Les postfaces de Micheline Lachance

2014/02/27 | Par Micheline Lachance


Surtout, ne pas se voiler la face…

Ce livre, je le recommande au recteur Guy Breton de l’Université de Montréal et au philosophe Michel Seymour, qui ravalent les partisans de la Charte de la laïcité à des franquistes et à des lepenistes.

Le controversé, mais combien nourrissant philosophe Alain Finkielkraut ratisse large. Qui dit « identité nationale » nous conduit en droite ligne au débat qui fait rage au Québec comme en France sur l’interdiction du voile islamiste, symbole par excellence de l’inégalité de la femme musulmane. Là-dessus, Finkielkraut ne tergiverse pas. Il écrit : « Le voile coupe le monde en deux et règle la coexistence entre les sexes sur le mode d’une stricte séparation. »

Il en appelle au « devoir de clairvoyance ». Autrement dit, on ne doit pas se voiler la face afin de voir ce que cache le voile islamiste. Il se révolte contre les injures faciles adressées aux partisans d’une laïcité réfractaire aux signes religieux dans les services publics. À ses yeux, le racisme et la xénophobie n’ont rien à voir avec le fait d’interdire le hijab à l’école et la burqa dans l’espace public. C’est pure démagogie que d’insinuer que l’islamophobie a remplacé l’antisémitisme.

Les « démons de l’identité », selon la formule du philosophe, l’amènent aussi sur le terrain des rapports entre ce qu’il appelle les « autres réalités naturelles » et l’homme. Là, l’identité devient plus malheureuse à cause de « la guerre des respects ». Tous ces comportements impolis, péremptoires et effrontés qui marquent les rapports des uns aux autres à l’école, en politique, dans la justice et dans les médias.

Cette montée d’incivilités débouche fatalement sur une société où dominent l’intimidation, la violence, la vulgarité, l’individualisme exacerbé et surtout l’absence de ce lien fraternel censé définir notre identité d’homme et de femme.

L’identité malheureuse, par Alain Finkielkraut, Stock, 2013.


Aïko et son samurai

Aki Shimazaki a décidé d'émigrer de son Japon natal comme on part à l'aventure. À 25 ans, elle a demandé un visa d’immigration à plusieurs pays. «C’est le Canada qui m’a choisie», m’a-t-elle dit un jour. Elle s’est d’abord installée à Vancouver, puis à Toronto, avant de planter définitivement sa tente à Montréal, en 1991.

Le français, si difficile à cause de la grammaire, elle s'est acharnée à l'apprendre. «Puisque j'allais vivre ici, c'était une question de respect.» Depuis, elle a publié en français onze petits romans dont les personnages traversent le Japon de l’après-guerre.

Son dernier, Yamabuki, met en scène un couple âgé soudé depuis un demi-siècle. C’est l’épouse, Aïko, qui, en toute simplicité, plonge dans leur intimité pour nous parler de son samurai et nous dévoiler ses grands bonheurs, mais aussi ses blessures à l’âme. En toile de fond, le Japon, dévasté par les bombardements, se reconstruit.

Yamabuki, par Aki Shimazaki, Leméac/Actes Sud, 2013.



Des Barbies aux Pussy Riot

Martine Delvaux, romancière et prof de français à l’UQAM, a eu l’idée de cet essai pendant la crise étudiante de l’été 2012, alors qu’elle «casserolait» dans les rues de Montréal. En observant les manifestantes vêtues pareillement, elle s’est demandé qui étaient ces anonymes qui avançaient du même pas, comme des clones.

Mettant à profit les enseignements des féministes, dont Simone de Beauvoir et Virginia Wolfe, elle a sondé le cœur et les reins des Barbies, Bunnies et autres filles en série programmées pour être admirées et désirées. Delvaux voulait comprendre ce que cache cette uniformité.

Sa réflexion l’a convaincue que, même si elles se démultiplient à l’infini, ces «poupées» résistent à l’identité qu’on veut leur imposer. D’où ce doute, voire cet espoir, qui a surgi : et si elles rentraient dans le moule pour le faire craquer de l’intérieur? N’est-ce pas exactement ce que font les Femen et les Pussy Riot?

