Les attaques conservatrices contre le mouvement syndical

2014/01/14 | Par L’aut’journal 


Luc Allaire de la CSQ a produit cette excellente synthèse des législations antisyndicales du gouvernement Harper.

Ces attaques contre le mouvement syndical prennent principalement la forme de projets de loi privés présentés par des députés de l’arrière-ban. Les conservateurs n’utilisent pas cette stratégie seulement contre le mouvement syndical. En effet, certains députés de l’arrière-ban s’acharnent à présenter des projets de loi contre l’avortement.

Cette manière de faire peut sembler plus démocratique, car elle donne la voix à des députées et députés qui n’en ont que très peu, mais dans le cas qui nous préoccupe, il s’agit plutôt d’une stratégie bien huilée et à la limite antidémocratique. De plus, elle permet de soustraire les projets de loi privés à la vérification de conformité à la charte.


Le projet de loi C-377 renait de ses cendres

Ainsi, le député Russ Hiebert a déposé le projet de loi C-377, qui a pour but d’obliger les syndicats à publier leurs états financiers. Ce projet de loi a été envoyé au Sénat pour étude en mai 2013. Le Sénat, pour une rare fois, a travaillé sérieusement et il a proposé une série d’amendements faisant notamment en sorte que :

  • Seules les organisations syndicales ayant plus de 50 000 membres soient obligées de présenter un rapport financier, et non tous les syndicats ;

  • Le seuil de déclaration des transactions financières passe de 5 000 dollars à 150 000 dollars ;

  • Le montant à partir duquel le salaire, incluant les avantages sociaux, d’une employée ou d’un employé doit être divulgué passe de 100 000 dollars à 440 000 dollars.

Bien sûr, il aurait été préférable que les sénatrices et sénateurs aillent jusqu’au bout et qu’ils rejettent ce projet de loi, mais on ne peut pas en demander trop au Sénat.

Toujours est-il que ces amendements ont été envoyés à la Chambre des communes. Stephen Harper n’a pas apprécié et, au lieu d’ajourner la session tout simplement, il l’a prorogée. De là, commence une saga de procédures parlementaires digne d’un roman de John Le Carré. En effet, lorsqu’une session parlementaire est prorogée, tous les projets de loi meurent au feuilleton, sauf ceux d’initiative privée, dont les projets de loi C-377 et C-525.

Non seulement ne meurent-ils pas, mais ils se retrouvent dans leur version initiale, car les amendements du Sénat n’ont pas été reçus par la Chambre des communes, celle-ci étant prorogée.

Nous voici donc dans la même situation qu’en décembre 2012, devant un projet de loi qui prétend promouvoir la transparence financière, mais qui est en fait destiné à harceler les syndicats et leurs membres.

Qu’on en juge : ce projet de loi oblige tous les syndicats et toutes les sections locales à présenter un rapport financier détaillé qui sera affiché sur un site Web public.

Ce rapport doit inclure les renseignements suivants :

  • Les montants consacrés aux activités de relations de travail et de lobbying, aux dons, aux conférences et aux congrès, à l’éducation et à la formation ;

  • Les montants consacrés aux activités de syndicalisation, de négociations collectives, aux honoraires juridiques et à l’administration ;

  • Toute opération et tout versement dont la valeur cumulative dépasse 5 000 dollars ;

  • Tout montant versé à une personne dont la rémunération est supérieure à 100 000 dollars, incluant les avantages sociaux, ou à une personne exerçant des fonctions de gestion ayant accès à des renseignements sur les activités, sur les actifs ou sur les autres questions liées au syndicat ;

  • L’estimation raisonnable du pourcentage du temps que ces personnes consacrent à la conduite d’activités politiques, d’activités de lobbying et d’autres « activités non liées aux relations de travail ».

Imaginez un seul instant les heures de plaisir qu’auront les « radios poubelles » à éplucher ce site Web ! Elles y trouveront de la matière pour critiquer tous les syndicats qui auront consacré des sommes à des questions qui ne sont pas strictement liées aux négociations collectives et aux relations de travail.

Ces commentateurs omettront certainement de dire que les syndicats, comme la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et ses affiliés, sont déjà transparents et qu’ils rendent déjà des comptes à leurs membres. Ils omettront également de préciser que les associations patronales ne sont pas soumises à cette obligation de transparence.

