Les centrales syndicales au diapason contre le gouvernement Harper

2014/01/08 | Par Maude Messier


« Jamais le mouvement syndical n’a eu aussi peu d’influence sur les politiques canadiennes. C’est du jamais vu avec ce gouvernement, dans son discours et, surtout, dans ses pratiques antisociales et antisyndicales », de déclarer le président de la CSN, Jacques Létourneau, en conférence de presse ce mardi.

En janvier, il est de tradition que les centrales syndicales dressent le bilan de l’année qui vient de passer et présentent les enjeux prioritaires qui les occuperont au cours des prochains mois.

La FTQ a lancé le bal dimanche dernier en appelant les syndicats à la mobilisation contre le «régime conservateur» et les «attaques de la droite». Lundi, la CSQ affirmait vouloir faire de 2014 l’année du syndicalisme et rendre «ses lettres de noblesse» au mouvement. Mardi, la CSN déclarait vouloir mettre un terme à la «récession sociale» et réhabiliter un discours revendicateur au plan politique.

Contexte économique défavorable, austérité budgétaire, importantes pertes d’emplois syndiqués au profit de la création d’emplois non-syndiqués et mal rémunérés, domination du discours économique néolibéral, organisation stratégique du patronat; force est de reconnaître que les syndicats n’ont pas la cote. Et le gouvernement conservateur a su utiliser ces failles dans l’opinion publique.

Avec le projet de loi C-377, il laisse sous-entendre que les organisations syndicales font preuve de déficits démocratiques et de manque de transparence. Avec C-525, il instaure le vote obligatoire pour toute requête en accréditation syndicale pour les travailleurs sous juridiction fédérale. Avec le projet de loi omnibus C-4, il modifie unilatéralement les règles en matière de relations de travail dans la fonction publique et s’arroge le pouvoir de déterminer quels devraient être les services essentiels, limitant considérablement le recours à la grève pour les fonctionnaires fédéraux.

À cette offensive législative, il faut ajouter les incursions dans des négociations (Postes Canada, Air Canada et Radio-Canada), l’imposition de la réforme de l’assurance-emploi et l’abolition progressive du crédit d’impôt aux fonds de travailleurs.

Le président de la CSN parle d’une «offensive idéologique» des conservateurs à l’endroit des organisations syndicales, mais aussi de tout groupe d’intérêts, d’organisations à but non lucratif et groupes de défenses des droits des femmes, des immigrants, etc. qui représentent une opposition à leurs idéaux.

C’est l’action politique des syndicats qui est au centre de cet affrontement idéologique. Les syndicats sont la seule véritable opposition organisée et financièrement en moyen d’affronter la droite néolibérale. Confiner les syndicats à la simple négociation collective, c’est museler tout un pan de la société civile.

Et c’est précisément l’inverse que les syndicats ont la ferme intention de faire, à en croire ce que les leaders syndicaux ont déclaré cette semaine.

Il y à peine deux ou trois ans, les sorties du député conservateur Pierre Poilièvre en faveur de l’abolition de la formule Rand et du vote obligatoire apparaissaient comme de la simple provocation. Aujourd’hui, dans les directions syndicales, on ne doute plus qu’advenant l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire en 2015, le prochain cheval de bataille de ce gouvernement sera l’abolition de la formule Rand.

Pour les centrales syndicales, l’objectif est clair : sortir les conservateurs du pouvoir en 2015.


États généraux sur le syndicalisme

Le Congrès de la FTQ a adopté en novembre dernier une résolution en faveur de la tenue d’États généraux sur le syndicalisme et le nouveau président de la fédération, Daniel Boyer, a confirmé cette semaine qu’il s’agissait d’un mandat prioritaire pour 2014.

Une idée qui se trouve aussi dans les cartes de la CSQ. « Il y a cette volonté de grand rendez-vous et la dernière année le confirme. Mais ça ne doit pas se faire juste entre-nous », d’indiquer la présidente Louise Chabot en entrevue à l’aut’journal.

À son avis, des États généraux devront inclure les partenaires et les alliés du mouvement syndical québécois, comme les différentes organisations syndicales canadiennes, les organisations communautaires, les groupes sociaux, des représentants de la société civile et des politiciens.

« Redonner ses lettres de noblesse au mouvement syndical, reconquérir cette crédibilité auprès des membres et de la société. Oui, l’image du syndicalisme est écorchée, affirme-t-elle, mais il ne faut pas se laisser aller sur cette pente glissante. Les syndicats sont des acteurs sociaux majeurs et un rempart contre les inégalités. »

Si aucune date n’est encore confirmée, Louise Chabot confirme qu’une rencontre de l’Alliance sociale, qui regroupe un certain nombre d’organisations syndicales et étudiantes, doit avoir lieu en janvier et que la question des États généraux pourrait bien être à l’ordre du jour.

À la CSN, on estime aussi qu’une convergence des forces d’opposition aux politiques conservatrices du gouvernement Harper doit être mise en place. En conférence de presse, Jacques Létourneau a dit oui à la tenue d’États généraux, une proposition qui figure aussi dans les cartons de la CSN.

Mais il a ajouté que cette convergence devrait s’incarner dans «quelque chose de plus large». Le Forum des peuples, qui doit se tenir à Ottawa à la fin de l’été prochain, incarne, à son avis, cette opportunité d’une mobilisation politique importante qui « doit aller au-delà de l’opposition syndicale. »


Pendant ce temps, à Québec…

2014 sera probablement une année d’élection au Québec. À cet effet, la CSN est la plus sévère à l’endroit du gouvernement péquiste, lui reprochant de ne pas avoir pu s’affirmer davantage en matière de développement social et de ne pas avoir su profiter du contexte fédéral pour faire avancer la cause souverainiste, «ménageant la chèvre et le choux».

Les trois organisations saluent toutefois le report de l’atteinte du déficit zéro qui, par le biais de politiques d’austérité, induit une pression énorme sur réseau public et menacent la qualité des services rendus à la population.

La CSQ maintient le cap dans ses revendications sur la nécessité de tenir un vaste débat sur la fiscalité. « Les gouvernements successifs ont refusé d’aborder la question des revenus de l’État. » Selon Mme Chabot, pour briser le cercle vicieux des mesures d’austérité, des compressions et des réductions des services, la CSQ propose trois solutions : taxer les véhicules de luxe et leurs émissions de CO2, restreindre les abris fiscaux et les crédits d’impôts des plus nantis et revoir l’aide aux entreprises.

« Il faut voir la fiscalité et la question des revenus à moyen et long terme, dans l’intérêt de tous. Ce n’est pas une affaire de syndicats et de négociation. Avec ces revenus additionnels, on pourrait réinvestir en santé et en éducation. Pour nous, c’est clair que c’est la base. À lui seul, le réseau de l’éducation a subi des compressions 500 $ millions pour les trois dernières années. Il y a des limites. »

À la FTQ et à la CSN, le dossier de la retraite occupe toujours une place importante, que ce soit sur la question de la bonification des régimes public ou encore l’avenir des régimes complémentaires. Ce sera assurément un des dossiers les plus actifs en 2014 avec les négociations entre les syndicats, les municipalités et les employeurs sur l’avenir des régimes à prestations déterminés.