Pensées en vue d’un nouveau, mais vraiment nouveau quinquennat à l’UQAM

2014/01/24 | Par Pierre Jasmin


L’auteur est professeur au département de musique


JADIS

L’UQAM dans un passé récent cherchait à se faire la grenouille se prenant pour un bœuf en réclamant les miettes du banquet de « l’excellence ». La réponse des Libéraux de Jean Charest est toujours restée la même, représentative de l’establishment des 1% : n’ayant ni faculté d’ingénierie ni faculté de médecine, l’UQAM ne peut donc ni participer à la guerre si profitable à l’Amérique du Nord, ni aux collusions pharmaceutiques et ne constitue un partenaire de choix ni pour la mondialisation des multinationales ni même pour les activités économiques locales favorisant la corruption. On nous a imposé des compagnies partenaires1 qui se sont avérées au service financier de compagnies militaires américaines néfastes. Par exemple, Lockheed Martin & Northrop Grumman construisent des bombes nucléaires, des drones armés dénoncés par Malala Yousufzai2 et, au coût prévu de 45 milliards de $, les F-35, avions furtifs agressifs qui n’ont rien à voir avec la défense du pays (leur coût de 45 milliards de $ assurerait la gratuité scolaire pour toutes les universités canadiennes pendant des décennies3).


UN PLAN NOUVEAU À LA MANIÈRE DE KEYNES

À la veille de son plan quinquennal, je presse l’UQAM de choisir un autre camp. Notre recteur Robert Proulx doit s’inspirer de l’audace en 1919 de l’économiste John Maynard Keynes : il critiqua les mesures du Traité de paix qui allaient provoquer une Allemagne hitlérienne et proposa à Churchill et à la Grande-Bretagne des mesures économiques pour faire des arts l’étalon-or de l’enrichissement collectif. John K. Galbraith s’en est inspiré. Keynes, amoureux de la danse, de l’opéra, de Bloomsbury et de Virginia Woolf allait constituer la plus importante collection muséale au monde d’Impressionnistes – alors dénigrés par leurs compatriotes français - puis créer le Conseil des arts de Grande-Bretagne, dont notre propre Conseil est largement inspiré.4


AUSTÉRITÉ JOYEUSE

En 1991, pour saluer la fin de la guerre d’Irak, en tant que président des Artistes pour la Paix, j’organisai avec Richard Séguin au Spectrum un spectacle avec Michel Rivard, Marie-Claire Séguin, Kashtin, feue Maryvonne Kendergi rescapée du génocide arménien et le regretté cinéaste Arthur Lamothe qui nous parla de nos chers Innus. J’avais demandé à mon ami Pierre Dansereau de démarrer la soirée en parlant à la foule trois minutes. Prônant une sagesse écologique à base d’ « austérité joyeuse » (Serge Mongeau allait renchérir avec sa « simplicité volontaire » et Hervé Kempf cette année avec sa « sobriété intelligente »5), Pierre a parlé douze minutes au terme desquelles se leva d’un bond pour une ovation debout la salle de mille personnes. Parmi elles, les trois grands chefs syndicaux, dont Fernand Daoust (FTQ), Gérald Larose (CSN) et Lorraine Pagé (CEQ, maintenant CSQ), qui a eu le courage d’innover par la suite avec feue Monique Fitzback en lançant à notre incitation les écoles vertes Brundtland6.


COOPÉRATION ET ALTERMONDIALISME

Le regretté Frédéric Back7 a endossé avec ferveur l’affirmation altermondialiste du Nous collectif du metteur en scène Dominic Champagne (APLP2011) et ses objectifs de transparence, de coopération et de liberté démocratique8. Ce sont les idéaux qu’expriment aussi des professeurs et chargés de cours uqamiens ciblés comme ennemis du capitalisme galopant et glouton : les anarchistes Normand Baillargeon et Gaétan Breton, le comptable Léo-Paul Lauzon, les subversifs Alain Deneault, Jean-Marc Piotte, Georges Leroux, Steven Harnad, Rachad Antonius, Luce Des Aulniers, Yves Bélanger, Rémi Bachand, André Breton, Éric Pineault, Michèle Nevert, Dan O’Meara, Francis Dupuis-Deri, Georges Le Bel, Jean-Pierre Beaud, Lucie Lemonde, Jacques Lévesque et j’en oublie plus Hervé Fischer, ce dernier recruté au C.A. des APLP.


