Vers des négociations coordonnées dans les résidences privées pour aînés

2014/03/31 | Par Maude Messier

Les étapes à franchir vers l’établissement d’une négociation coordonnée pour le secteur des résidences privées pour aînés se corsent pour le Syndicat des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ).

« On le disait dès le départ que ce serait difficile, que ça prendrait une grande solidarité, de la discipline et de la coordination », indique le vice-président de l’organisation syndicale, Richard Belhumeur, en entrevue avecl’aut’journal.

Le SQEES-298 représente quelque 6 000 préposés aux bénéficiaires, infirmières auxiliaires, employés des services alimentaires et préposés à l’entretien ménager dans près d’une centaine de résidences pour personnes âgées au Québec.

Il y a deux ans, le syndicat lançait la campagne « Prendre soin de nous… c’est aussi pour vous! », qui vise la syndicalisation de nouveaux établissements, mais surtout de mettre en place un plan d’action pour rehausser les conditions de travail de ces travailleurs.

Un des objectifs du syndicat est de mettre en place des négociations coordonnées pour ce secteur, comme cela se fait déjà, par exemple, pour les marchés d’alimentation et le secteur hôtelier. Pour y arriver, toutes les conventions collectives actuellement en vigueur doivent venir à échéance au même moment.

Les premières négociations de renouvellement ont eu lieu sans trop de heurts, puisque les délais étaient de trois ans environ pour que toutes arrivent à échéance en décembre 2015. Mais depuis quelques mois, les choses se corsent.

« On est rendu à négocier des conventions de deux ans. Bientôt, ce seront celles d’un an. Il y en aura une vingtaine. C’est de plus en plus difficile parce que les employeurs, petits comme gros joueurs, veulent des conventions de trois ou quatre ans. Pour avoir ce qu’ils veulent, ils mettent de l’argent supplémentaire sur la table pour une troisième année », explique Richard Belhumeur.

Les impasses dans les négociations sont plus fréquentes, les manifestations de syndiqués aussi. C’était le cas, le 12 mars dernier, de la soixantaine de travailleurs des résidences le Marquis de Tracy I et le Marquis de Tracy II, à Sorel-Tracy.

Le propriétaire, Chartwell, a pourtant consenti à une convention de deux ans dans une résidence de la région de Québec un mois auparavant. Le Groupe Chartwell exploite plus de 180 résidences privées à travers le Canada.

Pour Richard Belhumeur, il n’y a aucun doute que les employeurs cherchent à casser le plan d’action du SQEES-298. « Notre plan, nos revendications sont sur notre site Internet. On agit à visière levée. Ils craignent les négociations coordonnées et une plateforme de revendications communes. »

L’enjeu principal sera les conditions salariales, indique-t-il, ajoutant que les besoins sont « criants ».

Selon le syndicat, le salaire horaire moyen d’un préposé aux bénéficiaires à l’échelon maximal de la structure salariale est de 11,80 $. Les salaires qui atteignent 13 $ de l’heure sont des cas marginaux. Le SQEES-298 voudrait que le salaire horaire des préposés aux bénéficiaires soit rehaussé à 15 $.

« On part de loin dans bien des cas. Il faut comprendre que les conditions sont très inégales d’un établissement à l’autre. » D’où la nécessité de développer une coordination et de tenter d’équilibrer les conditions de travail d’une résidence à une autre. Les salaires varient parfois de 1,50 $ à 2 $ de l’heure dans des résidences opérées par un même propriétaire.

Le syndicat estime que cela permettra une meilleure équité, mais fera aussi diminuer le roulement de personnel. Une plus grande stabilité du personnel est un gage de meilleurs services, explique M. Belhumeur. « Quand tu gagnes le salaire minimum ou presque, pour cinquante sous de plus, tu es prêt à bouger. Si les conditions sont similaires d’un endroit à l’autre, ça stabilise le personnel. »

Richard Belhumeur fait aussi valoir que les négociations par établissements de 20 à 50 employés, dans le cas des plus grosses résidences, demandent beaucoup d’énergie, alors qu’au fond, il devrait y avoir un minimum d’éléments communs.

Difficile de mobiliser aussi lors de conflits de travail ou d’impasses dans les négociations. Une négociation coordonnée établit à la fois un réseautage, une certaine solidarité et, surtout, un rapport de force plus équilibré, à son avis.

« Parce que le morcellement est actuellement à l’avantage des employeurs. La négo coordonnée, c’est une alternative, un nouvel outil qu’on veut se donner », explique le syndicaliste. Il rappelle que le personnel des résidences privéesest visé par un décret ordonnant le maintien des services essentiels en cas de grève. « Avec près de 90% des services qui doivent être maintenus, on ne pas parler d’un réel rapport de force. »

Il reste donc au SQEES-298 un an de négociations à mener. Puis, au printemps 2015, une plateforme de revendications communes sera développée, puis soumise aux membres.

Parallèlement, le syndicat, conjointement avec la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN, réclame au gouvernement la mise sur pied d’une table de travail sur les conditions de travail dans les résidences privées.

Le syndicat indique avoir eu une réception favorable de la part du ministère de la Santé et être en attente de développement du côté du ministère du Travail. Bien entendu, les élections viennent perturber le cours du dossier.

« Ça nous prend une table pour exposer la situation, faire le tour des besoins, des préoccupations. On privatise de plus en plus l’hébergement des personnes âgées. Les CSSS, avec l’argent public, louent et financent des lits dans les résidences privées. Personne ne se cache plus de ça, c’est comme établi. »

Bien que le SQEES-298 représente des membres dans les résidences privées, l’organisation est en faveur de services et de soins de santé de qualité dans le réseau public. « C’est très clair chez-nous. La santé, ça devrait être public. Si c’est privé, il y a toujours la notion de profit. Et leur plus grosse dépense d’opérations, c’est la main-d’œuvre. Alors c’est là qu’ils coupent. »

M. Belhumeur déplore la déresponsabilisation de l’État quant aux conditions de travail qui prévalent dans ces entreprises privées, ou d’économie sociale. Autrement dit, l’État finance, avec l’argent public, des emplois mal rémunérés, en grande partie occupés par des femmes.

« Nous pensons qu’il est grand temps de débattre de ces questions de société et c’est ce que permettrait une table de travail chapeautée par le gouvernement. »