L’assemblée constituante de QS : une stratégie angélique pour consommation interne

2014/04/03 | Par Pierre Dubuc

Il est bien que ce dernier débat avec Alexandre Leduc porte sur la stratégie d’accession à l’indépendance, car il permet de mettre en lumière des divergences fondamentales avec l’approche de Québec Solidaire.

On peut résumer ainsi la stratégie de QS : mise sur pied d’une assemblée constituante, d’une durée de 18 mois, composée de délégués élus au suffrage universel, représentant la diversité socio-économique, linguistique et culturelle de la société.

Cette proposition découle du bilan qu’a fait QS des deux défaites référendaires. La raison principale de ces deux échecs serait la durée trop courte (35 jours) de la campagne référendaire, qui ne permettrait pas de venir à bout des peurs de la population.

Une assemblée constituante permettrait de vaincre ces peurs par l’élaboration d’un projet de société « le plus consensuel possible » qui serait porté par la coalition de toutes les tendances politiques, et qui saurait rallier « les anglophones, les allophones, les autochtones et la communauté LGBT »!


Un bilan erroné

Nous sommes d’accord avec Alexandre qu’un appel au peuple doit être précédé d’une campagne d’information et de sensibilisation sur le projet indépendantiste. Cependant, laisser croire qu’avant les référendums de 1980 et 1995, il y a eu absence de débats et attribuer la défaite à cette absence est faux.

Le référendum de 1980 couronnait l’aboutissement de 20 ans d’intenses débats et l’échec de diverses tentatives de modification de la constitution canadienne (Fulton-Favreau, etc.).

Quant au référendum de 1995, il clôturait une période extraordinairement agitée au point de vue politique et constitutionnel avec l’échec de Meech, la Commission Bélanger-Campeau, et le référendum sur l’accord de Charlottetown. L’indice le plus éclatant de l’implication active de la population dans ce débat est le taux de participation exceptionnel de 95% au référendum.

Donc, contrairement à ce qu’affirme Alexandre, la cause de ces défaites ne fut pas le « besoin de temps », le « besoin de réflexion » ou le « besoin d’impliquer toute la population ».

Par contre, il est vrai que, depuis 1995, la question nationale est tombée dans des eaux dormantes. Il n’y a eu ni négociation, ni confrontation avec le fédéral, mais la marginalisation croissante du Québec au sein du Canada. Cela explique la quasi-disparition du Bloc Québécois, les succès relatifs du NPD… et de QS!


Un sujet en débat

Il faut relancer le débat constitutionnel et politique sur l’avenir du Québec. Le SPQ Libre a proposé la tenue des États généraux sur la souveraineté et un référendum d’initiative populaire sur la souveraineté.

D’autres avenues sont possibles. Dans le cadre des travaux des États généraux, différentes démarches ont été proposées. Quant au Parti Québécois, il annonce la production d’un Livre Blanc sur la souveraineté, sans préciser pour l’instant les détails de la démarche.

Toutes ces propositions, et bien d’autres, méritent d’être débattues. Tout le monde est conscient qu’il faut tenir compte de l’état de l’opinion publique, de la conjoncture politique et de notre rapport de forces. Donc, apprentis-sorciers s’abstenir!


L’angélisme de Québec Solidaire

Revenons maintenant à la proposition de QS. Son principal défaut est de pécher par angélisme. Elle présuppose que « tout le monde, il est beau, tout le monde, il est gentil » et que si on y met le temps – en l’occurrence 18 mois – l’assemblée constituante pourra accoucher d’une constitution « large et consensuelle ».

C’est sous-estimer – pour employer un euphémisme – l’antagonisme des forces et des intérêts en présence. Croit-on sérieusement que la grande majorité des anglophones, des allophones et des autochtones vont subitement trouver des vertus au projet indépendantiste et s’inscrire dans une « grande coalition pour la souveraineté »?

Est-on naïf chez QS au point de penser que les Stephen Harper, Justin Trudeau, Thomas Mulcair et autres fédéralistes vont laisser tranquillement se dérouler l’assemblée constituante de QS sans chercher à en perturber les travaux? A-t-on conscience chez QS qu’on veut démanteler un pays du G-8?

L’histoire du mouvement souverainiste est riche de coups fourrés de nos adversaires politiques (Coup de la Brink’s, Loi des mesures de guerre, Love-in, etc.) et il est prévisible qu’on ne s’en privera pas advenant l’élection d’un parti souverainiste.

Rappelons que Stephen Harper a déposé, après le référendum de 1995, un projet de loi, à titre privé, qui comportait la tenue d’un référendum fédéral le même jour du référendum québécois, avec deux questions, dont une prévoyait la partition du territoire québécois en cas de victoire du Oui.

La tenue d’une assemblée constituante fournirait un immense terrain de jeu à nos adversaires où ils pourraient multiplier les sujets de dissension dans le but de faire échouer tout le processus.

Nous devons réaliser que nous affrontons des adversaires puissants dans un environnement où le rapport de forces risque, au départ, de nous être défavorable. Il ne faut pas faire exprès pour prêter les deux flancs à ces attaques.


L’indépendance si nécessaire, mais pas nécessairement l’indépendance

Que la proposition de QS soit naïve, angélique et chimérique a peu d’importance, parce que son but réel n’est pas de définir une stratégie d’accession à l’indépendance. Elle a pour principale fonction la cohabitation au sein de QS de ses ailes souverainiste et fédéraliste en laissant la porte ouverte à une adhésion au Canada.

« L’indépendance si nécessaire, mais pas nécessairement l’indépendance », déclarait Amir Khadir sur les ondes d’une radio multi-ethnique de Montréal en 2012. Il récidivait dernièrement sur les ondes de la station anglophone CTV en déclarant : « Nous sommes pour la souveraineté du Québec mais, pour moi, ce n’est pas la séparation. C’est le renouvellement de l’unité du Canada »

Françoise David n’est pas en reste. Il lui était facile d’afficher des convictions souverainistes au débat des chefs – elle ne sera pas au pouvoir le 7 avril – mais nous n’oublions pas que, lors d’une entrevue au journal InternetLa tribu du verbe, à l’époque d’Option citoyenne, elle se définissait comme « une souverainiste par défaut » et ajoutait : « Ce que je veux dire par là, c’est que si le Canada anglais me faisait une proposition de fédéralisme réellement asymétrique donnant au Québec les moyens politiques, fiscaux, économiques et culturels de ses choix, j’accepterais ».

Une assemblée constituante serait tout à fait appropriée pour accueillir de telles offres.


Tous les textes du débat sur l'accession à la souvenraineté :

La stratégie de QS : l’assemblée constituante >>
par Alexandre Leduc










L’indépendance si nécessaire, mais pas nécessairement l’indépendance >>
Par Pierre Dubuc










Comment des souverainistes convaincus peuvent-ils continuer à appuyer un parti avec une position aussi floue sur l'indépendance? >>
par Alexandre Leduc