Charte de la laïcité : Les fondements idéologiques de la position de QS

2014/03/25 | Par Pierre Dubuc

NDLR. – Nous poursuivons le débat Leduc-Dubuc. Nous publions aujourd’hui le texte de Pierre Dubuc. Jeudi, nous publierons la réplique d’Alexandre Leduc, candidat QS dans Hochelaga-Maisonneuve et conseiller syndical à l’AFPC (FTQ). Elle sera suivie de la contre-réplique de Pierre Dubuc, vendredi matin.

Québec solidaire est contre le Charte de la laïcité. Mais sur quelles bases théoriques et idéologiques se fonde sa position?

Le chroniqueur Christian Rioux croit y déceler une idéologie « héritière du marxisme », qui professe que l’histoire « évolue dans une direction définie, celle du Progrès » ( Le Devoir, 14 mars 2014).

Cette « religion du Progrès » suppose, nous dit Rioux, « que l’histoire du XXe siècle est celle du progrès continu des droits ».

Il poursuit : « Le procès historique des religions étant fait, puisque celles-ci seraient par essence réactionnaires, nous nous dirigerions donc, malgré quelques aléas passagers, vers une société de plus en plus sécularisée ».

Voilà pourquoi, « l’intégrisme musulman, qui a pourtant déjà changé la face d’une partie du monde, n’inquiète pas vraiment cette gauche ».Rioux croit, au contraire, « que l’histoire n’est pas écrite » et que, pour cette raison, « la laïcité est cruciale ».

Que des leaders de Québec solidaire partagent une telle vision de l’Histoire est plausible. Mais l’attribuer au marxisme est ridicule. Le marxisme n’exclut pas des reculs en arrière, même majeurs, dans la marche de l’Histoire.

Des bonds en arrière accompagnés de confusion idéologique, les marxistes en ont reconnu dans leur propre histoire. Après la défaite de la Commune de Paris, des leaders socialistes proclamaient que « le mouvement est tout, le but final n’est rien »!

Après la défaite de la Révolution russe de 1905, Lénine a dû se consacrer à la rédaction d’un ouvrage philosophique – Matérialisme et empirocriticisme – pour combattre les idées religieuses propagées par certains « théoriciens » marxistes.

Lénine avait même prévu la possibilité de « sauts gigantesques en arrière ». Dans une polémique avec Rosa Luxembourg, il entrevoyait l’éventualité de l’instauration du fascisme en Europe en disant qu’il est « antidialectique, antiscientifique, théoriquement inexact, de se représenter l’histoire universelle avançant régulièrement et sans heurts, sans faire quelquefois des sauts gigantesques en arrière » (À propos de la brochure de Junius).

Ce « gigantesque » bond en arrière, nous le vivons présentement avec le triomphe du néolibéralisme et le retour des religions. C’est pourquoi la laïcité est un préalable à la restauration des idéaux socialistes.

À moins que la direction de QS ne se réclame de la caricature de « marxisme » évoqué par Christian Rioux – ce qui était toujours possible – il faut rechercher ailleurs les bases idéologiques de sa position en faveur d’une laïcité « ouverte ».

La réponse se trouve fort probablement dans un petit livre, intitulé « Précis républicain à l’usage des Québécois » (Fides), que vient de publier Danic Parenteau.

Parenteau oppose deux conceptions de la société, le républicanisme québécois et le libéralisme anglo-saxon, dont découle le multiculturalisme canadien. Il examine quatre de ses caractéristiques : la laïcité, la citoyenneté, l’identité nationale et la souveraineté populaire.

Sur la question qui nous préoccupe ici, celle de la laïcité, il identifie deux approches, une qui tient du principe républicain de la laïcité, l’autre du sécularisme libéral.

Le modèle républicain de laïcité, d’abord apparu en France au moment de la Révolution, stipule une séparation stricte entre les domaines religieux et politique. Les questions religieuses sont alors réservées au domaine privé. C’est la Charte de la laïcité proposé par le Parti Québécois.