IDÉAL ÉCOLOGISTE

Hors des ornières uranifères du Plan Nord et amiantosées de la mine Jeffrey subventionnées par Charest, l’UQAM doit privilégier le chemin tracé de ses professeures environnementalistes, les pionnières Louise Vandelac, Bonnie Campbell, Donna Mergler, Lucie Sauvé et Corinne Gendron, cette dernière récemment nommée au nouveau C.A.. Leurs travaux affirment les priorités en vue de la protection du bien commun de notre société que l’UQAM doit incarner, contre la culture de corruption et les petits discours d’enrichissements individuels douteux prônés par les milieux financiers qui n’envisagent jamais les conséquences douloureuses des ports méthaniers ou de la fracturation des gaz de schiste. L’UQAM doit s’enorgueillir que c’est en son sein, en la salle Marie Gérin-Lajoie, qu’en 1997, feue Hélène Pedneault co-fondait la Coalition Eau Secours (porteur d’eau, j’étais alors au piano pour Richard Séguin et Catherine Sénart).


SOLIDARITÉ AVEC LES AUTOCHTONES

À l’international, l’UQAM doit appuyer ses chargés de cours auteurs de Noir Canada à Écosociété, dénonçant, avec l’organisme chrétien Développement et Paix, les minières canadiennes qui avec la permission du premier ministre Harper continuent à polluer, quitte à se débarrasser des autochtones en Amérique du Sud, en Afrique (Congo) et en Amérique Centrale. L’UQAM doit montrer sa solidarité totale avec les autochtones, comme les APLP l’ont fait en intervenant pendant la crise de Kahnawake et plus récemment en signant un rapport sur le réchauffement climatique attaquant le pergélisol inuït et en applaudissant le mouvement IDLE NO MORE et le rapper Samian avec sa vision critique du plan Nord de Jean Charest.


INTERNATIONALISME PACIFISTE

L’UQAM doit lutter en faveur des objectifs de l’UNESCO appuyés par la chaire ORBICOM de l’ex vice-recteur Claude-Yves Charron, ceux d’UNICEF et de l’ONU, aux côtés du Secrétaire général Ban Ki-moon. L’UQAM doit dénoncer les manœuvres militaires impérialistes de l’OTAN (Libye, Géorgie et bientôt Ukraine?) et se méfier du mal-nommé Conseil de Sécurité permanent (les cinq possèdent l’arme nucléaire). L’UQAM peut s’enorgueillir du doctorat honorifique qu’elle a accordé il y a dix ans à Philippe Kirsch, co-fondateur et premier juge de la Cour Pénale Internationale. Alliés à l’organisme Pugwash9, les APLP prônent l’élimination de toutes les armes de destruction massive, tant les armes nucléaires des neuf pays possédants que les armes chimiques du dictateur Assad et d’Israël. Hélas, nos initiatives en ce sens ont été tues par l’université, par exemples la présentation du dernier livre du professeur au Royal Military College de Toronto, Walter Dorn, sur les Casques Bleus et leurs nouvelles technologies, refusée au dernier colloque sur les missions de paix, Walter se distinguant en outre à l’ONU dans son travail appuyant l’élimination des armes chimiques de Bachar al-Assad. Et on ne parle pas de notre appui à la médiation en Syrie aux côtés de Mère Agnès-Mariam10, heureusement accueillie par la CSN. L’UQAM a LE DEVOIR de marquer sa rupture avec les vieilles compromissions complices des fabricants d’armes qui veulent nous convaincre que le progrès de la paix passe inéluctablement par des bombardements lucratifs pour leurs sociétés multimilliardaires.



