Santé : Avant les compressions, réduire le gaspillage

2014/05/09 | Par Maude Messier

« Avant de faire des compressions, il faudrait réduire le gaspillage. Ce n’est pas à la population de payer pour ça via une diminution des services », de lancer la présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique du réseau de la santé et des services sociaux (APTS), Carolle Dubé, en conférence de presse, ce jeudi, en marge du congrès 10e anniversaire de l’organisation syndicale.

Diminuer la bureaucratie, favoriser le réseau public pour augmenter l’accessibilité à l’imagerie médicale plutôt que de miser sur les cliniques privées et réviser certaines pratiques médicales ainsi que la multiplication des tests diagnostiques permettraient, selon l’APTS, de contrer le gaspillage des ressources du réseau de la santé et de mettre un frein à la spirale des compressions.

Cette sortie survient alors que le président du Conseil du Trésor, Martin Coiteux, invitait plus tôt cette semaine les fonctionnaires à la « collaboration » en vue des négociations du secteur public et prévenait que les augmentations de salaires pourraient être liées en partie à une « productivité accrue ».

Carolle Dubé souligne que, la dernière fois qu’elle a entendu parler de productivité en lien avec les salaires, c’était dans les années 1990, « et ce ne sont pas de bons souvenirs. Dans l’état actuel des choses, il est clair pour nous que ce n’est pas la bonne direction. »

Elle a ajouté que compte tenu de « la fatigue, la pression et la détresse que vivent nos membres », il « ne faut pas être gêné » pour réclamer aux employés du réseau de la santé de faire plus avec moins et leur demander d’être plus productifs pour avoir des hausses de salaires.

« Martin Coiteux nous a montré son portefeuille cette semaine, moi, j’aurais envie de lui montrer les listes d’attente qui s’allongent », de répliquer Mme Dubé, ajoutant que son organisation a, à l’instar des autres syndicats du réseau, fait des propositions concrètes pour être « créatifs » à plus d’une reprises.

« Gérer l’augmentation de la performance et de la productivité, c’est de l’engrais à la bureaucratie parce que ça demande beaucoup d’encadrement. Pendant que les professionnels et les techniciens sont occupés à remplir de la paperasse, ils ne donnent pas de services. »


Ces statistiques qui trompent

En entrevue avec l’aut’journal, Mme Dubé explique que les professionnels doivent produire et compiler des statistiques dans l’objectif d’augmenter la performance.

« Tout ça s’inscrit dans des allures de transition vers le financement par activité. On incite à mettre l’accent sur des statistiques payantes. Autrement dit, on leur demande, pour une psychologue ou une travailleuse sociale en soins à domicile par exemple, de fragmenter leurs interventions et de multiplier les rencontres, alors que tout ça aurait pu se faire en moins de rencontres. C’est coûteux et contre-productif! »

Le gonflement des statistiques donne une illusion de performance. « Ça n’augmente pas les services. C’est une perte de temps, de déplacements, ça coûte cher. Nous sommes d’avis, à l’inverse, que de respecter le jugement clinique des intervenants et leur autonomie professionnelle, qui connaissent leur travail, se traduirait en économies. »

L’APTS estime aussi que la couverture publique pour les tests d’imagerie médicale (scan, échographie et résonnance magnétique) est une « fausse bonne idée » parce que coûteuse, alors que les ressources et le matériel sont déjà disponibles à même le réseau public. « Étendons les heures d’ouverture plutôt les soirs et les fins de semaine. »

À l’instar de l’Association médicale du Québec, l’APTS se questionne sur la multiplication des examens qui n’ajoutent pas de valeur au diagnostic. « Nous avançons avec prudence sur ce terrain, mais il nous semble que ça n’a pas de sens que, par exemple dans le cas d’une fracture, on fasse des radiographies à la clinique d’urgence, puis une nouvelle fois à l’hôpital. » Un dédoublement coûteux et inutile, selon l’APTS.


Pas de « nouvelle organisation syndicale » en vue

En réaction ànotre article concernant des discussions entre l’APTS et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) dans le dossier de la mise sur pieds de cliniques de proximité indépendantes des médecins, Carolle Dubé est formelle : « On n’est pas là du tout. On n’a pas de mandat pour ça. Je ne dis pas que ces cliniques sont un bon ou un mauvais projet, mais seulement qu’à l’APTS, ce n’est pas dans nos cartons. D’ailleurs, il n’y a jamais eu de proposition concrète sur la table. »

Mme Dubé confirme avoir discuté avec Régine Laurent de ce projet sur lequel la FIQ travaille depuis près de deux ans. « Elle m’a présenté leur projet. C’était une discussion informelle. Mais, quand on a vu dans leurs documents qu’il était question de former une nouvelle organisation syndicale, on a été les premiers étonnés. Ça a circulé sur le terrain, on a du rectifier le tir. »

Alors que Régine Laurent parlait d’un « rapprochement entre les deux organisations, tout en conservant (nos) instances, exécutifs, structures respectives », Carolle Dubé dit comprendre, à la lumière des informations reçues, que la FIQ réfléchissait plutôt à un regroupement syndical qui aurait inclut la FIQ, l’APTS et une entité syndicale qui représenterait les travailleurs des entreprises d’économies sociales éventuellement impliquées dans les projets de cliniques de proximité et de petites maisons pour les personnes âgées.

« Nous faisons déjà partie du Secrétariat intersyndical des services publics (SISP) qui répond à notre vision plus large des services publics. »


Vers les négociations

600 délégués de l’APTS étaient réunis de mardi à jeudi dernier à Montréal pour le congrès 10e anniversaire du syndicat. Ils ont réfléchi à une révision des structures de représentation politique au sein de l’organisation, notamment pour inclure une dimension régionale à la représentation des membres. Un congrès spécial sera convoqué à l’automne prochain pour modifier officiellement les statuts.

« Nous croyons que ça nous permettra d’être plus proches de nos membres, que ça aidera à la mobilisation et à l’action syndicale. »

Accompagnés par Christian Nadeau, professeur de philosophie à l’Université de Montréal, et Mélanie Laroche, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, les délégués se sont penchés sur les défis que posent la perception du mouvement syndical dans la population, la distance qui existe entre les structures syndicales et leur base militante, la mobilisation des membres et les changements dans les pratiques syndicales.

« Parce que pour mener les luttes pour la défense des services publics, contre la pauvreté, pour l’accessibilité aux soins, etc. et compte tenu du découragement de nos membres, on a, comme organisation syndicale, des questions à se poser quant à l’implication de nos membres. »

Les prochains mois seront surtout occupés à compléter les tournées de consultations pour la préparation des revendications sectorielles en vue des négociations du secteur public.

Le front commun devrait toutefois présenter prochainement les propositions de revendications relatives aux salaires, entre autres, qui seront soumises aux syndiqués.