L’intox sur la langue reprend de plus belle

2014/03/31 | Par Charles Castonguay

Le retour au pouvoir du Parti Québécois en septembre 2012 a relancé la désinformation sur la situation linguistique. Les zélateurs d’un Québec bilingue tordent les chiffres comme jamais pour faire croire que le français se porte bien et que c’est l’anglais qui est en difficulté.

Le responsable des données linguistiques à Statistique Canada, Jean-Pierre Corbeil – le même qui siège au Comité de suivi de la situation linguistique, à l’Office québécois de la langue française –, a vu à ce que le document d’analyse des résultats du recensement de 2011 brouille le suivi de la composition linguistique de la région métropolitaine et de l’île de Montréal. Diffusé en octobre 2012, Caractéristiques linguistiques des Canadiens insiste plutôt sur le bilinguisme et le trilinguisme au sein des foyers montréalais, en mêlant les données sur la langue principale parlée à la maison avec celles sur les langues qu’on y parle à titre secondaire.

Document correspondant du recensement de 2006, Le portrait linguistique en évolution avait, au contraire, montré très clairement la chute abrupte du poids du français à Montréal entre 2001 et 2006 tant comme langue maternelle que comme langue d’usage principale au foyer, conjuguée à une légère hausse du poids de l’anglais. Corbeil a sans doute jugé politiquement préférable de dissimuler le fait que cette tendance s’est poursuivie entre 2006 et 2011.

Les médias de langue anglaise ont, pour leur part, ressuscité le mythe d’un exode des anglophones. Le 18 février 2013, CBC-Montreal a fait sa manchette avec un sondage EKOS selon lequel 42 % des anglophones avaient envisagé de quitter le Québec suite à la victoire du PQ. « Il existe une énorme fuite des cerveaux », a assuré au cours du reportage Sylvia Martin-Laforge, directrice générale du Quebec Community Groups Network et membre du Conseil supérieur de la langue française.

Il vaut la peine de googler « 42 % of Anglos considered leaving Quebec post PQ win » pour apprécier le travail de la CBC. Censé montrer le déclin du nombre d’anglophones au Québec depuis 1971, son graphique n’est pas tout à fait convaincant puisqu’il évolue à la hausse après 2001. Plus fâcheux encore, le graphique donne 599 230 comme population anglophone en 2011 alors que le chiffre officiel est de 647 657. Si bien qu’en 2011, la population anglophone est en réalité plus forte même que celle de 626 201 énumérée en 1991 !

La Montreal Gazette revient à la charge le 9 janvier 2014 en proclamant « Number of Quebecers leaving the province is on the rise » (le nombre de Québécois qui quittent la province est en hausse). On y apprend que selon le Canadian Institute for Identities and Migration, un autre paravent pour Jack Jedwab, le nombre de personnes quittant le Québec à destination du reste du Canada, estimé au moyen de données administratives, venait d’atteindre entre janvier et septembre 2013 le niveau le plus élevé obtenu pour une semblable période de neuf mois au cours du XXIe siècle.

Le démographe Alain Bélanger a élégamment planté Jedwab dans Le Devoir du 24 janvier suivant. Il nous apprend que l’estimation pour janvier-septembre 2013 était en vérité plus faible que les estimations correspondantes pour la période de janvier à septembre durant presque la moitié du « XXIe siècle », soit en 2000, 2001, 2002, 2006, 2007 et 2008.

L’Autre Solitude ne se laisse pas démonter pour autant. Le 25 février 2014, CBC-Montreal lance le premier d’une série de deux semaines de reportages sur le thème « Stay or Go » (rester ou partir), en annonçant que selon un nouveau sondage EKOS, c’est maintenant plus de 50 % d’anglophones qui ont sérieusement songé à quitter le Québec. Ce premier reportage est archivé sur le site de CBC-Montreal. Vous pouvez y voir la recherchiste brandir un chiffre qui, selon elle, corrobore le sérieux de la chose : Statistique Canada a estimé qu’entre 2006 et 2011, le Québec a perdu presque 5 700 anglophones au profit du reste du Canada.

Chers concitoyens anglophones, rassurez-vous ! C’est là, au contraire, une excellente nouvelle ! Pour la population anglophone du Québec, c’est le déficit migratoire interprovincial le plus faible jamais mesuré entre deux recensements depuis que Statistique Canada recueille des informations sur le sujet !

Le recensement de 2011 a apporté en fait une autre excellente nouvelle – que les médias anglais préfèrent passer sous silence. Nous savons que le poids de la population anglophone n’a pas baissé entre les recensements de 2001 et 2006. C’était une première dans l’histoire de plus d’un siècle de recensements. Son poids avait même légèrement augmenté durant ce début de XXIe siècle.

Eh bien, chers Anglo-Québécois, réjouissez-vous encore ! Le recensement de 2011 confirme cette nouvelle tendance ! Le poids de la population québécoise de langue anglaise, tant du point de vue de la langue maternelle que de la langue d’usage, a continué à progresser légèrement entre 2006 et 2011 !

En même temps, le recensement de 2011 confirme que la population francophone du Québec a poursuivi sa chute abrupte en importance relative. Passé, entre 2001 et 2006, de 81,4 à 79,6 %, son poids en 2011 n’était plus que de 78,9 %. Le poids du français en tant que langue d’usage à la maison a poursuivi une tendance analogue.

Qu’il s’agisse de la langue maternelle ou de langue d’usage, donc, à l’échelle de l’ensemble du Québec le français recule tandis que l’anglais avance. Néanmoins, le Parti Libéral du Québec ne se gêne aucunement pour prétendre que le français se porte bien.

Deux semaines avant le vote du 7 avril prochain, L’actualité vient de tomber dans le piège tendu par le document à Corbeil d’octobre 2012. Dans le dossier Spécial élections du numéro courant, on trouve, parmi les « 28 vérités sur le Québec » qui forment « l’indispensable pour aller voter », ceci : « Montréal est de plus en plus bilingue et trilingue, mais pas véritablement plus anglophone ». Comment cela se peut-il, alors que le français recule et l’anglais avance dans l’ensemble du Québec ?

Le magazine cite à l’appui les statistiques concoctées par Corbeil pour la région de Montréal au cours de la période 2001-2011, qui mettent dans le même sac les langues parlées à titre secondaire à la maison et la langue d’usage principale. Ce procédé est inadmissible. Il additionne les pommes avec les oranges.

Suivons par conséquent la langue parlée le plus souvent à la maison en répartissant, comme dans le document d’analyse des résultats du recensement de 2006, les rares déclarations de deux ou trois langues principales de façon égale entre les langues déclarées. L’avantage de l’anglais à Montréal ressort alors clairement. Le poids du français comme langue d’usage principale au foyer dans la région métropolitaine a perdu près de 3 points de pourcentage en l’espace de seulement dix ans, passant entre 2001 et 2011 de 70,9 à 68,1 %. En même temps, le poids de l’anglais a augmenté, passant de 17,3 à 17,5 %.

Comme dans l’ensemble du Québec, le rapport de force du français face à l’anglais dans la région métropolitaine se détériore donc rapidement. La tendance est plus favorable encore à l’anglais dans l’île de Montréal.

Cela n’empêchera certainement pas un Philippe Couillard de bramer haut et fort que le français se porte à merveille au Québec. Il pourra même s’appuyer sur les statistiques tordues de Corbeil.