PENSÉE POSITIVE : MIEUX ÊTRE, ET NON MIEUX FAIRE

Notre nouveau recteur cherche à bon droit d’asseoir le plan quinquennal à venir sur une pensée positive. Le concept de partage des mieux-être développé aux études supérieures de la Faculté des Arts est tellement plus réaliste que les slogans creux d’excellence, d’accroissement, d’enrichissement, de compétitivité et de faire plus avec moins, représentatifs d’une culture économique guerrière. Le recteur a mentionné la grève de 2012 du bout des lèvres à sa rencontre du lundi 16 décembre avec la Faculté des Arts, alors qu’il devrait inciter résolument l’administration de l’UQAM à s’en enorgueillir. Cela représenterait non pas une rupture avec le passé, mais une correction d’autant plus nécessaire que les étudiants, les professeurs, les chargés de cours et les employés de soutien me semblent avoir fait en 2012 ce choix unanime et positif à travers les positions courageuses de leurs syndicats, en porte-à-faux avec l’administration d’alors. Nous des APLP étions dans la rue avec les étudiants, notamment, aux côtés de l’École de la Montagne Rouge à qui nous avons décerné un prix Hommage le 14 février 2013. J’ai livré le 9 octobre dernier à la Commission du printemps 201211 un témoignage comprenant les sept raisons écologiques de la solidarité des APLP avec les étudiants parfois livrés à des interventions policières brutales, témoignage non diffusé à l’UQAM. Est-ce parce que l’ASSÉ n’a pas aimé mes objections au boycott du Sommet de l’Éducation par les étudiants? Pourtant je reste très fier de nos étudiants de la CLASSE, de la FECQ et de la FEUQ qui ont profité en 2012 de la complicité des Dan Bigras APLP2007, Chloé Sainte-Marie APLP 2009, Ariane Moffat, brièvement étudiante à l’UQAM et Damien Robitaille. Le recteur de l’UQAM devrait historiquement reconnaître que la grève de ses étudiants en 2012 a représenté le sursaut vital d’une société qui a mis à la porte des corrompus complices de la mafia. Et mes collègues retraités Louis Gill et Marcel Saint-Pierre ne m’en voudront pas de la comparaison suivante : de même que le manifeste du Refus global avait prophétiquement sonné le glas de «la grande noirceur » de Duplessis, le printemps érable a couronné la fin de « la petite noirceur » de Charest (2003-2012).

Vive l’UQAM!


Annexe datée du 21 avril 2012 :

« Nous,

Hommes, femmes et enfants de bonne volonté

Nous nous rassemblons pour dire au monde que nous avons à cœur

La terre riche, généreuse et fragile que nous habitons

Et la défense du bien commun en ce pays;


Nous nous rassemblons parce que nous sommes convaincus

Qu'avec notre potentiel et notre savoir-faire

Nous pouvons adopter une meilleure stratégie dans l'usage du trésor

Que sont nos terres, notre eau et l'air qu'on respire;


Nous nous rassemblons

Parce que nous croyons que l'utilisation de nos richesses naturelles

Doit se faire en accord avec les populations

En harmonie avec la nature

Au profit de tout le monde

Et dans l'intérêt des générations à venir;


Nous nous rassemblons parce que nous croyons qu'il est possible

De nous développer selon un modèle

Qui soit une source d'enrichissement réel, de progrès et de fierté

Et une source d'inspiration pour le monde entier;

Nous affirmons que nous sommes favorables au développement, à un développement qui soit viable, qui fasse une large part aux énergies renouvelables, au transport écologique, au commerce équitable, à la revitalisation des régions et à une agriculture durable et nous affirmons qu'il est capital d'orienter nos efforts vers une économie où prospérité sera synonyme de qualité de vie;

Nous nous rassemblons pour dénoncer le désengagement du Protocole de Kyoto, les dégradations dues à l'exploitation des sables bitumineux, les modèles actuels de développement minier et forestier, les risques liés à l'exploitation du gaz de schiste, du pétrole, de l'uranium et à l'utilisation de l'énergie nucléaire sur notre territoire;


Nous refusons d'être dépossédés de nos richesses et des sources d'un véritable progrès et nous demandons:

Que le Gouvernement du Canada participe pleinement au Protocole de Kyoto, qu'il intensifie la lutte aux changements climatiques, qu'il cesse toute subvention aux compagnies pétrolières et gazières et qu'il poursuive toute politique de développement en répondant aux objectifs économiques, écologiques et sociaux les plus élevés au monde;

Que le Gouvernement du Québec se dote d'une véritable stratégie, pour le Nord et l'ensemble du territoire, où le développement de nos ressources naturelles et énergétiques rencontre nos exigences les plus hautes en matière de partage de la richesse, de respect de l'environnement et des populations, maintenant et pour les générations à venir;


Signé, Dominic Champagne, artiste pour la paix 2011


Ont signé avec lui les artistes suivants :

