La gouvernance souverainiste et la fonction publique fédérale

2014/01/10 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Les auteurs sont respectivement président et secrétaire du SPQ Libre.

Lors d’une intervention aux États généraux sur la souveraineté dans la ville de Québec, au mois de mai 2012, Jacques Parizeau déclarait regretter sa promesse, faite lors du référendum de 1995, d’intégrer à la fonction publique québécoise tous les fonctionnaires fédéraux.

S’appuyant sur les travaux de Pierre Drouilly, M. Parizeau précisait : « Politiquement, ça ne nous a pas donné une voix dans l'Outaouais. Et ça nous en a fait perdre pas mal à Québec, où les gens se sont dit : on risque de perdre notre job! C'était donc un mauvais choix politique. C'était aller trop vite en affaires. On n'a pas suffisamment réfléchi ».

Près de vingt ans plus tard, il nous semble pertinent de « réfléchir » à nouveau à la question d’autant plus que le contexte et le statut de la fonction publique fédérale ont changé.


Dégradation de la fonction publique fédérale

Dans un article publié récemment dans le Globe and Mail (14 novembre 2013), le journaliste Konrad Yakabuski raconte comment « faire carrière dans la fonction publique fédérale » a déjà été le rêve de plusieurs. Mais qu’il ne l’est plus.

Yakabuski cite des chiffres intéressants. Depuis son arrivée au pouvoir en 2006, le gouvernement Harper a retranché 25 000 emplois dans la fonction publique avec des compressions dans le personnel des services sociaux, de la recherche, de la protection du public (contrôle de la qualité des aliments, transports, etc.), du personnel scientifique (laboratoires, recensement, etc.)

Cependant, fait remarquer Yakabuski, la fonction publique fédérale comprend tout de même aujourd’hui 25 000 employés de plus qu’en 2006! Mais ce sont des emplois créés essentiellement dans les services douaniers, le service correctionnel (les prisons), la GRC et les autres agences de sécurité.

Donc, suppression d’emplois de l’État-providence, mais création d’emplois dans les fonctions étatiques néolibérales classiques, dédiées à la protection de la propriété privée.

Cette transformation s’est accompagnée d’une attaque en règle contre les fonctionnaires et leurs organisations syndicales. Rejet de la reconnaissance de l’équité salariale, vote obligatoire pour la syndicalisation (C-525) et, maintenant, possibilité pour le gouvernement de décréter unilatéralement quels emplois sont considérés comme des services essentiels (C-4), sonnant ainsi, à toutes fins pratiques, le glas de la liberté de négociation, et sans oublier la menace de l’abolition de la formule Rand.

Ajoutons à cela que le dernier congrès conservateur s’est prononcé pour la transformation du régime de pensions des fonctionnaires, passant d’un régime à prestations déterminées à un régime à cotisations déterminées.


Profiter d’un changement de garde générationnel

Une autre donnée conjoncturelle importante à considérer, signalée par Stéphane Gobeil dans son livre « Un gouvernement de trop » (VLB éditeur, 2012), est que le quart des employés de la fonction publique fédérale étaient admissibles à la retraite au cours de la période 2012-2017 et qu’ils seront encore plus nombreux d’ici la fin de la décennie, si on considère que les baby-boomers représentent les deux-tiers des effectifs. La situation est la même, souligne Gobeil, au sein de la fonction publique québécoise.

Cette conjoncture nouvelle ne signifie toutefois pas qu’on puisse se contenter de promettre d’intégrer automatiquement à la fonction publique québécoise tous les fonctionnaires fédéraux non admissibles à la retraite.

Des propositions concrètes d’intégration selon les ministères concernés et les besoins d’un Québec indépendant devront être produites. Dans « Un gouvernement de trop », Stéphane Gobeil a jeté les bases des travaux préparatoires à une telle démarche avec une analyse fine, ligne par ligne, ministère par ministère, des comptes publics.


