Le « nous » doit reprendre sa juste place au Québec

2014/03/06 | Par Alex Nado


La Presse des éditorialistes, tellement occupés à déconstruire ce qui reste de « national » au Québec, qu'il en dégage plus une odeur de dégoût qu'un sentiment de colère.

Alors qu'André Pratte se tue à la tâche de discréditer systématiquement les initiatives du gouvernement péquiste, Vincent Marissal s'insurge jour après jour dans un mépris consommé contre les velléités nationales des Franco-Québécois.

Et Denis Lessard. S'il n'a pas déjà une place réservée au cabinet d'un futur gouvernement de Philippe Couillard, certains pourraient croire qu'il reçoit déjà un chèque de l'opposition officielle à l'Assemblée nationale.

Ceci dit, mercredi matin, 5 mars, Mario Roy réussit ce que plusieurs auraient crû impossible. Il va encore plus loin pour saper les fondations de la nation québécoise: il s'attaque à l'idée même d'un « nous » au Québec.

Dans son éditorial « Nous, nous, nous », il s'affaire à déconstruire la pertinence de parler au pluriel, trop attaché au « je » comme ses collègues libéraux ou du monde des affaires. Il en veut au gouvernement péquiste de créer des chaires de recherche sur l'identité québécoise. Inutile selon lui.

« Huit nouvelles chaires de recherche sur notre identité? Huit? Est-elle si mystérieuse, inexplorée, incertaine? » C'est qu'il minimalise l'appartenance nationale qui n'est selon lui « qu'un des nombreux éléments qui composent l'identité d'un être. Est-il le plus important? »

Mais quel est donc le plus grand créateur de solidarité nationale? De « nous »? La motivation première des mouvements d'affirmation collectifs, celle qu'abhorrent les individualistes libéraux obnubilés par leur nombril au « je »?

L'Histoire. Surtout, l'Histoire nationale. Pas besoin de le rappeler à M. Roy. Après avoir tenté de discréditer l'idée des chaires sur l'identité, il s'en prend tout de suite à l'Histoire.

D'emblée il pose la question « qu'est-il essentiel de savoir sur le passé? », comme un banquier demanderait « pourquoi l'argent? »

Sachant qu'il ne gagnera pas à vouloir démontrer l'inutilité de la mère des sciences sociales, il tente au moins de décourager ceux et celles qui voudraient parler du passé de ces gens qui ont bâti des villes et des villages en français en Amérique du nord.

« On pourrait raisonnablement plaider que la civilisation gréco-romaine nous a davantage façonnés, nous (nous!), notre philosophie, notre savoir, notre vie, que les plaines d'Abraham », écrit-il.

Désespérant. Pas que ce discours irresponsable, nombriliste et ingrat soit une surprise: on l'a souvent entendu. Non, ce qui est navrant, c'est que ces idées trouvent dans La Presse un lectorat immense grâce au pouvoir de l'argent.

Se mettre au service des puissants ou emprunter les chemins faciles tracés par l'intelligentsia à la mode devient la norme par défaut. Navrant aussi pour les nombreux excellents employés et journalistes du quotidien: tous ne sont pas des pourfendeurs de solidarité nationale. 

Il n'empêche qu'il ne doit pas être toujours facile pour plusieurs d'entre eux de négocier la paix, ou au moins une trêve, avec leur conscience.

La prochaine élection au Québec aura une importance historique, et les éditorialistes de La Presse le savent trop bien. Pourquoi? Justement parce que le prochain scrutin ne tournera pas autour « des vraies affaires » de Philippe Couillard.

Cette fois, les électeurs veulent savoir si un « nous » existe toujours au Québec. Salles d'urgence, taxes et développement économique? On en parlera, mais moins. La question identitaire, l'actualité l'a démontré durant la dernière décennie, a une importance fondamentale pour une majorité de Québécois et on est loin d'y avoir répondu.

C'est un enjeu qu'ont tenté de balayer sous le tapis les Libéraux: un terrain miné pour un parti qui représente d'abord les intérêts du monde des affaires lequel n'aime pas les grands projets collectifs.

Le Parti Québécois aussi a voulu éviter la question, trop effrayé par la possibilité d'être taxé de xénophobe ou de raciste. L'Action démocratique et la Coalition Avenir Québec ont été les premiers à comprendre l'importance de cet enjeu, mais ils ont été paralysés par leur absence de position dans le dossier constitutionnel.

L'équipe du Parti de Lévesque s'est ravisée, et grand bien lui fasse. Sa décision porte déjà fruit. La Presse voudrait bien empêcher que l'on parle au « nous » au Québec surtout quand le vocable est utilisé par les Québécois francophones.

C'est trop porteur de solidarité, trop collectif, pas assez individualiste. Mais de plus en plus de gens au Québec comprennent que c'est le moment ou jamais de baliser notre existence nationale, ils voient bien que tout le monde parle au « nous », sauf eux et que ce n'est pas à leur avantage: les Anglophones parlent au « nous » lorsqu'ils votent à 90% libéral, les communautés culturelles qui appellent à voter en bloc pour Denis Coderre à Montréal, aussi.

La seule communauté divisée au Québec, ce sont les 82% de Canadiens français qui se partagent entre le PQ, le PLQ, la CAQ et QS. Entre le oui et le non. Ça doit changer. Et pour ça, n'en déplaise à La Presse, le « nous » doit reprendre sa juste place au Québec.