Jean-Michel Anctil, Denys Arcand, Stéphane Archambault, Paule Baillargeon, Jean Barbe, Christian Bégin, Emmanuel Bilodeau, Céline Bonnier, Daniel Boucher, Hélène Bourgeois-Leclerc, Michel Brault, Benoît Brière, Geneviève Brouillette, Sophie Cadieux, Nathalie Coupal, les Cowboys Fringants, Normand D’Amour, Richard Desjardins, Mireille Deyglun, Boucar Diouf, Diane Dufresne, Roy Dupuis, Maxim Gaudette, Maude Guérin, Élyse Guilbeault, Philippe Falardeau, Françoise Faucher, Roger Frappier, Brigitte Haentjens, Louis-José Houde, Marc Labrèche, Jacques Languirand, Pierre Lapointe, Fabienne Larouche, Guy Latraverse, Ginette Laurin, Julie LeBreton, Guillaume Lemay-Thivierge, Macha Limonchik, Fanny Mallette, Claude Meunier, Mes Aïeux, Ariane Moffat, Sylvie Moreau, Émilien Néron, Yannick Nézet-Séguin, Marina Orsini, Lise Payette, Fred Pellerin, Yann Perreau, Paul Piché, Émile Proulx-Cloutier, Sébastien Ricard, Isabelle Richer, Geneviève Rochette, Évelyne Rompré, Chloé Sainte-Marie, Guylaine Tremblay, Tricot machine, Ricardo Trogi, Vincent Vallières, Gilles Vigneault …


et d’autres artistes ou professeurs (de l’UQAM) militant pour la paix tels :

Frédéric Back, Hélène Beauchamp, André Breton, Mario Bruneau, Hélène Cardinal, Jean-François Casabonne, André Cloutier, Serge Côté, Diane Croteau-Grenier, René Derouin, Yvon Deschamps, Raôul Duguay, Robert Dupuy, Margie Gillis, Daniel Gingras, Vincent Graton, Renaud Grenier, Dorothy Todd Henaut, Pierre Jasmin, Marie Laberge, Arthur Lamothe, Ricardo Lamour (Emrical), Hugo Latulippe, Dom Lebeau, Georges Leroux, Jacques Lévesque, Victor Lévy-Beaulieu, Izabella Marengo, Pascale Montpetit, Joëlle Morin, Michèle Nevert, Lorraine Pintal, Louise Poissant, Daniel-Jean Primeau, Judi Richards, Annie Roy, Marcel Saint-Pierre, Samian, Richard Séguin, Florent Vollant, Laure Waridel…

Les signataires se sont engagés à prendre part à un vaste rassemblement le 22 avril à 2 heures précises, à Montréal et vous invitent à vous joindre à eux sous la bannière des Artistes pour la Paix. Car les gouvernements ont déclaré la guerre à la nature, avec la complicité d’hommes d’affaires sans scrupules (dénoncés par Claude Béland, ancien président de Desjardins) qui prônent le projet aberrant de réfection de la centrale nucléaire de Gentilly 2 (dont les coûts grossièrement sous-estimés équivalent pourtant à dix fois la somme extorquée par la hausse des frais de scolarité pour les prochains cinq ans…), ainsi que l’achat des F-35 Lockheed Martin furtifs et agressifs, sans aucune valeur défensive (qui équivaut aux coûts de fonctionnement du ministère canadien de l’Environnement jusqu’en 2041…).

Ajoutez vos noms à cet appel en allant sur www.22avril.org


Info : Pierre Jasmin professeur UQAM et vice-président APLP 514-987-3000 poste 3937

www.artistespourlapaix.org

1 Voir www.dontbankonthebombs.com de l’International Coalition against Nuclear weapons

3 Sur le site web du magazine Affaires universitaires de septembre 2013 on consultera mon article : http://www.affairesuniversitaires.ca/universites-canadiennes-et-armes-nucleaires-un-appel.aspx

4 Lire de feu Gilles Dostaler, professeur à l’UQAM et amoureux de Mozart : Keynes et ses combats

5 Lire « Fin de l’Occident, naissance du monde », 2013, au Seuil.

6 Le rapport Brundtland Notre avenir à tous nous est parvenu dès 1986 dans sa version traduite en français par des Québécois. Il allait inspirer l’Enquête populaire sur la paix et la sécurité pan –canadienne, organisée en 1992 au Québec par les APLP : voir http://artistespourlapaix.org/page_id=2659

8 Lire annexe à la fin.

9 Voir www.pugwashgroup@ca en cliquant sur l’onglet en français

11 Voir le film de ce témoignage de vingt-cinq minutes ou le lire sur http://artistespourlapaix.org/?p=2987