Les 2 000 «super infirmières» du PLQ : « De la poudre aux yeux », rétorquent les syndicats

2014/03/12 | Par Maude Messier

Le Parti libéral du Québec annonçait mardi matin qu’un gouvernement libéral ferait l’embauche de 2 000 infirmières praticiennes spécialisées pour désengorger le réseau de la santé.

« Ce sont des vœux pieux et de la poudre aux yeux », de déclarer Nadine Lambert, vice-présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN.

Mme Lambert fait valoir qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, un bassin d’infirmières bachelières formées assez important pour réaliser cette promesse rapidement.

« Il faudra former un bassin de bachelières important et ça, ce n’est pas réalisable demain matin. » On en compte actuellement environ 180 dans le réseau de la santé et seulement 35 à 50 nouvelles diplômées intègrent le réseau annuellement.

« À la Fédération, nous sommes en faveur d’une meilleure place pour tout le monde dans le réseau, dont les infirmières praticiennes spécialisées. Mais ce n’est pas la seule solution. On ne peut pas miser uniquement sur les praticiennes. »

Un tout qui inclut les autres professionnels en soins, dont les infirmières et les infirmières auxiliaires, lesquelles ont aussi un rôle important à jouer pour améliorer l’accessibilité aux soins de première ligne. Mme Lambert estime d’ailleurs que le dossier des infirmières praticiennes est indissociable de celui du rehaussement de la formation initiale des infirmières.

« Il y a tout un travail de fond à faire avant, travail qui n’a jamais été fait sous le règne des libéraux, et ce n’est pas parce qu’il n’y a pas eu de pression. Cette annonce venant du PLQ est donc assez étonnante. »

Les infirmières praticiennes spécialisées sont détentrices d’un diplôme d’études universitaires de deuxième cycle. Leur niveau de compétence, et leur permis de pratique, leur permet par exemple de faire des ordonnances, de poser certains diagnostics et de faire des suivis notamment de maladies chroniques et de grossesses.

Du côté de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), on se dit tout à fait d’accord avec un rôle accru des praticiennes, encore faut-il que celles qui oeuvrent dans le réseau en ce moment soient reconnues à la hauteur de leurs compétences, explique la présidente, Régine Laurent.

Alors que l’équipe santé du PLQ parlait mardi des infirmières praticiennes comme d’un élément clef pour améliorer l’accès à des soins de santé, le son de cloche à la FIQ est différent.

« Il y a une méconnaissance de leur rôle. Dans les GMF [groupes de médecine familiale] comme dans les milieux hospitaliers, leur intégration n’est pas simple et elles ne pratiquent pas au maximum de leurs compétences. Il existe encore des réticences à leur autonomie professionnelle alors que c’est cette autonomie qui est pourtant la clef. »

Elle cite en exemple un établissement de la région de Québec où des infirmières font des suivis de grossesse, une situation qui est encore loin d’être généralisé dans tous les établissements du Québec.

Pour Régine Laurent, il faut mettre en lien cette annonce du PLQ avec celle de la mise en place de 50 «super-cliniques», de nouvelles structures qui s’ajouteront à celles déjà existantes.

« Comme pour les GMF, il s’agit d’une structure d’entreprise. Les super-cliniques seront les propriétés de médecins spécialistes, où il y aura un accès rehaussé à la résonnance magnétique, au scan et à l’échographie, tel qu’annoncé, et payé par la RAMQ, mais dont les bénéfices ne sont pas redistribués dans le réseau. »

Une position que partage aussi la Fédération de la Santé du Québec (FSQ-CSQ), accusant Philippe Couillard de siphonner une partie des ressources du réseau public pour favoriser une nouvelle structure hors du réseau public.

« Alors que notre réseau public n'est surtout pas en surplus de ressources, Philippe Couillard veut transférer un certain nombre de professionnels de la santé des services de radiologie et des tests de laboratoire vers ses nouvelles cliniques», d’indiquer Claire Montour, présidente de la FSQ, ajoutant que la place des 2 000 infirmières praticiennes spécialisées doit être dans le réseau public de santé, au service de l'ensemble de la population.

Joint par l’aut’journal, le candidat de Québec solidaire de Laurier-Dorion, Andrés Fontecilla, estime que la proposition de PLQ est « une mesure improvisée ».

Québec solidaire propose plutôt une restructuration des soins de première ligne, lesquels seraient dispensés dans les 140 CLSC, «24 heures sur 24, 7 jours sur 7». Une façon d’utiliser à leur plein potentiel des infrastructures déjà réparties sur tout le territoire du Québec.

En étendant les heures d'ouverture, les familles auraient ainsi accès en tout temps à des spécialistes de la santé, dont des médecins de famille, des infirmières et des travailleuses sociales, entre autres.

Le projet de Québec solidaire repose notamment sur le travail en équipes multidisciplinaires, une solution qui permettrait un meilleur accès à un médecin de famille.

QS propose aussi de revoir le mode de rémunération des médecins et d’augmenter la part versée sous forme de salaire, par opposition à la rémunération à l’acte qui favorise le volume d’actes en dépit de la dimension préventive.

Le parti propose aussi la mise en place d’incitatifs pour amener les médecins à consacrer plus de journées à offrir des rendez-vous d’urgence, mais aussi augmenter la formation de certains acteurs, tels que les paramédicaux et les infirmières, pour permettre la délégation d’actes médicaux.

Andrés Fontecilla indique que tous les professionnels en soins, incluant les infirmières praticiennes, auraient un rôle à jouer pour assurer une meilleure accessibilité des soins de première ligne dispensés dans les CLSC et ainsi désengorger les urgences. Le projet solidaire prévoit des investissements de 400 millions $ au cours des cinq prochaines années pour l’embauche de 800 professionnels de la santé, infirmières et autres dans les CLSC.

Interrogée sur cette proposition, Régine Laurent a indiqué qu’il s’agit précisément de la mission que devaient initialement remplir les CLSC, « mais le corps médical a refusé de les intégrer et il n’y avait pas d’ordonnances collectives. C’est pour ça que nous nous penchons sur le concept de cliniques de proximité, pour se sortir du joug médical. »

Et s’il y avait des contraintes pour le corps médical? « C’est certainement l’élément le plus hypothétique, contraindre le corps médical », ironise Mme Laurent.