Les non-francophones qui menacent de quitter le Québec

2014/03/17 | Par Claude G. Charron


Il y avait la charte, il y a maintenant l’entrée en scène de PKP. Il faut remonter aux derniers jours de la campagne référendaire de 1995 pour retrouver un Canada anglais tout autant aux abois qu’en cette présente fin d’hiver 2014.

Important symptôme de la panique qui a envahi le ROC et nos Anglos, ce n’est plus seulement le National Post, le Globe, ou notre bonne vieille Gazette qui ont sorti l’artillerie lourde afin d’empêcher Pauline Marois de gagner haut la main le prochain scrutin et de pouvoir alors former un gouvernement péquiste majoritaire.

La CBC semble également être de la partie avec le sondage qu’elle a commandé à la maison EKOS tout juste avant que ne débute la campagne électorale.

Voulant conserver intacte son image de grande institution publique ne s’impliquant qu’avec infinies précautions dans le débat politique, CBC – Québec se devait donc de ne pas trop donner l’image qu’elle est encline à succomber à l’actuelle rage de francophobie et de Québec bashing secouant le ROC et le West-Island.

Dans un tel contexte, comment faire pour conserver cette image de neutralité tout en tenant compte d’un mandat qui est d’œuvrer à l’unité canadienne?

C’est en louvoyant avec cette contradiction que, dans les officines de la CBC à Montréal, on a décidé de commander ce sondage afin de connaître l’humeur des non-francophones face à la menace d’un gouvernement Marois devenu majoritaire.

On s’est mis d’accord pour qu’aux sondés la principale question à poser soit : « Songez-vous à quitter le Québec», les autres devenant accessoires, comme celle de savoir si les Québécois sont racistes. Ou s’ils sont islamophobes. À noter ici ce terme de « non-francophones » qui, dans le sondage, englobe les 12% d’allophones avec les 8% d’Anglos.

Terme aucunement neutre surtout quand on constate que c’est l’engouement des francophones pour la charte qui a principalement motivé la CBC à commander le sondage. Car il ne faut pas être dupe avec de tels sondages arrivant à point nommé. Celui qui nous occupe ressemble étrangement à ceux de l’Institut Fraser servant tout autant à renseigner sur l’état de l’opinion publique qu’à orienter dans le sens désiré celle-ci.

À première vue, on pourrait penser que la cible à atteindre soit les immigrants récents, ceux de plus vieille date, ainsi que leurs enfants et petits enfants. Or, s’il est vrai qu’avant le déclenchement des élections, on dénombrait chez-eux une majorité anti-charte, il reste que cette opposition ne fait vraiment pas autant l’unanimité que chez les Anglos de vieille date.

Mais les gens de la CBC savent trop que ce n’est pas tant les allophones qu’il faut le plus cibler car, même si cette hantise d’un possible exode peut jouer, on demeure confiant que la plupart d’entre eux voteront libéral. Et qu’ils n’ont aucune envie de quitter massivement le Québec.

Ce qu’il faut surtout atteindre, ce sont les électeurs de la grande couronne de Montréal, ceux qui ont voté pour la CAQ en 2012, privant ainsi Pauline Marois de former un gouvernement majoritaire. Il faut les rejoindre par une large couverture médiatique. C’est donc en pensant à cet électorat du 450 qu’on a eu la brillante idée d’étaler sur plusieurs jours les résultats du sondage à venir.

Avec Céline Galipeau au Télé-journal et Sophie Thibault aux Nouvelles TVA dépliant méticuleusement soir après soir les résultats d’EKOS, ceci pendant une quinzaine de jours, on obtiendra, s’est-on dit, les résultats que les faiseurs de pubs connaissent bien, l’effet du supplice de la goutte d’eau.

