Réjean Parent ouvre le bal !

2014/01/14 | Par L’aut’journal 


Des accommodements et des exigences raisonnables

Le présent mémoire est une réflexion inspirée par les travaux et les débats auxquels j’ai participé tout au long de ma vie syndicale au regard de la laïcisation des institutions, plus particulièrement dans le monde de l’éducation, d’où je proviens et passé une grande majorité de ma vie professionnelle, avant d’accéder à la présidence de la CSQ en 2003. Tout en m’inspirant de cette appartenance, les opinions et les propos émis dans ce mémoire n’engagent que ma responsabilité personnelle et non celles des organismes dont j’ai été ou suis membre actuellement.

D’entrée de jeu, je veux indiquer mon accord avec le projet de loi 60 sur la Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement présenté par le ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne. Même si le projet de loi 60, à cause de contraintes règlementaires ou politiques à court terme, n’aborde pas, ou esquive, certaines questions épineuses, telles le crucifix dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, le port de signes religieux ostentatoires par les élus, le financement public des institutions privées fondées sur un projet religieux et l’endiguement de l’intégrisme, il demeure tout de même un pas dans la bonne direction.


Un projet de loi nécessaire

Nous avons connu une laïcisation progressive de notre système scolaire qui s’est fait laborieusement et par étapes successives. Nous reculons d’à peine deux décennies pour nous rappeler que l’école était une extension de l’église chrétienne avec l’enseignement religieux et la préparation aux sacrements comme la confession, la communion et la confirmation. Le tout a commencé avec la déconfessionnalisation des commissions scolaires pour regrouper les écoles sur une base linguistique tout en leur conservant leur statut confessionnel. Graduellement, nous avons réduit les périodes d’enseignement religieux pour en arriver au milieu des années 2000 au cours de culture et d’éthique religieuse. Ce n’est pas sans peine que la laïcisation de nos institutions s’est matérialisée. Nous avons connu des interventions de tous genres pour maintenir le statut confessionnel ou pour exempter les enfants chrétiens de l’exposition à la culture des autres religions.

En parallèle, nous avons vu poindre les demandes d’accommodement raisonnable, qui, contrairement à la croyance populaire, étaient plus souvent demandés par des groupes chrétiens fondamentalistes, et que nous traitions à la pièce ou à coup de décisions des tribunaux. Nous avons été témoins des insatisfactions des uns et des autres qui croyaient leurs droits brimés comme des enfants qui en oublient leur devoir dans l’accommodement pour le bien vivre ensemble. Les Chrétiens pestaient que nous ayons sorti leur religion des écoles pendant que nous en laissions d’autres rentrer par la porte d’en arrière avec leurs exigences telles le port de signes religieux ou les lieux de prière aménagés. Chez d’autres confessions, on se vexait de l’intransigeance et des brimades qu’on leur faisait subir. Le tout a atteint son comble avec le code de vie d’Hérouxville qui déboucha sur la Commission Bouchard-Taylor avec son rapport qui se tabletta, comme bien d’autres avant lui, malgré les tentatives du gouvernement précédent pour faire adopter des projets de loi en matière d’accommodement raisonnable et de conduite des personnels dans la fonction publique.

Tout en reconnaissant l’importance des chartes pour assurer le respect des droits fondamentaux et des libertés, il n’en demeure pas moins que la vie en société impose des contraintes qui se doivent d’être raisonnables dans notre quête du bien vivre ensemble et c’est ce que tente de déterminer le présent projet de loi. Nous avions pris l’habitude d’abandonner aux juges le soin de dessiner les pourtours de notre société. Je salue donc la détermination du gouvernement actuel de vouloir recréer cet espace de débat public et de redonner au peuple toute sa souveraineté dans ses choix, plutôt que de laisser sa société être configurée par les juges, cela dit en tout respect de nos institutions juridiques.


Loin d’être le projet radical décrié par certains

J’ai été choqué par les attaques qui assimilaient ce projet de loi à du nationalisme ethnique et accusaient la nation québécoise de xénophobie, de racisme et de s’en prendre aux libertés religieuses des citoyens de confession autre que chrétienne. En aucun temps, la liberté de culte n’est remise en question ou le port de signes religieux ostentatoires dans l’espace public par les citoyens n’est brimé, si ce n’est qu’il doit être à visage découvert lorsqu’il reçoit un service de l’État. Certains rêvaient peut-être de voir disparaitre tous signes religieux de leur vue, mais c’est loin d’en être le cas et c’est tant mieux. Le projet de loi consacre, par omission de législation, ce respect de la différence.

Il est tout aussi important de considérer dans l’ordre du raisonnable que le ministre n’a pas produit un projet de loi à la sauvette en tentant de précipiter son adoption. Au contraire, il a mis de l’avant cinq propositions et a donné du temps pour en débattre afin de prendre en compte les avis dans la rédaction du projet de loi déposé à l’Assemblée nationale. Ce dernier fait encore l’objet de consultations pour quérir la plus large adhésion. Il faut saluer la détermination du ministre et ses habiletés pédagogiques dans le cheminement de ce dossier qui a été exposé à des attaques foudroyantes au point de départ. Ces attaques révélaient un radicalisme dont on ne pouvait affubler le projet de loi 60.