Le sécularisme libéral repose sur la neutralité de l’État par rapport à la religion. Il n’est pas opposé à la présence de la religion dans la sphère publique tant que la cohabitation se fait dans le respect de la neutralité de l’État. C’est la laïcité « ouverte » de Bouchard-Taylor, de Couillard et de Québec Solidaire.

L’accommodement raisonnable est une pratique d’inspiration libérale. Pour le libéralisme, la question des droits individuels et de leur garantie par des chartes de droits revêt une importance centrale.

Pour le républicanisme, lorsque la pratique religieuse d’une personne se heurte à une règle collective universelle, par ailleurs légitime, légale et raisonnable, la majorité estime qu’il n’y a pas lieu d’assouplir cette règle pour accommoder la pratique religieuse de cette dernière.

Le refus des accommodements religieux apparaît donc comme une protestation contre ce qui est largement perçu comme une forme de dépossession collective du pouvoir de décider des règles régissant la vie en société. Considérer que c’est à la majorité de décider, plutôt qu’aux juges, est une attitude éminemment républicaine.

Dans l’approche libérale, la société est perçue comme un agrégat d’individus. L’acquisition de la citoyenneté est davantage une modalité administrative, comme c’est le cas actuellement au Canada, plutôt qu’un véritable processus d’intégration.

La conception républicaine de la citoyenneté conçoit l’acquisition de la citoyenneté comme un processus relativement exigeant, à la fois pour la société d’accueil et pour les nouveaux arrivants eux-mêmes.

Ainsi, l’État a la responsabilité d’amener ces derniers à acquérir les bases de la langue nationale et certains codes culturels pour l’exercice réel de la citoyenneté. D’autre part, elle exige des nouveaux arrivants des efforts d’intégration.

À la base du multiculturalisme canadien, explique Danic Parenteau, on trouve le principe de la « reconnaissance », qui s’articule autour d’un message selon lequel ces cultures ne sont pas « étrangères » au Canada.

La culture nationale n’existe pas et la culture canadienne se présente commune une « mosaïque » de diverses cultures. Le multiculturalisme est érigé sur la négation de l’idée d’une culture « majoritaire » qui serait celle de la majorité de ses citoyens.

Pour les Québécois, le multiculturalisme est une stratégie de « neutralisation » de leur identité nationale.

Le rejet du multiculturalisme canadien ne provient pas de « l’insécurité » des Québécois en tant que nation francophone minoritaire ou d’une quelconque « crispation identitaire », soutient Danic Parenteau, mais tout simplement que les Québécois adhèrent à une vision plus républicaine de la société.

L’État est pour les Québécois l’incarnation institutionnelle de ce qu’ils sont comme peuple. Les Québécois estiment que leur identité est liée à une conception du « Bien commun » à préserver.

Le problème, selon Parenteau, est que les Québécois ont de la difficulté à nommer et à concevoir leur pratique républicaine, à cause de l’influence déterminante du libéralisme anglo-saxon.

Le libéralisme a une longue tradition au Canada, mais également au Québec. D’ailleurs, une certaine gauche québécoise, héritière du Pierre Elliott Trudeau de Cité Libre, a toujours adhéré aux valeurs du libéralisme, que cette gauche ait revêtu les habits du NPD, du « marxisme-léninisme » des années 1970, ou de Québec solidaire aujourd’hui.

Les deux sœurs David, Françoise et Hélène, sont issues de la même tradition libérale canadienne et québécoise. Pas étonnant qu’elles défendent, toutes deux, la même position sur la Charte de la laïcité.



Le débat entre Alexandre Leduc de Québec solidaire et Pierre Dubuc sur la Charte de laïcité:

Caricature de marxisme ou libéralisme? >>
Par Pierre Dubuc











Ce texte est une réplique au texte de Pierre Dubuc Charte de la laïcité : les fondements idéologiques de la position de QS. >>
Par Alexandre Leduc








Réplique à Alexandre Leduc sur la Charte de laïcité >>
Par Pierre Dubuc