On s’est dit qu’il fallait jouer sur la culpabilité de ces banlieusards du 450 étant donné qu’ils sont encore empreints d’un vieux fond catho. Il faut leur faire penser qu’ils vont nuire aux Anglos en votant PQ puisqu’EKOS leur révèlera que, si déjà ceux-ci songent à quitter le Québec, ils seront davantage plus nombreux, non seulement à y songer, mais à passer à l’acte si le PQ devient majoritaire.

Autre avantage : nombre de ces électeurs, ayant voté pour la CAQ en 2012, l’ont fait en songeant à leur portefeuille. Quoi de mieux que de placer au dessus de leur tête l’épée de Damoclès d’une récession provoquée par le massif départ d’Anglos?

Mais pour que l’opération réussisse, il faut qu’en plus d’une persistante évocation du sondage dans les bulletins de nouvelles, il soit l’objet de commentaires et d’analyses aux émissions d’affaires publiques telles que le Larocque-Lapierre, le 24/60 et Les coulisses du pouvoir. Ou mieux encore, à Tout le monde en parle.

Opération réussie ? Pas certain, si on se fie à ce qu’a donné le passage de Bernard Saint-Laurent au 24/60. Rien pour ébranler les colonnes du temple avec la prise de parole de ce journaliste de la CBC qui a sûrement été très mêlé à la décision de tenir un tel sondage.

À CBC-Montreal on n’a pas trop apprécié que le sujet n’ait pas été plus couvert par une SRC dont on doit regretter qu’elle ait retrouvé une certaine forme d’autonomie d’avant l’ère Trudeau. À la toute fin de l’exercice, on n’avait plus qu’à s’accrocher sur le fait que l’émission Médium large ait accepté de faire connaitre à son auditoire la réaction de deux jeunes anglophones sur le sondage.

Pas de chance : les témoignages de ces deux jeunes n’ont rien fait pour aider la cause. http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2013-2014/chronique.as...

Bien au contraire. À tel point qu’on puisse se demander si la commande de traiter du sujet n’ait pas été directement venue du bureau de James Moore tant il est difficile de comprendre comment les recherchistes aguerris de l’émission aient pu fixer leur choix d’invités sur Paul Cagnello et Barbara Shrier.

Le premier a été présenté par l’animatrice comme étant un auteur, compositeur interprète. La seconde comme une productrice de cinéma. Et Cargnello et Shrier de tout de go signaler qu’ils n’étaient aucunement issus « d’ancêtres colonisateurs ». Notre auteur interprète en vint même à préciser : qu’aucuns de ces ascendants «n’ont volé ni violé les territoires des autochtones ». Mauvais début que vouloir culpabiliser ainsi les tricotés serrés du 450 pour les méfaits perpétués par leurs ancêtres envers les premiers habitants du pays.

Que Paul Cargnello et Barbara Shrier veulent se distinguer ainsi comme étant des « purs », parce qu’issus d’ancêtres n’ayant pas trempé dans quelque massacre envers les autochtones, c’est aussi une belle manière de nous faire voir que tous deux ont fréquenté les écoles anglaises.

Il est bien connu que, dans ces écoles, on occulte systématiquement le fait que Champlain, ses camarades et tous ces sujets française qui, par la suite, sont venus s’établir en ce coin d’Amérique, ont relativement été assez bien accueillis par les autochtones.

Dans les classes d’histoire de Cargnello et Shrier, on n’a pas non plus trop insisté sur le fait qu’avec l’aide des autochtones, un énorme contingent de « voyageurs » ont pu s’enfoncer dans l’Amérique profonde, qu’ils se sont très souvent entichés d’Amérindiennes au point de faire apparaître la nation métisse.

Cargnello parle ici de « viols de territoire » alors que c’est précisément cette harmonie entre Canadiens, Autochtones et Métis qui a fait que, pendant plus de cent-cinquante ans, la Nouvelle-France a pu agrandir et contrôler un territoire s’étendant sur les vallée du Saint-Laurent, des Grands lacs, de l’Ohio et du Mississipi.

