Campagne électorale : les médias ont imposé leur « agenda »

2014/04/25 | Par Pierre Dubuc

Il y a 30 ans, le Premier Mai 1984, paraissait le premier numéro de l’aut’journal. L’objectif était d’élaborer et de diffuser un aut’ point de vue, indépendantiste et progressiste, absent du paysage médiatique québécois. Un objectif toujours d’actualité, comme l’a démontré la dernière campagne électorale.

Pierre Dubuc

Au lendemain de la déroute du Parti Québécois, deux candidats, l’ex-journaliste Dominique Payette et l’ex-député Émilien Pelletier ont attribué la défaite aux médias, qui auraient évacué le message de leur formation politique et imposé leur « propre agenda » tout au long de la campagne électorale, soit la question du référendum.

Imposer « l’agenda politique », c’est certainement la forme la plus sophistiquée de la manipulation médiatique, mais la direction du Parti Québécois ne pouvait ignorer l’environnement médiatique hostile dans lequel se déroulerait la campagne électorale.

Radio-Canada et les journaux de Power Corporation sont en guerre ouverte depuis toujours contre l’option souverainiste. TVA et les journaux de Québecor, dont la couverture de la campagne était scrutée à la loupe à cause de la candidature de leur patron, se devaient dans les circonstances être des modèles d’objectivité.

Dans un tel contexte, il aurait fallu que le plan de campagne du Parti Québécois soit extraordinairement bien campé. Il ne l’était pas! Il se dégageait des rangs péquistes une impression de totale improvisation, validée par des témoignages internes. Improvisation qui s’est transformée en panique à la fin de la campagne, avec cette promesse de baisse d’impôts venue de nulle part.

D’autres promesses semblaient sorties du même chapeau, comme celle de l’exploitation du pétrole de schiste à Anticosti, en faisant miroiter un pactole de plus de 40 milliards $, alors qu’on ne sait pas s’il y a suffisamment de pétrole, s’il est exploitable, et si son exploitation serait rentable!

Des groupes-focus, a-t-on appris, auraient validé cette prétention qui, à cause de son caractère hautement hypothétique, n’a rapporté aucuns bénéfices électoraux. Au contraire, elle a complètement occulté la promesse la plus porteuse du programme péquiste, particulièrement auprès de la jeunesse, soit l’électrification du transport.

Québec Solidaire en a profité pour damer le pion au Parti Québécois au chapitre de l’environnement avec un plan d’électrification du transport totalement farfelu. Rien là, cependant, pour inquiéter le Parti Québécois, dont un stratège nous a confié que le plan de campagne prévoyait ignorer complètement Québec Solidaire, n’y voyant aucun danger!

Selon les calculs de Radio-Canada, la présence de Québec Solidaire a fait perdre 16 sièges au Parti Québécois. À l’élection de 2012, les votes en faveur de Québec Solidaire et Option Nationale lui avaient coûté sa majorité parlementaire. En 2011, les stratèges du Bloc Québécois avaient choisi, eux aussi, d’ignorer le NPD et Jack Layton. On connaît la suite…

Ces erreurs de jugement sont conjoncturelles. Mais le cafouillage entourant la candidature de Pierre-Karl Péladeau, lui, est structurel. Mme Marois et son entourage n’ont pu repousser l’épouvantail du référendum, parce qu’ils étaient incapables de défendre le projet indépendantiste devant l’électorat.

Pendant deux jours, Mme Marois s’est aventurée sur le terrain glissant des modalités de l’accession à la souveraineté en parlant des frontières, de la monnaie et des passeports, avant de perdre pied et de retraiter piteusement. La leçon était claire : avant de parler du « comment », il faut parler du « pourquoi ». Et, là-dessus, Mme Marois était démunie.

Nous touchons ici à la question de fond. Depuis le référendum de 1995, le Parti Québécois, sous la direction d’André Boisclair et de Pauline Marois, n’a pas mené de travaux sérieux sur l’actualisation des principaux dossiers relatifs à l’accession du Québec à l’indépendance.

Les seules contributions valables sont venues d’initiatives individuelles ou de la société civile. Il a fallu que Stéphane Gobeil épluche les comptes publics et publie les résultats de ses recherches dans « Un gouvernement de trop » pour qu’on apprenne que « les économies qu’on ferait en ne finançant plus deux niveaux de gouvernement seraient supérieures à la péréquation de 2 milliards de dollars ».

