Le président Kagame vient de révéler sa plus grande peur

2014/04/17 | Par Emmanuel Hakizimana et Gallican Gasana

Le réveil a été brutal pour beaucoup de Rwandais ce lundi 14 avril 2014 : la police rwandaise venait d’annoncer l’arrestation d’un jeune musicien rwandais de renom, M. Kizito Mihigo, d’un jeune journaliste, M. Cassien Ntamuhanga et d’un jeune démobilisé de l’armée rwandaise (RDF), M. Paul Dukuzumuremyi.

Au-delà du fait qu’il s’agit de Tutsis rescapés du génocide de 1994 qui sont arrêtés pendant la période de commémoration du 20ième anniversaire de ce génocide, ce sont surtout les chefs accusations portés contre eux qui ont semé l’émoi et la stupeur dans tous les milieux rwandais.

Tous les trois sont accusés d’être impliqués dans l'organisation d'attaques terroristes contre le Rwanda, de vouloir renverser le gouvernement par la violence, de planifier l'assassinat des membres du gouvernement, d’inciter la population à la violence et d’avoir participé à un réseau ayant mené des attaques à la grenade.

Il leur est également reproché de collaborer avec les FDLR (rebelles Rwandais installés au Congo) et avec les dirigeants de l’organisation d’opposition Rwanda National Congress (RNC).

Au cours de leur comparution devant la cour, le lendemain mardi 15 avril, la police a aussi amené une jeune femme, Mme Agnès Niyibizi, qui a été présentée comme leur complice.


Faire taire les voix de la réconciliation

Les accusations que le régime de Kigali porte contre ces jeunes rescapés du génocide sont parmi les plus graves qu’il ait jamais portées contre quelqu’un et il y a lieu de se demander pourquoi.

À y regarder de près, la lourdeur de ces accusations n’a d’égal que l’ampleur de leur engagement en faveur de la réconciliation ainsi que la grandeur de la peur de Kagame de voir les Hutu et les Tutsi se réconcilier et lutter ensemble contre son oppression.

De fait, le jeune musicien Kizito Mihigo avait commencé à mettre son grand talent au service d’une vraie réconciliation, laquelle est aux antipodes des politiques du régime de Kagame.

Dans une récente chanson intitulée « La signification de la mort », il a fait deux recommandations qui ont irrité le président Kagame. D’abord, il a recommandé d’honorer la mémoire, non seulement des victimes du génocide des Tutsi, mais aussi celle des victimes des crimes de guerre, de vengeance et autres perpétrés au Rwanda ou à l’extérieur du pays. Ensuite, il a considéré que la dignité humaine a préséance sur le fait d’être Rwandais.

Il y a lieu de remarquer que cette vision inclusive de M. Kizito est en parfaite harmonie avec celle d’autres personnalités rwandaises qui ont prêché la paix et la réconciliation et qui en ont payé un lourd tribut.

À titre illustratif, elle correspond à celle de Mme Victoire Ingabire, présidente du parti d’opposition FDU-Inkingi, qui croupit actuellement en prison, ayant été condamnée à 15 ans de réclusion après avoir tenté de se présenter contre le président Kagame dans les élections présidentielles de 2010.

Dans son discours prononcé au mémorial du génocide à Gisozi, elle a déclaré ceci : « Pour que nous puissions parvenir à une véritable réconciliation, nous devons faire preuve d'empathie avec la souffrance de tout un chacun ».

De même, la position de M. Kizito s’accorde avec celle de M. Patrick Karegeya, membre fondateur du RNC et ancien proche collaborateur du président Kagame qui a été assassiné en Afrique du Sud au début de cette année par des agents du régime de Kigali.

Dans sa lettre adressée à M. Douglass E. Coe directeur associé de l’organisation américaine Fellowship, trois jours seulement avant son assassinat, lui demandant son appui dans l’organisation d’un dialogue inter-Rwandais, M. Karegeya écrivait ceci : « Pour une société comme la nôtre, qui a connu des traumatismes aujourd’hui comme hier, puisque toutes nos communautés ont été tour à tour victimes et bourreaux, l’on ne saurait surestimer l’enjeu du pardon et de la grâce.….. Nous ne pouvons envisager l’avenir qu’à condition de nous parler dans la vérité et d’apprendre à nous pardonner ».

Le président Kagame a une position complètement opposée à celle de M. Kizito, raison pour laquelle il tente d’étouffer sa voix comme il l’a fait pour Mme Victoire Ingabire, M. Patrick Karegeya et bien d’autres qu’il a assassinés ou emprisonnés.

Sa politique a toujours été d’exclure les Hutus de toute forme de commémoration; ils n’ont pas le droit de pleurer les leurs. Pire encore, à travers un programme gouvernemental appelé « Je suis Rwandais », que la chanson de Kizito évoque implicitement, le régime de Kigali demande à tous les Hutus, même ceux qui n’étaient pas encore nés en 1994, de s’excuser pour les crimes de leurs congénères.

Le président Kagame n’hésite d’ailleurs pas à affirmer publiquement son opposition à l’approche pacifiste de M. Kizito. Quelques jours après la sortie de la chanson ci-haut mentionnée, Il a déclaré que lui n’était pas musicien et qu’il n’était pas là pour faire plaisir à tout le monde.


Quel avenir pour le Rwanda ?

Le drame de ces jeunes rescapés montre clairement à ceux qui avaient encore des doutes que le Rwanda ne connaîtra jamais la paix et la réconciliation sous le régime du président Kagame.

Pour lui, la réconciliation évoque la fin de son pouvoir oppressif basé sur la division entre Rwandais (Hutu, Tutsi, Twa) et la stratégie du bouc émissaire.

Concernant ce dernier aspect, l’on se souviendra des graves accusations de complicité dans le génocide formulées par Kagame à l’encontre des militaires français et qui ont empêché la France d’envoyer une délégation pour la 20ième commémoration du génocide des Tutsi.

Étant parfaitement conscient de sa lourde responsabilité dans les crimes commis au Rwanda et dans la région des Grands Lacs africains depuis les années 1990, le président Kagame est terriblement effrayé par tout ce qui amènerait les Rwandais à s’assoir ensemble et établir la vérité sur leur drame.

Dans ce contexte, l’avenir du Rwanda dépendra du choix d’orientation des appuis, non seulement de la part des Rwandais eux-mêmes, mais aussi de la part de la communauté internationale.

Le régime du président Kagame étant clairement incompatible avec la paix et la réconciliation, ce choix ne pourrait être ambigu.


Photo : Umuseke