2014, l’année de tous les référendums

2014/01/14 | Par Pierre Godin


L’année 2014 s’annonce drôlement agitée pour les minorités nationales aspirant à l’indépendance. Deux référendums de souveraineté se tiendront, l’un, le 18 septembre, en Grande-Bretagne, l’autre en Espagne, le 9 novembre. Advenant des oui victorieux, on verra alors si la majorité de ces deux pays saura résister à la tentation de ce qu’on pourrait appeler la tyrannie soft — ou dure. Souhaitons bonne chance aux Écossais d’Édimbourg, prisonniers de la tutelle anglaise qui étrangle leur économie depuis 300 ans, et aux Catalans de Barcelone qui aspirent à s’affranchir d’une majorité espagnole dont le mythe fondateur, la langue ou la culture diffèrent des leurs.

Good luck surtout à ces Écossais si proches de nous par l’histoire et la condition. Même statut social inférieur vis-à-vis des Britanniques, comme les Québécois au Canada. Même retard industriel de l’Écosse sur l’Angleterre, comme le Québec sur l’Ontario. Taux de chômage toujours plus élevé que la moyenne britannique, comme celui du Québec comparé à ses voisins ontariens ou albertains.

Les minorités écossaises et catalanes arracheront-elles leur souveraineté aux Anglais et aux Espagnols qui, à Londres et à Madrid, sont aux manettes de l’État central? Pas sûr, car les majorités de ces deux pays feront tout pour les empêcher de voler de leurs propres ailes. Si Londres est prête à jouer le jeu de la démocratie pour éviter de recourir à la violence ( et ce, à condition que le référendum échoue…), à Madrid, c’est la ligne dure.

Devant l’inévitabilité du référendum écossais, qu’a fait le premier ministre David Cameron? Au lieu de jouer les matamores, il l’a autorisé en choisissant la méthode canadienne soft : la loi sur la clarté référendaire concoctée par Stéphane Dion après le référendum de 1995, et très populaire chez les centralisateurs de Londres et de Madrid. Une méthode sournoise et tricheuse, car elle revient à dire aux sécessionnistes : tenez-le, votre référendum, mais c’est moi qui fixe les conditions, et essayez donc de le gagner pour voir ! Voilà pourquoi, certain de le gagner, Cameron a rejeté une proposition médiane acceptable à Édimbourg, l’autodétermination, mais sans séparation, pour ne pas avoir à céder un pouce de plus d’autonomie aux Écossais.

« Clarity, please ! » dira-t-il aussi en s’inspirant de la « clarté », telle que définie par Stéphane Dion. Au moins, diront nos nonistes, les Écossais ne se trouveront pas devant une question bancale à cinq tiroirs, comme les Québécois au référendum de mai 1980. En réalité, la loi canadienne de la clarté constitue un véritable carcan législatif qui n’a qu’un seul but : tuer dans l’œuf toute tentative future des Québécois de se donner un pays. Car malgré son tra-la-la trompeur sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la loi Dion impose à la minorité des conditions telles qu’elle rend utopique toute victoire du oui. Exemple : concéder au pouvoir central le droit de décider du libellé de la question et celui, à saveur tyrannique, de fixer la majorité nécessaire pour qu’il accepte les résultats. En violation même de l’esprit et de la lettre des chartes internationales, qui la fixent à 50 pour cent des voix plus une.

C’est donc cette gimmick mitonnée en plus par un politicien québécois qui aidera Londres à faire échouer la consultation populaire écossaise. Méthode efficace qui utilise au besoin la corruption, le chantage et l’intimidation légale, comme la « clarté » référendaire, ladite clarté étant définie par le plus fort et imposée au plus faible. Aussi n’est-il pas difficile de prédire que les Écossais minoritaires continueront d’être un « peuple objet », un peuple entretenu, comme disait René Lévesque des Québécois de son temps.