Une découverte qui cloue le bec à un des arguments massues des fédéralistes, mais dont la direction du Parti Québécois ne s’est pas servi pendant – ni même avant – la campagne électorale. Tout comme elle ne s’est jamais référée aux travaux des États généraux sur la souveraineté, qui ont identifié 92 blocages du système fédéral au développement du Québec.

Au seul plan économique, qui serait le talon d’Achille du mouvement souverainiste, les États généraux avaient pourtant rappelé quelques faits connus qui auraient constitué d’excellentes munitions électorales : les dizaines de milliards investis dans les hydrocarbures de l’Ouest et dans le nucléaire en Ontario par Ottawa, sans contrepartie pour l’hydro-électricité québécoise; des garanties sur un emprunt de 4,2 milliards offerts à Terre-Neuve pour un câble sous-marin afin de concurrencer le Québec pour la vente d’électricité aux États-Unis; l’appréciation du dollar canadien, par suite de l’exploitation des sables bitumineux, qui mine le secteur industriel du Québec; les 10 milliards $ consacrés au renflouage de l’industrie automobile de l’Ontario, comparativement aux quelques dizaines de millions $ alloués à l’industrie forestière du Québec.

La CAQ a mené campagne avec son Plan Saint-Laurent, sans que jamais le Parti Québécois rappelle à François Legault que la plupart de ses propositions étaient inopérantes parce que le fédéral a juridiction sur le fleuve et les affaires maritimes.

À nul moment, le Parti Québécois, au cours de cette campagne, n’a mentionné que le fédéral avait « oublié » les chantiers maritimes du Québec lorsqu’il a accordé des contrats de 35 milliards aux chantiers navals des Maritimes et de la Colombie-Britannique pour la construction de navires de guerre.

Seul Couillard a repris la balle au bond, mais avec un plan Saint-Laurent qui se résumera à appuyer la démarche de Trans-Canada Pipeline pour la construction d’un port en eaux profondes à Cacouna pour exporter le pétrole des sables bitumineux, sans bénéfices réels pour le Québec.

La tragédie de Lac Mégantic a mis en lumière que la juridiction du transport ferroviaire était fédérale, une donnée qui compromet la réalisation de tout programme québécois d’électrification des transports.

Le gouvernement fédéral a modifié la loi de l’assurance-emploi pour forcer les travailleurs saisonniers à émigrer vers l’Alberta et combler sa pénurie de main d’œuvre. Gilles Duceppe et Rita Dionne-Marsolais ont été mandatés par le gouvernement Marois pour étudier la question et, croyait-on, mobiliser les chômeurs contre Ottawa.

Tétanisés par le fait que le Québec retire plus qu’il ne contribue à la caisse de l’assurance-emploi, ils ont accouché d’un rapport dont la recommandation principale est de confier la gestion du programme au Québec, plutôt que de remettre en question l’ensemble des politiques fédérales qui fragilisent la structure économique du Québec et entraînent le chômage.

Enfin, des péquistes se sont scandalisés que les fédéralistes laissent planer la menace que les aînés seraient privés de leur pensions de vieillesse si le Québec devenait indépendant. On peut bien crier à la démagogie, mais quelle a été la réponse péquiste à cette inquiétude largement partagée par une population vieillissante ?

Avec des munitions inutilisées, des initiatives prometteuses qui s’avèrent démobilisantes, des salves ennemies auxquelles on ne sait quoi répondre, le plan de campagne péquiste ne pouvait que mener à la débâcle.

Trop habitué à se contenter de « gérer » une province, à se cantonner dans le « home rule », on part en guerre pour démanteler un pays du G-8 avec, pour tout arsenal, des tire-pois.

La défaite aura un effet démobilisateur certain. Mais la réalité quotidienne de l’oppression nationale du Québec remettra inévitablement la question de l’indépendance nationale à l’ordre du jour.

Cependant, seul un journal peut permettre d’éclairer dans cette perspective les événements de la vie politique.

Seul un journal peut clarifier les enjeux au sein du mouvement souverainiste, en favorisant les échanges et les débats entre ses différentes composantes.

Enfin, seul un journal reconnu pour son leadership au sein du mouvement pourra contribuer à fixer « l’agenda politique » en fonction des objectifs souverainistes.

L’aut’journal entreprend sa 31e année avec la volonté d’être ce journal et présentera des propositions concrètes à cet effet.

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