Les élections, ça compte !

2014/03/31 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Respectivement président et secrétaire du SPQ Libre

« Les élections, ça compte ! » C’est le message qu’est venue nous livrer, il y a exactement trois ans, Stephanie Bloomingdale, la secrétaire-trésorière pour le Wisconsin de la grande centrale syndicale américaine AFL-CIO.

C’est le message que les syndicalistes et les progressistes québécois devraient méditer à la veille du scrutin du 7 avril prochain.


L’erreur des syndicalistes du Wisconsin

Invitée par le SPQ Libre, Mme Bloomingdale a expliqué, devant un auditoire attentif, composé de plus de 150 représentantes et représentants des plus importants syndicats du Québec, que le mouvement syndical du Wisconsin avait fait l’erreur impardonnable de ne pas se mobiliser pour bloquer l’élection du candidat républicain Scott Walker au poste de gouverneur de l’État, lors des élections de novembre 2010.

Une fois au pouvoir, Scott Walker a sabré dans les conditions de travail et les avantages sociaux des syndiqués, a limité le droit à la négociation collective des syndicats du secteur public aux salaires – tout dépassement de l’indice du coût de la vie devant faire l’objet d’un référendum –, a supprimé la perception automatique des cotisations syndicales et a obligé la tenue d’un vote syndical tous les ans pour valider la «légitimité» des accréditations.

Les syndicalistes américains ont mené une lutte épique pour faire invalider ces lois et destituer le gouverneur Walker. Mais sans succès. Aujourd’hui, Scott Walker est sur la courte liste des candidats potentiels du Parti Républicain à la présidence des États-Unis.

Après un premier séjour au Québec, Mme Bloomingdale a été réinvitée à prendre la parole devant les délégués de trois des plus grandes organisations syndicales du Québec. De nombreux syndiqués québécois se sont rendus au Wisconsin pour s’informer et apprendre de leur lutte. Des syndicats ont publié de volumineux dossiers sur la question.

Il était clair pour tous que le mouvement syndical américain faisait face à un plan concerté. « Aujourd’hui, l’Indiana, l’Ohio, le New Jersey, le Michigan et la Floride sont visés », précisait Mme Bloomingdale.

Les événements l’ont confirmé. Mentionnons seulement que l’Indiana et le Michigan, berceau du syndicalisme américain, sont récemment devenus membres du club des 24 États « Right to Work ».


Pour un vote stratégique contre Harper

Au Québec et au Canada, les syndicalistes ont rapidement compris que la frontière ne constituait pas un paravent face à ce vent d’antisyndicalisme.

Le gouvernement Harper a confirmé leurs pires craintes avec une série de projets de lois antisyndicales (loi C-377 sur la « transparence » syndicale, C-525 qui modifie le Code du travail fédéral pour imposer un vote obligatoire pour les nouvelles accréditations, C-4 contre la fonction publique fédérale, etc.)

Depuis, dans de nombreuses instances syndicales, on débat de la nécessité d’un vote stratégique pour se débarrasser du gouvernement Harper, lors des élections de 2015. Des syndicalistes ont même évoqué la possibilité de voter pour le Parti Libéral de Justin Trudeau, quitte à « se boucher le nez ».

On ne peut que saluer cet intérêt pour la politique et le vote stratégique de la part d’organisations syndicales, dont l’action se limite trop souvent à la négociation de conventions collectives.

Cependant, l’absence de ces considérations stratégiques dans la présente campagne électorale québécoise est absolument sidérant!


Le vote stratégique contre Harper, un vote en deux étapes

Toute la classe politique et médiatique canadienne a bien saisi l’enjeu fondamental de cette élection. Une victoire du Parti Québécois créerait une crise majeure au Canada. Une défaite consacrerait la marginalisation du Québec au sein de la fédération canadienne.

Pour le mouvement syndical, les deux scénarios ne sont pas sans conséquence. Une défaite péquiste serait un feu vert aux attaques antisyndicales du gouvernement Harper.

Par contre, une victoire péquiste obligerait le gouvernement Harper à lutter sur deux fronts, le front syndical et le front national québécois, avec le risque pour lui d’avoir à faire face à un front uni des forces nationales, syndicales et progressistes du Québec.

Car le Parti Québécois n’aurait d’autre choix pour contrer les tentatives de déstabilisation orchestrées par les forces fédéralistes et faire avancer son programme souverainiste que de s’allier aux forces progressistes du Québec.

Dans ces deux scénarios, l’intérêt des syndiqués est, selon nous, facile à identifier.

Cependant, dans plusieurs milieux, on ne semble pas le voir. Ou vouloir le voir. On se lamente sur l’absence d’un scrutin proportionnel. On écarte le vote stratégique pour mettre de l’avant ses « convictions personnelles ». On pense « voter avec sa tête » quand le résultat sera de diviser le vote et favoriser l’élection du Parti Libéral de Couillard!

Croit-on vraiment qu’on pourra battre Harper en 2015, advenant une défaite du Parti Québécois? Les stratèges conservateurs salivent déjà devant l’inévitable déconfiture du Bloc Québécois qui s’ensuivrait et calculent qu’ils pourraient rallier une partie suffisante du 20% de l’électorat, que les sondages attribuent présentement au Bloc, pour doubler leur représentation au Québec et faire élire dix députés.

Le vote stratégique contre Harper est un vote en deux étapes. La première étape aura lieu le 7 avril. « Les élections QUÉBÉCOISES, ça compte AUSSI ! »