Il ne faudrait pas également sombrer dans la simplicité de certains qui voit, dans ce projet de loi, une attaque à peine voilée contre l’islamisme. Nous ne retrouvons aucune référence spécifique à une religion en particulier. Le projet s’appuie sur des principes qui semblent faire rapidement consensus même si leur concrétisation s’avère plus laborieuse.


Des principes fondamentaux

Le projet de loi 60 vise essentiellement à consacrer dans une charte, trois principes fondamentaux : la séparation des religions et de l’État, l’égalité entre les femmes et les hommes et la nécessité de baliser les accommodements raisonnables. Sans prétendre que ces trois principes font l’unanimité, ils recueillent l’adhésion d’une majorité significative de la population, constituant ainsi un consensus solide. C’est en soi un véritable choix de société, quand nous considérons ceux qui se manifestent ailleurs.

Il y a encore plusieurs pays où le chef d’État est aussi le chef religieux et que leurs systèmes institutionnels sont fondés sur la religion. Il y a encore des États où l’on ne reconnait pas les mêmes droits aux femmes que ceux consentis aux hommes, certaines sont soumises au mariage forcé, au droit de cuissage ou à l’obéissance de leur mari ou de leur frère. Plus encore, certaines contrées leur nient même le droit à l’éducation. Nous pouvons compter un plus grand nombre de pays qui ne tolèrent pas d’accommodement à la différence et qui imposent leur façon de faire aux nouveaux arrivants en espérant pouvoir l’étendre ailleurs sur la planète.

Certains diront que les principes énoncés ci-dessus sont acquis et que nous n’avions nul besoin de les inscrire dans une charte. Je pourrais plaider qu’il reste encore beaucoup à faire en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ou en matière d’influence de l’église catholique dans les affaires d’État, mais je m’en dispenserai, laissant le soin à d’autres de le faire. Même en croyant que nous avons réalisé la mise en œuvre idéale de ces principes, je continuerai de militer pour les consacrer dans une charte afin d’ériger ce rempart contre l’intégrisme, garantir la laïcité de nos institutions et assurer la protection de nos droits civiques maintenant et pour les générations à venir.

C’est à la lumière de ce phare que nous ferons évoluer la société québécoise et adopter les lois profitables à tous. C’est un projet emballant que de pouvoir décider ensemble dans quelle société nous voulons vivre et d’en assurer la pérennité.


Une mise en œuvre aux exigences raisonnables

C’est à ce chapitre que le projet de loi soulève de vives contestations, plus particulièrement au regard de l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires pour les personnels des organismes publics déterminés par la loi pendant leur prestation de travail. Cette interdiction serait étendue à d’autres personnels qui, sans être à l’emploi, seraient soumis à la même prescription s’ils ont à exécuter un travail dans les lieux physiques de ces organismes. Ces restrictions relatives au port d’un signe religieux s’appuient sur un devoir de neutralité religieuse et de réserve dans l’expression de ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions.

Les arguments invoqués contre ces restrictions sont principalement le respect des libertés individuelles, la rareté des personnels portant des signes religieux ostentatoires, le risque d’éloigner de l’emploi des personnes issues de l’immigration ou de le faire perdre à d’autres. Plus ou moins subtilement, certains prétextent des difficultés d’application de ces restrictions pour s’y opposer. Je ne partage pas ces arguments et je favorise une intervention dans une période de relative accalmie plutôt que d’attendre une crise aigue pour baliser notre vivre ensemble.

Au cours des dernières années, avec l’avènement des chartes, nous avons mis carrément l’accent sur nos droits pour perdre régulièrement de vue nos obligations et nos devoirs. J’ai souvenir qu’on m’a enseigné que nos libertés s’arrêtent là où celles des autres commencent. J’ai toujours eu la conviction profonde que nos droits individuels doivent se concilier avec l’environnement social dans lequel nous évoluons. La vraie question est de savoir si cette exigence faite aux personnels des organismes publics est raisonnable au regard de leurs droits individuels. Quant à moi, la réponse est oui. Il ne leur demande pas de renoncer à leur foi pour être maintenu en emploi ou être embauché, mais bien de faire preuve de réserve de leurs allégeances religieuses dans l’exercice de leurs fonctions.

Pourrions-nous croire à la neutralité de l’État en entrant dans un établissement scolaire, de santé ou gouvernemental si tout le personnel portait un signe religieux de même confession? Il y a fort à parier que non et nous souhaiterions l’adoption d’une loi ou d’un règlement pour corriger la situation. Devons-nous attendre d’être confrontés à une telle situation pour intervenir? Dans ce cas, les réactions seraient-elles moins vives et les perceptions que nous nous en prenons à un groupe religieux seraient-elles amoindries? Certains pourront prétendre que nous inventons un problème, je crois au contraire que le projet de loi fait preuve de prévoyance et concrétise les principes fondamentaux évoqués. La neutralité de l’État ne saurait être affirmée si elle ne s’incarne pas dans la réalité concrète de ses employés et la limiter dans l’abstrait de ses institutions serait vouloir la transformer en vœu pieux.