Déjà, l’Institut économique de Montréal (IEDM) a qualifié le « courage » de Russ Hiebert « qui a décidé de s’attaquer aux organisations les plus puissantes du pays : les syndicats1 ».


Le projet de loi C-525 pour réduire le taux de syndicalisation

Ce projet de loi a été présenté par un autre député conservateur d’arrière-ban, Blaine Calkins. Son objectif est simple : rendre plus complexe l’accréditation syndicale et faciliter la désyndicalisation.

Comment ? Pour pouvoir se syndiquer, un syndicat doit démontrer qu’au moins 45 % des employées et employés de l’unité veulent se syndiquer en ayant signé des cartes. Par la suite, il se tiendra un scrutin secret qui devra recueillir la majorité (50 % + 1) des personnes employées de l’unité. Pas seulement celles qui votent, mais l’ensemble des employées et employés. Par conséquent, les personnes qui ne votent pas sont réputées voter contre.

Entre le moment où les cartes seront déposées et la date du scrutin secret, l’employeur aura tout loisir d’intimider les employées et employés qui désirent se syndiquer, les menacer de représailles ou d’embaucher du nouveau personnel surnuméraire pour gonfler le nombre d’employées et d’employés dans l’unité.

Ce n’est pas tout, ce projet de loi vise aussi à faciliter la désyndicalisation. Comment ? Toute personne employée qui prétend représenter au moins 45 % des employées et employés d’une unité de négociation peut demander que soit révoquée l’accréditation de son syndicat. Une seule personne peut faire cette demande. Là encore, le syndicat devra recueillir la majorité (50 % + 1) des employées et employés de l’unité. Encore une fois, ceux qui ne votent pas sont réputés vouloir la révocation du syndicat.

Notons que ce projet de loi vise à modifier le Code canadien du travail. Il touchera le personnel de la fonction publique et le personnel travaillant pour des employeurs visés par ce code, soit les banques, les communications (dont le personnel de Musique Plus), les télécommunications, les entreprises pétrolières, les entreprises de transport maritime ou ferroviaire, etc.

Il s’agit là d’une attaque frontale à la liberté d’association, avec un outil qui a fait ses preuves.

En effet, une chercheuse américaine, Kate Bronfenbrenner, a analysé les élections tenues sous l’égide du National Labor Relations Board de 1999 à 2003, et elle a démontré l’ampleur de l’intimidation patronale aux États-Unis lors de votes d’accréditation2 :

  • 63 % des employeurs interrogent les travailleuses et travailleurs au cours de rencontres individuelles obligatoires avec le supérieur immédiat ;

  • 54 % menacent les travailleuses et travailleurs au cours de ces rencontres ;

  • 57 % menacent de fermer l’usine ;

  • 47 % menacent de réduire les salaires et les avantages sociaux ;

  • 34 % congédient des travailleuses et travailleurs.

Évidemment, il n’y a aucune pénalité prévue pour les employeurs qui intimident, ni dans les lois américaines, ni dans le projet de loi C-525.

Pourquoi le feraient-ils ? Leur objectif n’est pas de favoriser la démocratie et la liberté d’association, comme ils le prétendent, mais bien de réduire le taux de syndicalisation… et ça fonctionne ! L’exemple de la Colombie-Britannique est éloquent à cet égard. En 1983, le gouvernement de cette province a adopté une loi imposant le scrutin secret obligatoire. Ce projet de loi a été révoqué en 1992 et a été réintroduit en 2002. Le taux de succès des campagnes d’accréditation en a été affecté directement, comme le démontre le tableau suivant :


Impact de la double procédure d’accréditation sur le taux de succès des campagnes, Colombie-Britannique, 1980 à 2007



Un autre projet de loi mammouth

Le gouvernement conservateur est très imaginatif quand il s’agit de faire adopter des projets de loi sans s’astreindre aux règles parlementaires exigeant un processus de consultations. L’une de ses trouvailles, ce sont les projets de loi mammouth.

Le dernier en date est le projet de loi C-4 intitulé Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d’autres mesures, un projet de loi de 308 pages dont le seul index compte cinq pages. Dans ces 308 pages se retrouvent quelques dispositions antisyndicales, dont une réduction des protections en matière de santé et de la sécurité du travail dans le Code canadien du travail. Pour la fonction publique fédérale, les attaques sont plus féroces, car elles menacent le droit de grève et modifient les règles d’arbitrage.