Cargnello et Shrier semblent ne pas savoir qu’ayant perdu leur rapports de force en perdant les Canadiens comme alliés suite à la cession du Canada à l’Angleterre, c’est à ce moment-là que les problèmes des Autochtones et des Métis ont commencé. Le rapport de force ainsi perdu en 1763 va les mener à un long hiver quant à la préservation de leurs mœurs et leur culture, un long hiver ponctué par de terribles drames : la défaite de Pontiac, la pendaison de Riel, le massacre à Wounded Knee, etcetera, etcetera.

Mauvaise tentative que de tenter ainsi de convaincre des Québécois dits « de souche » de ne pas voter PQ alors que ce sont maintenant eux qui risquent fort d’être, à plus ou moins long terme, folklorisés du fait même qu’ils ont irrémédiablement perdu leur rapport de force au sein du Canada.

Mais le pire allait venir quand nos deux jeunes moussaillons ont eu à répondre sur ce pourquoi on les avait fait venir chez Catherine Perrin. C’est dans un français pénible que Cargnello en a pris l’initiative. «Ceux de mes amis qui ont pensé partir sont partis. Ceux qui restent sont pas du tout contents du choix du gouvernement, car leur ennemi, c’est le PQ. J’ai des amis qui sont francophones qui pensent comme moi. Ça rien à faire avec la question du français et de l’anglais. »

Cargnello ne semble pas souvent parler français avec ses amis franco puisqu’il s’enfarge dans le terme « bilinguisme » devenu « bilingualisme » entre ses lèvres.

Idem pour Barbara Shrier qui, en outre, déclare qu’elle a déjà été péquiste, mais qu’elle ne l’est plus « quand j’ai vu Jacques Parizeau lever le doigt en utilisant le mot Nous ». La jeune productrice ne fait donc pas partie de ces Nous, mais c’est une évidence qu’elle a fait un choix. C’est haut et fort qu’elle revendique être du côté de cette moitié de « non-Anglos de souche » ayant décidé de tourner le dos à la société d’accueil.

Si la direction de CBC-Montreal a fait elle-même le choix de Paul Cargnello et de Barbara Shrier pour tenter de convaincre les auditrices et auditeurs de Médium large résidant dans le 450 à ne pas voter PQ le 7 avril, on peut dire qu’elle s’est royalement fourvoyée.

Et ce n’est pas le troisième larron invité à l’émission qui allait arranger les choses. Peine perdue  en effet que d’avoir demandé à Peter White, cet ancien président du Conseil de l’unité canadienne en 1995, de se joindre aux deux jeunes « purs » et « non-francophones ».

White a beau avoir essayé de rajuster le tir en précisant que c’est d’abord pour des raisons économiques que « non-francophones » et francophones quittent le Québec, il s’est largement discrédité en faisant par deux fois la supposition que le gouvernement Marois ait décidé de politiques qui, faisant mal aux anglophones, les encourageraient à foutre le camp, façon comme une autre de rencontrer les conditions gagnantes.

Ma foi, à voir cet homme penser ainsi, on est en droit de conclure que le progressiste conservateur qu’il est resté soit justement celui qui a tout manigancé : sondage EKOS et témoignages de Cargnello et Shrier en vue de gagner les cœurs du 450.

Lors de la Fête nationale du 24 juin 2012, le public assemblé au parc Maisonneuve a applaudi à tout rompre avant même qu’Adam Cohen donne la dernière note de sa chanson. C’est alors que cet auteur, compositeur et interprète, tout comme l’est Cargnello, a relevé la pancarte placée juste devant lui. Une affiche dont il y avait inscrit cette courte sentence : « Je suis Québécois. »

Dommage que personne à Médium large n’ait pensé inviter le fils du grand Léonard afin qu’il témoigne pourquoi un Cohen comme lui ne songe vraiment pas à quitter le Québec.