Plusieurs objections ont été soulevées quant à l’étendue de ces restrictions à tous les personnels et certains y voient là un caractère déraisonnable. Ils argumenteront pour que l’interdiction du port de signes religieux ne s’applique qu’aux personnels en autorité ou avec des pouvoirs de contrainte comme les juges, les policiers et les agents de la paix. Ce sont là des éléments intéressants et révélateurs pour la suite du débat. Ceux qui prétendent à des difficultés d’application pour justifier leur opposition font preuve d’une flagrante contradiction quand il marque leur accord pour ces catégories de personnel. Si des prescriptions religieuses, plus ou moins avérées, peuvent être écartées pour certaines fonctions, il est raisonnable de croire qu’elles pourraient être faites sereinement pour toutes les catégories d’emploi identifiées dans la loi. Si le gros bon sens peut trouver son application chez les personnels en autorité, je crois qu’il peut en être de même pour tous les autres visés par la loi.

Mais est-ce vraiment une exigence raisonnable d’appliquer à tous les personnels ces restrictions? Pourrions-nous la limiter qu’aux employés en contact direct avec la population? Pourrions-nous tenir compte de l’âge des clientèles desservies? Pourrions-nous…? Ce type de questionnement est infini et nous pourrions tergiverser longtemps sur l’utilité d’inclure certaines catégories d’emploi ou non. Plutôt que de nous laisser guider par la subjectivité du moment, je suis convaincu de la pertinence d’éviter un traitement à deux vitesses qui compliquerait l’application ou la mise en œuvre du projet de loi. L’État est neutre ou il ne l’est pas. À partir du moment où nous en décidons, il m’apparait que c’est le devoir de tous ses artisans de le manifester par leur comportement et leur réserve.

Cependant, si dans une quête d’un consensus plus enraciné, ce gouvernement souhaiterait envisager une application sectorielle, il est clair que certains secteurs sont incontournables, tels l’éducation, les services à la petite enfance, les services sociaux et la santé. Tant la nature des clientèles desservies que l’ampleur de ces services dans la vie quotidienne d’une population justifieraient leur inclusion aux côtés des personnels en autorité. Nous avons constaté dans le passé, soit dans le traitement de plainte déontologique ou de plainte pénale, que les tribunaux considèrent ces personnels en autorité avec leur clientèle dans le traitement de leur cause et que cela constitue un facteur aggravant. Chez le personnel enseignant, il s’y ajoute même le devoir d’exemplarité. Ces personnels ne peuvent donc pas être en autorité au gré du moment ou à la convenance des politiciens. Cela dit, je continue de penser que la généralisation de l’interdiction à tous les personnels est la meilleure voie pour s’éviter les traitements à la pièce dans le futur.

Pour ce qui est des deux autres principes visés par la loi, l’égalité entre les femmes et les hommes et l’encadrement des accommodements raisonnables, leur mise en œuvre semble apparemment moins problématique. Les balises aux accommodements s’appuient sur les jugements rendus par les tribunaux et c’est en quelque sorte un exercice de codification des tendances jurisprudentielles dans une charte. Cela aura le mérite de cristalliser une grille d’analyse pour de futures demandes d’accommodement et de nous éloigner du traitement à la pièce en nous forçant à réinventer une roue qui existe déjà.

Quant au principe d’égalité entre les femmes et les hommes, il n’y a pas à proprement parler de mesures de mise en œuvre, si ce n’est qu’un amendement à la Charte des droits et libertés de la personne. Cette inclusion dans la charte demeure toutefois significative, car nous devrons interpréter les lois actuelles et futures à la lumière de ce principe, transformant l’intention en réalité avec l’avènement des chartes.


En conclusion

Je n’ai pas abordé l’identité québécoise ou le concept de nation dans ce mémoire, parce que j’ai l’intime conviction que les principes affirmés dans ce projet de loi dépassent la nation québécoise et pourraient être affirmés par d’autres sociétés que la nôtre. Certains auront tenté de détourner le débat en tentant d’en faire une guerre aux identités meurtrières pour mieux soutenir leur communautarisme, mais en fait, le ministre responsable de ce projet de loi nous invite à choisir dans quel type de société nous voulons vivre tout en respectant les identités de chacun. Un État neutre ou un État religieux, telle est la question? Y répondre, c’est adopter des comportements conséquents.

Quant à ceux qui y voient de l’électoralisme, ils font preuve d’aveuglement volontaire considérant que les enjeux soulevés par le projet de loi sont latents depuis une ou deux décennies et que le Parti québécois n’est pas le premier à tenter d’y apporter une réponse collective. C’est une loi fondamentale qui engage notre avenir à long terme avec un processus de transition qui dépasse un mandat électoral, elle nécessite donc une majorité significative à défaut d’une unanimité pour pouvoir résister à l’usage du temps.