Les Catalans d’Espagne font face à un défi plus redoutable encore. Madrid ne fait pas comme Londres dans les entourloupettes légalistes à la Stéphane Dion pour détourner un éventuel oui de sa fin légitime. Elle ne veut rien entendre. Un point, c’est tout. Un référendum? Inconstitutionnel. Il n’aura jamais lieu, a averti le premier ministre Rajoy, dont le ton de faucon n’est pas sans ressembler à celui de Pierre Trudeau, lors de notre référendum de mai 1980. Qu’adviendra-t-il si jamais les Catalans le tenaient leur maudit référendum, ce qui risque d’arriver puisque la date et la question ont déjà été rendues publiques par Barcelone? Eh! bien, ce n’est pas compliqué : jamais Madrid n’en reconnaîtra les résultats.

Voilà ce qu’est, dans toute sa splendeur antidémocratique, une majorité tyrannique, celle d’une Espagne qui n’accordera jamais à la nation catalane le droit de vivre sa vie comme elle l’entend. Du gros tintouin à prévoir de ce côté-là. Et même en Grande-Bretagne. Comme l’a écrit François Brousseau, du Devoir, nul ne saurait préjuger de la « gentillesse » de l’Angleterre si les Écossais disaient : oui, je la veux, mon indépendance!

On le voit, ce n’est pas jojo de former une nation minoritaire. L’histoire nous enseigne que les minorités qui cohabitent avec une majorité et qui n’ont pas su se doter — et c’est le cas des Québécois — d’un État-Nation pour régenter et garantir leur existence vivent en sursis. L’extinction les attend à plus ou moins long terme. À elle seule, cette menace constitue pour une minorité qui le peut et le veut un argument fort en faveur de l’indépendance. Dans le meilleur des cas, les peuples minoritaires font face à des majorités dominatrices, voire intolérantes, pratiquant à l’occasion la tyrannie soft, comme en Occident, ou à des majorités prédatrices et génocidaires sous les latitudes peu respectueuses des droits de la personne humaine.

Heureusement, ce n’est le cas ni en Grande-Bretagne, ni en Espagne, ni au Canada où nous avons vécu deux référendums de souveraineté sans casse ni violence. Exact, mais creusons un peu. Les minorités nationales qui se battent pour leur indépendance sont handicapées en partant, les majorités disposant d’une panoplie de moyens pas toujours catholiques, à la limite parfois de l’exigence démocratique, pour faire échec à leurs desiderata.

Vous trouvez que je pousse le bouchon un peu trop loin ? Souvenez-vous du référendum de mai 1980, qui s’est déroulé dans un climat de chantage et de peur — le « terrorisme des sous », vous vous rappelez ? Dans un Québec séparé, les pensions de vieillesse, les allocations familiales et l’assurance-chômage fédérales allaient s’évaporer, les taxes devenir astronomiques, les capitaux s’enfuir, les immigrants être chassés de leurs maisons et déportés, le niveau de vie du citoyen lambda dégringoler au niveau d’un pays du tiers-monde, le gallon d’essence coûter 57 cents de plus qu’au Canada, la « piasse à Lévesque » ne pas valoir plus de 65 cents après l’indépendance... Bref tous les clichés forgés par les marchands de peur fédéraux et libéraux depuis que ce « PQ égale FLQ », ce parti « de poseurs de bombes » dirigé par « Hitler/Lévesque », faisait de la « chicane » au Canada. Mot valise des fédéralistes pour discréditer l’indépendance. Disposant du pouvoir de l’argent et de la sympathie des médias, il était facile au clan du non de multiplier les apocalypses et d’en inventer au besoin.

Et le référendum de 1995 ? Vous n’avez certainement pas oublié qu’il fut volé littéralement par les acolytes francophones d’une majorité anglophone décidée à tout, peut-être même à une intervention militaire ( comme certaines fuites dans les médias en évoquèrent le spectre par la suite ), pour étouffer dans l’œuf le désir de self-government de sa « colonie » québécoise, comme disaient les péquistes. Le tristement célèbre « scandale des commandites » en fut la preuve criante. Sans cette combine, Jacques Parizeau aurait sans doute gagné son pari.