En matière de santé et de sécurité au travail, le projet de loi C-4 propose de modifier la notion du mot « danger » dans la partie sur la santé et sur la sécurité du travail du Code canadien du travail, pour faire en sorte de hausser le niveau de risque requis pour qu’une situation soit qualifiée de dangereuse. Il modifie également la procédure pour exercer un droit de refus. Au diable la sécurité des travailleuses et des travailleurs !

De plus, il donne au ministre le pouvoir d’émettre des directives aux employeurs sur des questions de santé et de sécurité au travail ainsi que le pouvoir de rendre certaines décisions qui appartenaient auparavant à l’agent de santé et de sécurité.


Exit le droit de grève dans la fonction publique !

Le projet de loi C-4 viendra aussi modifier la section sur les services essentiels dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Jusqu’à maintenant, les services essentiels devaient être négociés entre l’employeur et le syndicat. S’il n’y avait pas d’entente, on en référait à la Commission des relations du travail.

Dorénavant, ce sera plus simple ! Le projet de loi C-4 donne le droit exclusif à l’employeur de décider quels services sont essentiels, tant dans leur quantité que dans le type de postes. Et pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, le projet de loi abroge la définition de service essentiel. Ainsi, l’employeur n’aura pas à justifier si tel ou tel service est vraiment essentiel… S’il détermine que 80 % des services sont essentiels dans un secteur, le droit de grève sera retiré. C’est simple, non !

Il s’agit là d’une atteinte directe au droit de négocier et de faire la grève, qui va à l’encontre de la Déclaration de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative aux principes et droits fondamentaux au travail qui protège la liberté d’association et le droit de négociation collective. Rappelons que le Canada a signé cette déclaration, mais que les États-Unis sont plus prudents et qu’ils ne l’ont pas signée.


L’arbitrage sera beaucoup plus encadré

Dans les cas où un syndicat ne s’entendait pas avec l’employeur, il était prévu dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique un mécanisme d’arbitrage. Cependant, le problème, ce sont les arbitres. Ce sont des êtres humains qui parfois sont sensibles aux arguments syndicaux.

Comme Stephen Harper est un grand fan de hockey, il s’est inspiré de ce qui se fait dans la Ligue nationale de hockey où les propriétaires des équipes ne se gênent pas pour intervenir directement auprès des arbitres et pour modifier l’interprétation des règlements.

Tout d’abord, le projet de loi C-4 rend plus difficile l’accès à l’arbitrage de différends. En effet, il impose la conciliation comme mode de règlement des différends. L’arbitrage ne pourra plus être utilisé sans l’agrément du président du Conseil du Trésor. Aussi, comme il se pourrait qu’un jour le président du Conseil du Trésor ne soit plus conservateur, on a ajouté deux conditions :

  • L’arbitrage ne sera disponible que dans les unités où 80 % des services sont essentiels ;

  • Le syndicat et l’employeur doivent consentir mutuellement à en référer à un arbitre. Si l’employeur refuse, l’arbitrage n’est plus envisageable.

Mais pourquoi s’arrêter en aussi bon chemin ?

Le projet de loi C-4 définit aussi de nombreux facteurs prépondérants auxquels l’arbitre doit se référer avant de prendre une décision, soit le niveau de rémunération et les conditions de travail dans le secteur privé, les paramètres budgétaires du gouvernement, l’énoncé économique, la fiscalité du gouvernement, etc. Ce qui limite beaucoup l’indépendance des arbitres.

Le projet de loi C-4 modifie aussi les critères de nomination des arbitres. Avant, il y avait une exigence d’avoir de l’expérience en matière de relations du travail. Dorénavant, ce ne sera plus nécessaire. N’importe qui pourra devenir arbitre de grief, avec la perte de qualité dans les décisions que cela entrainera.

De plus, le projet de loi C-4 limite le pouvoir des arbitres en enlevant la portée rétroactive à leurs décisions. Par exemple, un syndicat dépose un grief sur la portée d’une clause salariale. L’arbitre donne raison au syndicat deux ans plus tard et il ordonne à l’employeur de verser l’augmentation. Dans un tel cas, les membres du syndicat ne recevraient aucune compensation pour les deux années perdues.

Il faut croire que de telles mesures sont nécessaires pour un gouvernement qui a exercé des compressions de 5,2 milliards de dollars et qui a imposé des coupes de 19 000 postes dans l’appareil fédéral depuis deux ans !


