Un gardien la nuit

2014/03/07 | Par Ginette Leroux

Avec : Guy Nadon, Marilyn Castonguay, Patrick Hivon, Véronique Le Flaguais, Frédéric Pierre, Shanti Corbeil-Gauvreau
Durée : 94 minutes
Pays de production : Québec
Année de production : 2014
Scénario et réalisation : Jean-Sébastien Lord
Images : Geneviève Perron
Producteur : Couzin Films
Distributeur : K-Films Amérique
Date de sortie : 7 mars 2014


« Qu’est-ce que tu veux qui s’passe dans ma vie, tout le monde dort quand j’travaille? », pense tout haut Normand (magnifique et incomparable Guy Nadon) le veilleur de nuit d’un édifice à bureaux. Grand fan de hockey, les parties du Canadien, diffusées à la radio, lui tiennent compagnie. Au moment où il amorce sa deuxième ronde de surveillance, des bruits attirent son attention. Surprenant des cambrioleurs à l’œuvre, il part à leur poursuite et rattrape, dans l’escalier de secours, l’un des deux fuyards. Une fille, Nathalie.

L’effort provoque chez lui une crise cardiaque. La voleuse, surprise de la tournure de l’événement, met sous la langue de l’homme en détresse le cachet qui le sauve d’une mort certaine. En échange, il la laisse partir, croyant ne plus jamais la revoir.

Ainsi débute « L’ange gardien », le deuxième film de fiction de Jean-Sébastien Lord. En 2000, le cinéaste, alors âgé de 28 ans, avait fait le saut vers le long métrage. Il avait écrit et réalisé « Le Petit ciel », pour lequel Julien Poulin avait été récompensé comme meilleur acteur de soutien à la Soirée des Jutra.

Trois semaines plus tard, Nathalie (talentueuse, attachante et captivante Marilyn Castonguay) revient hanter le gardien d’immeuble. « Come on », le supplie-t-elle de sa voix triste, plaintive, insistante. Il cède et lui ouvre la porte.

La jeune femme étale sa vie malheureuse. Aux prises avec un problème de drogue, son « chum », un vaurien sans emploi, perd les pédales. Il n’arrive plus à s’occuper de sa famille. Le couple désargenté est en train de sombrer. Nathalie quitte la maison, laissant à Guylain (touchant Patrick Hivon) la garde de leur fille Coralie (Shanti Corbeil-Gauvreau).

Pour Normand, la vie a perdu tout son sens. Lorsqu’il rentre à la maison le matin, sa femme (Véronique Le Flaguais) se prépare à partir pour le travail. « Bonne journée », lui marmonne-t-il. En guise de réponse, le « bonne nuit » laconique de sa femme en dit long sur l’épuisement de leur vie commune.

Une relation s’établit entre l’ancien policier à la retraite et la jeune femme éplorée. Nathalie devient son soleil de minuit. Il reprend goût à la vie. Fasciné par elle, par sa hardiesse, sa détermination, sa fragilité et son immense besoin d’être enveloppée, protégée et aimée, il se laisse couler dans des gestes paternels, sans calcul ni méfiance. Le bon samaritain s’abandonne complètement.

Soir après soir, la mère de la petite fille de 7 ans revient auprès de son protecteur. Il est vulnérable, elle, en perte de ses repères. Ensemble, ils se raccrochent à la vie.

Les fils du drame ne sont pas tous tirés. De rebondissement en rebondissement, et jusqu’au dénouement, le spectateur est tenu en haleine.



Critique

Crime, il m’a eue! Je reprends ainsi les mots de Marilyn Castonguay qui, dans une entrevue accordée à La Presse le soir de première au cinéma Impérial, disait qu’en cours de lecture du scénario elle croyait avoir compris l’issue de l’intrigue. Mais, au final, elle avoue qu’elle avait tout faux. Je suis totalement d’accord avec elle.

Guy Nadon excelle dans son rôle par une prestation naturelle et vraie. L’acteur, plus grand que nature, montre une force de persuasion hors du commun. Il habite son personnage avec une telle force qu’elle oblige à le suivre.

