d’emplois féminins sous-payés ». Bref, poignées de mains, mains sur le coeur, déclarations solennelles du premier ministre Lucien Bouchard, toutes et tous ensemble vers la justice sociale.

Mais voilà que, 17 ans plus tard, le ministre Réjean Hébert, toute honte bue, présente un Livre blanc sur la création d’un régime d’assurance autonomie qui fait fi du consensus de 1996 et propose que les EESAD envahissent le champ des services à la personne, balayant au passage la gratuité actuelle de ce service public.

Ce dossier n’est pas mineur : il concerne plus de 12 000 travailleuses, incluant celles des EESAD et du secteur public. Or, la lutte à la pauvreté n’est pas moins importante en 2013 qu’en 1996. Quelle sera dorénavant la crédibilité d’un gouvernement péquiste de convoquer d’autres tels sommets et de demander à ses partenaires sociaux : « Assoyons-nous ensemble pour convenir de projets collectifs faisant consensus » ? 


La réingénierie

L’autre situation qui met à mal les processus de participation, ce sont les exercices actuels de réingénierie dans le réseau de la santé et des services sociaux. Dans le cadre de ce qu’on appelle la Nouvelle gestion publique (NGP), la mode est à la méthode Toyota et autres appellations de la même farine de soja.

Le patron s’assoit avec les employés pour améliorer l’efficience et l’efficacité des services. En toile de fond : comment presser davantage le citron ? La résultante constatée est une industrialisation, voire une déshumanisation des services.

Ce qui s’est avéré efficace dans le domaine de l’industrie (automobile, etc.) entraîne des aberrations dans le secteur des services à la personne : par exemple, trente minutes seulement pour un suivi de deuil, etc.

L’implication des travailleuses et travailleurs dans l’organisation du travail est un ingrédient de la social-démocratie, comme les pays scandinaves l’ont démontré, et cela se fait par l’intermédiaire et grâce au dynamisme des syndicats.

Une approche gagnant-gagnant est recherchée de part et d’autre : le patron augmente la productivité de ses installations et, en échange, le personnel améliore sa qualité de vie au travail. Mais ce n’est pas ce qu’on observe aujourd’hui sur le terrain : le personnel est perdant, les usagers aussi.

Le gouvernement comme employeur utilise le même modèle, le même schéma que le gouvernement en tant que promoteur supposé du Bien public. Dans la dernière édition de L’État du Québec 2013-2014, publiée par l’Institut du nouveau monde (INM) et éditée chez Boréal, le texte « Le débat public à l’ombre du management », de Florence Piron, fait ressortir que les consultations effectuées par les gouvernements sont souvent devenues de simples opérations de marketing : « Cette vision de la consultation des citoyens-clients est à la base de la conception managériale du débat public. Selon cette perspective, il est intéressant de se mettre à l’écoute de la pluralité des idées et des valeurs de citoyens dans la mesure où cela peut renseigner les décideurs sur la manière dont leurs projets, notamment économiques ou de transformation de l’État, seront reçus par la population » (p. 93).

Il semble que les gouvernements, sous couvert de participation citoyenne large, aient parfois un objectif très précis : faire semblant d’être largement à l’écoute alors qu’ils veulent essentiellement et uniquement augmenter la productivité de leurs services : « Une déclaration récente du gouvernement du Québec l’illustre bien : Un gouvernement ouvert, c’est un gouvernement qui encourage la participation en plaçant les citoyens au coeur du processus décisionnel de l’État. L’apport du public est essentiel à l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience du gouvernement. Alors que la première phrase semble évoquer un idéal de démocratie participative, la deuxième circonscrit l’objectif de cette participation : l’amélioration de la performance managériale de l’État (...) » (p. 94).

Bref, il faudra dorénavant être très critique envers les discours gouvernementaux de participation publique car les puissances étatiques ne respectent plus guère les règles du jeu.

Pendant combien de temps le rouleau compresseur du néo-libéralisme continuera-t-il à faire des ravages dans les espoirs tenaces de la social-démocratie ? Comment créer un rapport de force pour contrer les écueils et débusquer les ratés de la participation citoyenne ?