Le tout sans consultation

Le mardi 26 novembre, un groupe de syndicalistes s’est rendu à Ottawa pour expliquer aux élues et élus réunis en comité parlementaire l’impact des législations qu’ils envisagent. Comme le rapportait une manchette du Devoir3 :

Ils voulaient mettre les députés en garde contre les conséquences qu’aura le projet de loi budgétaire mammouth C-4 sur le droit de grève au pays. Ils ont alors appris que l’heure limite pour proposer des amendements au projet de loi était déjà passée ! Même si les syndicats étaient parvenus par leur plaidoyer à convaincre les députés de changer le projet de loi, ces derniers n’auraient pas pu agir. 

Cet article conclut que le projet de loi C-4 a été adopté et que le gouvernement n’a accepté aucun amendement.


Retour sur le Congrès du Parti conservateur du Canada à Calgary

Le Congrès du Parti conservateur du Canada (PCC) s’est tenu à Calgary les 1er, 2 et 3 novembre 2013. Les membres de ce parti ont profité de l’occasion pour adopter de nombreuses résolutions antisyndicales, anti-Québec et antifemmes.

Comme le mentionnait le commentateur Mark Kennedy4 :

Les membres de la base conservatrice ont adopté un virage draconien vers la droite. Ils ont adopté les nouvelles doctrines du Parti en s’attaquant aux syndicats et aux fonctionnaires, en condamnant les avortements sexo-sélectifs et l'euthanasie, et en protégeant les droits des propriétaires d'armes à feu.

Dès le début du Congrès, le ton était donné dans l’amphithéâtre où les journalistes étaient exclus. En effet, tous les déléguées et délégués devaient passer sous une grande affiche qui disait :

  • Pour trop de Canadiens, la démocratie ne se rend pas sur le lieu de travail ;

  • Des centaines de milliers de Canadiens sont obligés de payer des cotisations syndicales, qu’ils adhèrent ou non à un syndicat ;

  • Leurs cotisations vont à des causes politiques qu’ils aiment cela ou non ;

  • Les votes pour une accréditation syndicale, les grèves et la ratification d’une convention collective ne sont pas toujours secrets ;

  • Les leaders des gros syndicats se battent pour que rien ne change. Ce samedi, appuyez les résolutions qui apporteront la justice et la démocratie sur les lieux de travail :

  • Un vote secret pour la grève, l’accréditation et la ratification ; 

  • Une protection contre les cotisations syndicales obligatoires pour des causes politiques et sociales ;

  • La transparence financière pour les leaders des gros syndicats ;

  • Appuyez le droit d’association de manière démocratique et volontaire.

Les Canadiens appuient le choix des travailleurs5 :


83 % pour une plus grande transparence financière ;


70 % pour mettre fin aux cotisations forcées pour des causes politiques ;


84 % pour le scrutin secret.

Ceci est le Canada. Nous appuyons le choix des travailleurs.




Cette affiche a-t-elle influencé les déléguées et délégués de ce congrès ? C’est probable, puisqu’ils ont adopté une série de résolutions à l’effet d’abolir la formule Rand, de permettre aux travailleuses et travailleurs syndiqués de refuser de verser une partie des cotisations syndicales à d’autres fins que les relations de travail.

Ces propositions démontrent que pour le Parti conservateur, l’action syndicale doit se limiter à la négociation des conditions de travail, et rien d’autre. Il s’agit d’attaques directes contre la liberté d’expression et la liberté d’action des syndicats. On nie à ceux-ci leur rôle d’acteur social qu’ils ont le droit d’exercer comme toute autre organisation.

D’ailleurs, les syndicats ont toujours fait de l’action sociopolitique. Depuis leur création au 19e siècle, des syndicats ont collaboré à la mise sur pied de partis politiques, d’autres ont préféré appuyer certains existants, pendant que d’autres préféraient s’engager dans des actions sociopolitiques non partisanes. Seuls les syndicats jaunes ou corporatistes ne font pas d’action sociopolitique.

Sous le prétexte que les cotisations syndicales sont déductibles d’impôt, on veut exiger des syndicats qu’ils rendent publics leurs états financiers, alors qu’on n’exige rien de tel aux associations patronales, aux associations professionnelles comme le Barreau, ou à des organismes de charité comme l’IEDM.