On ne peut pas comparer notre situation à celle de l’Orient et de l’Afrique où les majorités tribales déciment les phratries minoritaires à la machette, comme en Centrafrique actuellement où les musulmans minoritaires sont persécutés par la majorité chrétienne. Cependant, peu importe les moyens utilisés, c’est toujours l’application du bon vieux principe suivant lequel la force prime le droit. Vous me direz : nous cohabitons avec la même majorité depuis plus de 150 ans et nous sommes toujours en bonne santé et bien vivants. Nous vivons dans un pays civilisé où les mœurs sont plus policées. Ici, le conflit entre majorité et minorité ne se règle pas à la machette, mais par la négo, le compromis et les référendums. Soit, mais à la condition que lesdits référendums… échouent !

À vrai dire, nous assistons à un assaut planétaire contre les minorités, qu’elles soient culturelles et linguistiques, comme la nôtre, ou religieuses. Partout dans le monde, même dans un État démocratique comme l’Inde, les majorités hindoues deviennent prédatrices à l’endroit des musulmans minoritaires. L’époque interdit l’isolement aux petites nations comme la nôtre. Tôt ou tard, les minorités deviennent les boucs émissaires des majorités. Le Québec Bashing, ça vous dit quelque chose? Les nations minoritaires rappellent trop souvent à leurs majorités dominantes des souvenirs embarrassants, tels les actes de violence et les tueries ayant présidé parfois à la naissance du pays.

À cet égard, n’oublions jamais la moitié de la Nouvelle-France brûlée et saccagée le long de notre grand fleuve par les ancêtres de ceux qui forment aujourd’hui la nation anglo-canadienne. Ni la brutale répression militaire exercée contre la population civile, femmes et enfants inclus, ni la pendaison des patriotes, lors du soulèvement de 1837-38. Ni la conscription forcée malgré les promesses pendant la première et la seconde guerre mondiale. Ni les lois francophobes de certaines provinces comme le Manitoba ou l’Ontario pour éradiquer le français des classes et des cours de l’école publique. Ni le bilinguisme officiel imposé au Québec, mais non à l’Ontario où résidait une importante minorité franco. Sans oublier non plus la loi des mesures de guerre d’octobre 1970, et ses centaines d’arrestations, infligée à notre province par le « French Power » fédéral. Puis, enfin, cette discrimination raciale et linguistique rampante contre laquelle nous luttons depuis toujours et qui s’étale certains jours dans les médias anglos.

Ce qui, jusqu’ici, nous a préservés du pire, c’est que la nation majoritaire avait besoin de nous pour nettoyer ses chiottes, couper son bois, porter ses valises, descendre dans le trou de la mine et servir de chair à canon dans les guerres de sa mère patrie en Afrique ou en Europe. Aujourd’hui, alors que nous sommes devenus une minorité plus fébrile, plus exigeante et plus revendicatrice, nous la faisons, passez-moi l’expression, littéralement chier. Le seul fait que nous existions brouille sa frontière nationale. Si nous n’étions pas là, il n’y aurait au Canada qu’une seule nation, qu’une seule langue, qu’une seule politique.

La vérité dure, c’est que les majorités résistent de moins en moins à la tentation de se débarrasser de leurs minorités. Il ne faut pas faire l’autruche devant la précarité de notre statut de nation minoritaire non protégée par un État-Nation reconnu par la communauté internationale. Les fédéralistes assurent que l’autonomie provinciale nous suffit amplement pour faire notre marque et vivre notre vie. Cette autonomie et les amusettes constitutionnelles de la même eau ne suffiront plus. Nous avons le nombre contre nous, le continent entier contre nous. Le combat est trop inégal pour être gagné.

Et nous résistons de plus en plus mal aux politiques centralisatrices cuisinées au parlement fédéral par la nation anglo-canadienne majoritaire avec l’aval de sa succursale fédéraliste et libérale québécoise qui s’en accommodera toujours. La résignation, le manque d’ambition, le laisser-faire de nos élites politiques et d’affaires prouvent que Freud avait raison. Ce qui nous a toujours fait défaut, c’est cette légion de guides supérieurs, sûrs et désintéressés, dont il faisait le préalable à toute amélioration significative de la condition d’un peuple.