Ken Dryden a une meilleure vision du jeu politique que bien des souverainistes

2014/04/11 | Par Pierre Dubuc

Dans un texte intitulé « Quelques voies d’avenir pour la stratégie péquiste », publié dans le Devoir du 10 avril, Guillaume Rousseau, un ex-conseiller politique de Pauline Marois, conseillait aux souverainistes de reporter la tenue d'un référendum à un deuxième mandat ou à n’en faire qu’un « simple idéal à maintenir en vie ».

Le même jour, dans une libre opinion intitulée « Now, Quebec must decide what to stand for », publiée dans le Globe and Mail, Ken Dryden, ancien gardien de but des Canadiens et ex-ministre libéral fédéral, invitait plutôt les Québécois à préciser pourquoi ils veulent un Québec indépendant.

Dryden met en garde le Canada anglais contre une interprétation voulant que les Québécois aient voté contre la souveraineté le 7 avril et il établit une distinction très claire entre une élection et un référendum. Il vaut la peine de le citer.

« Une élection provinciale met en évidence la faiblesse de la souveraineté comme enjeu. Pour plusieurs Québécois, la souveraineté est plus importante que toute autre question. Ils vont voter pour le PQ. Pour plusieurs autres Québécois, la souveraineté est importante, mais il en va de même pour l’économie, les politiques sociales, l’intégrité et plusieurs autres questions. Ils peuvent voter pour le PQ, mais ils peuvent aussi voter pour la CAQ ou même pour les Libéraux.

« Un référendum provincial met en évidence l’importance de la souveraineté comme enjeu. Un référendum ne porte pas principalement sur le PQ, la CAQ ou les Libéraux, ni sur l’économie ou les politiques sociales. Pour plusieurs Québécois, la souveraineté n’est pas assez importante pour qu’ils accordent leur vote au PQ lors d’une élection, mais elle leur importe plus que la non-souveraineté. Ils vont donc voter Oui lors d’un référendum. »

Selon Ken Dryden, les enjeux étaient clairs aux référendums de 1980 et de 1995. Les souverainistes savaient pourquoi ils se battaient, ce qu’ils défendaient. C’était moins clair pour les fédéralistes.

Aujourd’hui, soutient-il, souverainistes et fédéralistes sont sur un pied d’égalité. « Aucune des deux options n’apporte de réponse satisfaite aux questions que se posent les Québécois : La souveraineté, pourquoi? Le fédéralisme, pourquoi? Quel Québec? Quel Canada? »

Aussi, soutient-il, lorsque Pierre-Karl Péladeau a fait son entrée dans la campagne électorale, l’élection est devenue référendaire et le PQ avait perdu. Il n’avait pas de réponse à la question : « La souveraineté, pourquoi? Pour être quoi? Pour faire quoi? Pour quel Québec? Que voulons-nous? »

Dryden conclut son article en disant que « le débat sur la souveraineté n’est pas terminé. Il vient seulement d’entrer dans une nouvelle phase ».

Cette nouvelle phase, les Guillaume Rousseau et compagnie refusent d’y entrer. Ils préfèrent ergoter sur la soi-disant « stratégie référendaire ». Faut-il repousser le référendum au deuxième mandat? Ou ne le conserver que comme « un simple idéal à maintenir en vie »?

On peut parier que les conseillers, anciens ou actuels, officiels et officieux, du bureau de Mme Marois, vont chercher à nous enliser dans ce faux débat au cours des prochaines semaines, au grand plaisir de toutes les Lysiane Gagnon de ce monde. Faut-il mettre l’article premier du programme sur la glace? Le projet indépendantiste n’est-il le projet que de la génération des « baby-boomers »?

Cela leur permettra de camoufler leur incompétence crasse, leur absence de réflexion en profondeur sur les enjeux fondamentaux auxquels est aujourd’hui confronté le Québec.

À cet égard, les militantes et militants bénévoles des États généraux sur la souveraineté ont produit des analyses plus développées que tous les conseillers grassement payés d’André Boisclair et Pauline Marois.

C’est un scandale qu’à aucun moment, avant et pendant la campagne électorale, la direction du Parti Québécois n’ait fait référence aux 92 blocages que le cadre fédéral impose au Québec, identifiés par les études des États généraux sur la souveraineté.

Les années Boisclair et Marois, neuf années de perdues pour le mouvement souverainiste!

Aux militantes et aux militants de prolonger la démarche des États généraux sur la souveraineté et d’étudier, d’analyser, d’approfondir la situation actuelle du Québec dans ses volets économiques, sociaux, politiques, environnementaux, culturels, et la place du Québec dans le monde, afin d’en dégager clairement les motifs plaidant pour l’indépendance du Québec et mener, par la suite, une campagne d’éducation pour le convaincre le peuple du bien-fondé du projet souverainiste.

La stratégie pour accéder au pays se clarifiera en cours de route en fonction de la pénétration de ces idées au sein de la population et de la conjoncture politique du moment.

Le mouvement souverainiste doit entrer dans une nouvelle phase.

Que Ken Dryden – qu’on imagine dans sa posture si caractéristique, accoté sur son bâton, à l’autre bout de la patinoire – ait une meilleure vision du jeu politique à venir que des conseillers et des députés du Parti Québécois en dit long sur l’état actuel du mouvement souverainiste.