Quant à la demande de permettre aux membres de refuser de verser la part de leurs cotisations servant à des dons politiques, à des dons à des organisations médiatiques, à du militantisme et à des campagnes politiques, il s’agit d’une ingérence directe dans une organisation démocratique, que sont les syndicats. Si une telle possibilité était accordée, pourrions-nous comme contribuables refuser la part de nos impôts qui va à l’achat d’équipement militaire ?

Si le Parti conservateur réussit dans cette voie, il ne s’arrêtera pas là, car ce qu’il vise, c’est la formule Rand. Il veut couper les vivres aux syndicats pour les affaiblir. C’est ce qu’il a fait avec les organismes de droits, les organismes de solidarité internationale et les groupes environnementaux à qui le gouvernement fédéral a coupé les fonds. Aujourd’hui, il s’attaque au financement autonome des organisations syndicales.


La novlangue de la droite

Dans son célèbre roman 1984, l’auteur George Orwell décrit une société où les dirigeants utilisent une novlangue afin de rendre impossible l'expression des idées potentiellement subversives et d’éviter toute formulation de critique de l’État.

Les think tanks de la droite se sont inspirés de ce concept en donnant un nouveau sens à ceux développés par la gauche.

Par exemple, la droite se sert du concept de « démocratie » pour critiquer les organisations syndicales, alors que la démocratie n’existe pas dans les entreprises non syndiquées. Dans les magasins Wal Mart de ce monde, les employées et employés sont à la merci de leurs patrons. On fait la promotion du scrutin secret, un concept démocratique, pour imposer dans les faits une double procédure d’accréditation.

De même, on utilise le concept positif de la transparence pour imposer des exigences démesurées de reddition de comptes aux seules organisations syndicales.

Un autre exemple, l’IEDM prétend que la liberté d’association reconnue au Canada limite la liberté de non-association des gens qui ne veulent pas se syndiquer. Il définit alors le concept de liberté par la négative, au lieu de le définir par la positive. Si l’on appliquait cette définition au monde de l’éducation, on remplacerait le droit à l’éducation par la liberté des enfants de ne pas aller à l’école.

On va même jusqu’à prétendre que la différence entre la droite et la gauche est que la droite serait pour la liberté et la gauche serait pour l’égalité. Or, le concept même de la gauche est né en France dans les années qui ont précédé la révolution de 1789. À cette époque, les gens qui étaient pour la république étaient assis à la gauche du roi, alors que ceux qui étaient pour la royauté étaient assis à sa droite. Les revendications de la gauche étaient claires : liberté, égalité, fraternité.

Aux États-Unis, on en est même venu à utiliser le concept du droit au travail, Right to Work, pour s’attaquer aux organisations syndicales.


Des attaques antisyndicales d’inspiration américaine

Le Parti conservateur du Canada n’a pas inventé le bouton à quatre trous. Toutes ces attaques sont inspirées de ce qui se fait aux États-Unis, notamment dans les 38 États qui ont adopté des règlementations Right to Work.

Cette règlementation a débuté dans les États républicains, les Red States, du sud et du centre des États-Unis et elles s’étendent maintenant dans des États ayant une longue tradition syndicale, comme le Michigan et la Pennsylvanie.

En quelques mots, un État Right to Work est un État où les travailleuses et travailleurs d’un milieu de travail syndiqué ont le droit de ne pas être membre du syndicat et de ne pas payer la cotisation tout en bénéficiant des avantages de la convention collective !

Dans ces États, on s’attaque à la Loi nationale sur les relations de travail, qui a été adoptée en 1935 sous le gouvernement Roosevelt. Cette loi issue du New Deal est aussi appelée Loi Wagner (Wagner Act) :

  • Elle assure le droit de se syndiquer et de négocier collectivement sur les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail ;

  • Elle requiert que chaque individu couvert par une convention collective paie des cotisations à l’organisation qui négocie avec l’employeur ;

  • Cette clause est appelée  union security agreement  ou clause de garantie syndicale ou de sécurité syndicale.

Les premières attaques contre le Wagner Act sont apparues en 1947 avec la loi Taft-Hartley surnommée le Slave Labor Bill (ou loi sur le travail des esclaves). Cette loi permet aux États appelés Right to Work d’adopter des lois qui annulent les dispositions de sécurité syndicale de la Loi nationale sur les relations de travail.

  • Elle garantit que personne ne peut être obligé d’adhérer à un syndicat ni de payer une cotisation syndicale comme condition d’emploi ;

  • Elle interdit à un groupe d’employées et d’employés de négocier une entente avec leur employeur stipulant que chaque personne qui bénéficie d’une convention collective doit payer sa part des coûts d’administration de cette convention.