Pour des propositions concrètes

Son analyse corrobore celle de Konrad Yakabuski sur la hausse vertigineuse depuis 1998 des budgets de la sécurité (+ 450 %), des Douanes et des Services frontaliers (+299 %), de la GRC (+ 156 %), du système correctionnel (+ 93 %), du Renseignement (+205 %).

À ce chapitre, Gobeil évalue à plus de 505 millions $ les économies potentielles entre la quote-part actuelle du Québec dans le système fédéral et la facture de la Sécurité publique d’un Québec indépendant.

Pour chaque ministère, Gobeil procède aux mêmes calculs. Il y a des cas extrêmes comme la suppression de l’Agence du revenu du Canada, découlant de la production d’un seul rapport d’impôt, qui permettrait des économies évaluées à 666 millions $.

Dans d’autres cas, comme pour les Affaires autochtones, l’Agriculture, la Justice, l’Environnement, les Ressources humaines, les Ressources naturelles, la Santé, la fin des chevauchements permettra des économies substantielles. Cependant, des fonctions assumées par le gouvernement central et certains organismes fédéraux devront être rapatriés au Québec avec un certain nombre de leurs fonctionnaires.

Aux Affaires étrangères et à la Défense, le Québec aura à assumer les responsabilités d’un pays souverain, selon ses orientations pacifistes à mille lieux du délire sécuritaire et des politiques bellicistes du gouvernement Harper. Mais, encore là, l’expertise des fonctionnaires fédéraux serait bienvenue.

Stéphane Gobeil évaluant à 7,5 milliards $ les économies découlant de la suppression du « gouvernement de trop », il est évident que des fonctionnaires fédéraux seront également «  de trop ». Mais le départ à la retraite de bon nombre d’entre eux – de même que de leurs homologues à Québec – permet d’envisager une transition et une intégration harmonieuses.


Des « devoirs » pour la gouvernance souverainiste

Dans une lettre publiée dans Le Devoir du 23 décembre 2013, Pierre Céré du Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC), reprenant à son compte une des principales recommandations de la Commission Duceppe-Marsolais sur la mise en place d’un régime québécois d’assurance-emploi, demande au gouvernement Marois de « faire ses devoirs » et de « préciser les objectifs poursuivis, les problèmes qu’il souhaite résoudre, les outils qui pourraient être mis en place, les complémentarités entre un tel régime et d’autres politiques (la formation par exemple), les normes pancanadiennes qui pourraient demeurer, le mode de gouvernance, les enjeux financiers d’une telle opération ».

En fait, bien que conscient qu’il y a peu de chance que le gouvernement Harper accepte le transfert de juridiction ou de gestion de l’assurance-emploi au Québec, Pierre Céré invite le gouvernement Marois à préparer dès maintenant la mise en place du futur régime d’assurance-emploi d’un Québec indépendant.

L’exercice devrait s’étendre à l’ensemble des programmes fédéraux. À cet égard, il faut saluer l’initiative du ministre des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur, Jean-François Lisée qui, répondant à l’appel des organismes québécois de solidarité internationale, a proposé la création d’une Agence québécoise de solidarité internationale pour remplacer l’Agence canadienne de développement internationale (ACDI).

Des plans pour remplacer des organismes fédéraux comme Postes Canada devraient également être sur la planche à dessin.


Des votes dans l’Outaouais et à Québec

Les syndicats de la fonction publique fédérale et ceux relevant du Code fédéral du travail (1/10 de la main d’œuvre au Québec) sont présentement dans la mire du gouvernement Harper.

Des engagements solennels du Parti Québécois en faveur du respect des droits syndicaux et une déclaration d’intention claire de proposer des plans d’intégration des fonctionnaires fédéraux à la fonction publique québécoise dans un éventuel Québec indépendant constitueraient, contrairement à 1995, « un bon choix politique » qui pourrait donner au Parti Québécois, lors du prochain scrutin, des votes en Outaouais, sans en faire perdre à Québec!

Si la gouvernance souverainiste a un sens, dans le cadre d’un gouvernement minoritaire, c’est bien celui-là : préparer concrètement un référendum gagnant!