T’en souviens-tu, Pauline?

2014/04/15 | Par Julien Beauregard

En 2011 survenait la défaite crève-cœur du Bloc Québécois aux élections fédérales, victime d’une conjoncture politique lui faisant perdre près de 400 000 appuis et 45 sièges à la Chambre de communes. Aussitôt, les médias ont parlé de débâcle des souverainistes à Ottawa. Les autres partis politiques se sont mêmes targués d’avoir réglé la question nationale une fois pour toutes.

Or, c’était sans compter les quelques 900 000 électeurs qui avaient donné leur appui aux troupes de Gilles Duceppe. Dès le lendemain de l’élection, une flamme militante s’allumait ou, parfois même, se rallumait. Pendant que le Parti Québécois recevait une vague de nouvelles adhésions, le réseau Cap sur l’indépendance présentait un spectacle intitulé En 1995, j’aurais voté oui, mais j’étais trop petit. Le mouvement présidé par Gilbert Paquette voulait donner une voix à ces jeunes nés depuis 1978 qui aspiraient, eux aussi, à l’indépendance du Québec.

Heureusement qu’il se trouve des artistes pour rêver le Québec et son identité nationale, car parfois on en doute. Il y a bien des limites à dire que les jeunes sont ouverts sur le monde, cela n’a rien à voir avec la gouvernance. C’est un peu le constat que font les auteures Mathilde Audy-Laird et Audrée Southière dans leur pièce T’en souviens-tu Pauline? présentée au studio Espace libre.

Ce monologue porté par Audrée Southière n’est pas un hommage à Pauline Julien; on n’y chante pas L’âme à la tendresse et on n’y parle pas de Gérald Godin, ou si peu. Avant même l’entrée des spectateurs dans la salle de spectacle, Southière se présente à eux pour leur annoncer qu’il sera question d’autre chose. C’est que, dans cette autofiction, Pauline Julien sert de prétexte à une réflexion profonde sur l’individu dans la société québécoise.

Il est difficile de bien comprendre le désir collectif des jeunes. Récemment, le député péquiste et ex-ministre Alexandre Cloutier disait qu’il était rare de voir autre chose que des péquistes ou des souverainistes à l’époque où il fréquentait le cégep. Ce constat ne doit pas être pris au pied et à la lettre, car il ne faut pas calquer les aspirations de la génération précédente pour comprendre celle qui lui succède. Cela n’empêche pas que des lieux communs tissent des liens intergénérationnels. Ainsi se définit la nation : ce qui parait absence n’est peut-être au fond qu’en dormance.

Pauline Julien, artiste émancipée, inspire à Audrée Southière une prise en charge personnelle de ses affaires. Cette quête d’autonomie, elle la porte dans sa relation avec sa mère, avec sa situation économique, avec sa langue. Chaque fois, elle s’appuie sur un extrait d’entrevue ou sur les paroles d’une œuvre interprétée par Julien. La pièce évoque l’univers référentiel de l’artiste, ce qui permet d’entendre autant Claude Gauthier que Gérald Godin parler de pays et de liberté.

La pièce se veut porteuse d’une commémoration constructive de la mémoire de Pauline Julien, décédée il y a 15 ans déjà. Durant tout le temps que dure la prestation de Southière, celle-ci va et vient autour d’un cercueil, figure de l’artiste qu’on oublie malheureusement, avant de finalement l’employer comme tribune pour réactualiser la voix de la chanteuse auprès des nouvelles générations.

Audrée Southière tient à faire la promotion de la mémoire de Pauline Julien afin de promouvoir l’idée de pays.

En toute fin de cette trop courte pièce d’environ une heure, Southière rassemble le résultat de ses réflexions comme Gaston Miron les aurait rapaillés. Puis, solennellement, elle parle de cette nécessaire prise en charge du destin collectif. Rappelant les manifestations du Printemps Érable, elle soutient que la collectivité québécoise a encore la capacité de se mobiliser.

En effet, 2012 a été une bonne année pour réfléchir à l’avenir bien que la prise de parole collective ait laissé place autant au meilleur qu’au pire. S’y opposaient alors la vision individualiste de la société contre une autre collectiviste. Au cœur de cet enjeu, l’éducation s’est révélé le nerf de la guerre pour toucher le cœur et l’intelligence, pour parler d’avenir, pour parler de la société. Tous les réseaux sociaux sur internet n’équivalent pas l’influence de l’école comme objet de socialisation et de mobilisation.

Audrey Southière et Mathilde Addy-Laird ont visiblement écrit cette pièce pour donner un exemple de filiation entre les figures porteuses de l’identité nationale et leurs hériters.

Et c’est pour cette même raison qu’on peut douter que le cours d’histoire obligatoire au collégial risque fort bien de passer à la trappe maintenant que les élites fédéralistes ont maintenant tout le contrôle de l’État québécois entre leurs mains. L’oubli crée un climat propice aux «vraies affaires».


T’en souviens-tu Pauline?

Production du THÉÂTRE ACHARNÉE

Texte AUDRÉE SOUTHIÈRE en collaboration avec MATHILDE ADDY-LAIRD

Interprétation AUDRÉE SOUTHIÈRE

Mise en scène MATHILDE ADDY-LAIRD

Au studio Espace Libre jusqu’au 19 avril 2014