Malgré ces restrictions, le devoir de représentation demeure. En effet, la Cour suprême oblige les syndicats :

  • À représenter les membres et les non-membres ;

  • À négocier pour tous dans l’unité d’accréditation ;

  • À payer les coûts d’un arbitrage pour les non-membres.

Cela impose le fardeau du financement du syndicat à quelques membres. Si le syndicat ignore cette obligation, il est passible de pénalités financières graves.

Ces législations Right to Work ont des impacts sur les salaires, les avantages sociaux et le taux de syndicalisation :

  • Diminution du salaire moyen annuel de 5 538 dollars ;

  • Diminution de 2,6 % de la probabilité d’obtenir une assurance maladie offerte par l’employeur ;

  • Diminution de 4,8 % de la probabilité d’obtenir un régime de retraite offert par l’employeur.


Taux de syndicalisation selon les États (Michigan exclu)



Toutefois, elles n’ont pas d’impact sur la croissance économique ni sur l’implantation d’entreprises. Par exemple, les entreprises de haute technologie préfèrent les États sans Right to Work. En effet, parmi les dix meilleurs États pour implanter des entreprises de haute technologie, seule la Virginie en est un Right to Work.

  1. Massachusetts

  2. Washington

  3. Maryland

  4. New Jersey

  5. Connecticut

  6. Delaware

  7. Californie

  8. Virginie

  9. Colorado

  10. New York


La riposte doit s’organiser

Devant de telles attaques, la CSQ ne peut agir seule. Déjà, nous nous concertons avec l’Alliance sociale et avec le Congrès du travail du Canada (CTC) sur le plan juridique pour contester les projets de loi C-377 et C-525, s’ils sont adoptés.

Aussi importante que soient les contestations judiciaires, la lutte ne peut se limiter au plan juridique. Une mobilisation importante sera nécessaire si l’on veut faire reculer ce gouvernement.

Déjà, la coalition Pas de démocratie sans voix, qui regroupe 133 organismes dont la CSQ, se mobilise. Elle a fait circuler une pétition qui dénonce :

L’intensification des attaques du Parti conservateur du Canada contre les institutions démocratiques, les pratiques démocratiques et les droits et libertés. Ces attaques systématiques tendent à vouloir faire taire la voix de toute organisation ou de tout individu qui conteste ou critique les politiques du gouvernement canadien.

Cette coalition a demandé récemment une rencontre avec les quatre chefs des partis d’opposition afin de leur demander de s’engager sur une série de questions concernant le respect des institutions démocratiques, le respect des droits, les droits des Autochtones, les questions internationales, l’environnement, les groupes de la société civile et la culture.

Au sujet des attaques antisyndicales, Pas de démocratie sans voix leur demandera de s’engager :

  • À respecter le droit des travailleuses et travailleurs des secteurs privé et public de négocier librement leurs conditions de travail et, le cas échéant, de faire la grève ;

  • À ne pas mettre d'entraves aux interventions syndicales sur des enjeux sociaux, économiques et politiques et à retirer celles introduites par les conservateurs à travers des projets de loi, comme C-377, s’ils étaient adoptés ;

  • À ne pas mettre d’entraves dans les processus d’accréditation syndicale et à retirer le projet de loi C-525, s’il était adopté ;

  • À rétablir un système d'assurance emploi juste et équitable pour toutes les catégories de travailleuses et travailleurs.

Pas de démocratie sans voix travaille en collaboration avec une coalition canadienne, Voices, qui vise les mêmes objectifs. Voices a publié une déclaration réclamant au gouvernement Harper :

  • De respecter le droit à la liberté d'opinion et d'expression ;

  • D’agir en accord avec les traditions et les valeurs démocratiques du Canada ;

  • D’être transparent.

Bref, la riposte s’organise. Elle doit s’amplifier d’ici les prochaines élections fédérales en 2015.


Référence:

1 Blogue lesaffaires.com, 6 novembre 2012.

2 BRONFENBRENNER, Kate (2009). « A War Against Organizing », The Wahington Post (3 juin).

3 (2013). « Budget : parler pour parler à Ottawa », Le Devoir (28 novembre).

4 KENNEDY, Mark. « Conservatives bash unions and oppose sex-selection abortion in shift to right », Postmedia news, Canada.com.

5 Nanos Research, août 2011.