Les filles en série, par Martine Delvaux, Éditions du remue-ménage, 2013.


Carrie, l’espionne bipolaire

Écrit en quatre mois, le roman d’Andrew Kaplan, auteur de thrillers traduits en vingt langues, nous fait pénétrer au cœur de la personnalité attachante, mais aussi fantasque que complexe de Carrie.

L’espionne au look d’enfer de la série télévisée Homeland cache un secret qui, s’il était connu, mettrait fin à sa carrière : elle est bipolaire. Pour fonctionner, elle a besoin de clozapine, médication que lui refile sa soeur Maggie, psychiatre.

L’idée du livre, c’est Carrie… avant l’arrivée dans sa vie de Brodie, ce mystérieux militaire américain capturé par les islamistes qu’elle soupçonnera envers et contre tous d’avoir été retourné et de préparer un attentat contre le vice-président des États-Unis.

S’il est absent du roman, en revanche, on retrouve le sympathique barbu Saul Berenson, mentor et protecteur de l’indisciplinée Carrie, trop prompte à se foutre des consignes du grand patron David Estes. Le goût de la chose la conduit dans le lit de Saul, ce qui n’empêche pas son amant de la sermonner quand elle défie ses ordres.

Le livre de Kaplan amorce, en quelque sorte, la série télévisée en lançant l’espionne de la CIA sur la trace d’Abou Nazir, le redoutable chef d’Al-Quaïda en Irak qui se cache à Beyrouth.

Homeland — La traque, par Andrew Kaplan, Seuil, 2013



À cause d’une croix gammée

L’écrivain danois Jean-Christian Grondhal jongle avec les questions identitaires, thème inépuisable. David, un avocat de Copenhague que ses origines juives rendent mal à l’aise vit en harmonie avec sa femme Emma, une peintre anglaise qui refuse d’exposer ses œuvres.

Leur fille Zoé, vidéaste, cimente leur union vieille de 25 ans. Jusqu’au jour où Zoé décide de présenter son amoureux, un musulman pakistanais, à ses parents.

David rentre d’un voyage d’affaires à Londres juste à temps pour cette rencontre. Or, ce jour-là, il trouve une croix gammée peinturée sur sa boîte aux lettres. Vite, il la fait disparaître. Ce sera le déclencheur d’une remise en question qui débute pendant le dîner, au cours duquel il sera question de religion, d’art et de racines, et se prolonge le lendemain.

Le passé ressurgit, avec ses non-dits, ses jalousies et ses frustrations inavouées. Personne ne sort de ce roman tout à fait indemne.

Les complémentaires par Jean-Christian Grondhal, Gallimard, 2013.



Prostituées noires, clients blancs

Dans ce roman, Henning Mankell, père de l’inspecteur Kurt Wallander — 40 millions d’exemplaires vendus — délaisse le célèbre policier atteint d’Alzheimer. Cette fois, il promène ses lecteurs en Afrique.

Son héroïne, Hanna Renström, une paysanne suédoise de 18 ans, ne sait pas ce qui l’attend, lorsqu’en avril 1904, elle s’embarque comme cuisinière à bord d’un navire en partance pour l’Australie. À Lourenço Marques, capitale du Mozambique où le bateau fait escale, Hanna déserte. Tant pis pour l’Australie ! Ce sera l’Afrique portugaise.

Au lieu du paradis imaginé, elle découvre l’enfer du système colonial rongé par la haine raciale et l’esclavagisme. La voilà bientôt à la tête d’un prospère bordel réservé aux Blancs, grâce à son mariage avec le patron portugais, le Senhor Vaz, qui, sans jamais être arrivé à la pénétrer, a la bonne idée de lui léguer sa fortune en expirant.

Tout en rêvant de rentrer en Suède, Hanna protège de la brutalité des clients blancs ses prostituées noires, victimes de ce racisme qui, pour Mankell, est la forme la plus achevée de la peur de l’autre.

Un paradis trompeur, par Henning Mankell, Seuil, 2013.