Marilyn Castonguay, une actrice charismatique dont la présence emplit l’écran, déploie dans son jeu une douceur et une insistance qui donne à son personnage une dimension rarement atteinte. Dans ses yeux, se lisent l’immensité de son désarroi et de son dénuement, le trou dans lequel sa Nathalie s’enlise et s’enfonce.

Lors de l’entrevue accordée par Jean-Sébastien Lord à « l’aut’journal » au Bar Sarah B de l’Hôtel Intercontinental, à quelques heures de la première de son film aux Rendez-vous du cinéma québécois, je lui demande s’il est un mordu du Canadien de Montréal comme l’est Normand, son personnage principal.

Il s’esclaffe avant de répondre qu’il n’est pas un grand fan de hockey, pas plus que la moyenne des ours. « Je ne regarde pas tous les matchs, mais lorsque vient le temps des finales, je suis au poste. J’écoute également, à l’occasion, des lignes ouvertes. »

Ce sport exerce sur lui une fascination. Il l’explique par l’anecdote suivante : « Mon grand-père a subi un pontage comme le personnage principal. Il ne pouvait écouter les parties de hockey à la télé parce que ça le stressait trop. Au moment d’un but, il courait écouter la reprise à la radio ». Voilà comment il a transmis à son personnage principal la passion du hockey.

Le cinéaste s’est inspiré d’un court métrage, réalisé il y a 20 ans, alors qu’il avait passé une nuit avec un gardien de sécurité de l’université qu’il fréquentait à l’époque. « Cet homme m’avait beaucoup touché. La nuit crée une atmosphère spéciale, irréelle », se rappelle-t-il. Un lieu très vivant le jour mais, soudainement, la nuit tout change. « L’ange gardien » découle de cette rencontre.

La caméra de Geneviève Perron, qui travaille comme directrice photo en fiction et en documentaire, force l’admiration. Ses gros plans dévoilent l’intériorité des personnages. « Les gros plans sont un moyen d’être proche des comédiens, confie le réalisateur, et donnent un point de vue particulier sur l’action. Le jeu de l’acteur doit rester très sobre. »

« L’ange gardien » est un film d’acteurs, un face à face entre Guy Nadon et Marilyn Castonguay. « À partir du moment où Nathalie entre dans la vie de Normand, il est déstabilisé. La caméra à l’épaule donne une certaine fébrilité à l’action et permet aux spectateurs d’entrer dans l’émotion », poursuit-il.

Le fils de Jean-Claude Lord croit qu’un film est un travail d’équipe. « Chacun est meilleur que moi dans son domaine, les collaborateurs de l’équipe technique ou de l’ensemble des comédiens. Toutes les suggestions qui enrichissent le film sont bien accueillies. Le but étant de faire le meilleur film possible », dit-il.

Les répétions avant le tournage permettent de créer une base solide pour le jeu des acteurs. Une fois sur le plateau, les décisions sont prises et déjà ancrées. «  Mon rôle est de créer une atmosphère propice au jeu des acteurs sur le plateau. J’aime que ce soit calme, que chacun sache ce qu’il a à faire, que tout soit planifié. Rien ne doit être laissé au hasard. Les comédiens doivent se sentir en confiance », précise-t-il.

La musique originale, composée et exécutée par Ramachandra Borcar, renforce le mystère qui plane sur l’histoire. Le musicien de parents indien et danois est né à Montréal. Il cumule plusieurs trames sonores de films québécois. « Amsterdam », de Stephan Miljevic, « Roche, Papier, Ciseaux, de Yan Lanouette Turgeon ou encore « Liverpool » de Manon Briand pour ne nommer que les plus récents.

Connu du producteur, la rencontre entre le réalisateur et le compositeur s’est avérée concluante. « Sa musique magnifie l’ambiance très particulière et singulière du film. Très fines, ces percussions amènent le gardien, seul la nuit, dans un autre univers ».

Guy Nadon a raison de dire qu’avant tout ce film est une bonne histoire. Alors qu’on s’inquiète de la faiblesse des scénarios, Jean-Sébastien Lord, après quatre ans de travail de scénarisation, accouche d’une histoire qui a tous les ingrédients tant attendus par les propriétaires de salles du Québec. Sans compter qu’elle devrait créer l’unanimité chez les spectateurs dès sa sortie le 7 mars 2014.



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