Faiseux et faiseuses

2014/05/15 | Par Michel Rioux

Dans mon Saguenay natal, on reconnaissait un faiseux par un mouvement quasi imperceptible qui consistait à lever quelque peu le nez, comme si celui-ci voulait prendre du recul sur la plèbe sévissant un peu plus bas.

Bien sûr, il n’y avait pas que des faiseux. Il y avait aussi des faiseuses, tant il est vrai que ce genre de comportement est d’ordinaire également réparti, contrairement à d’autres domaines où règnent encore en maîtres les inégalités.

Il y a aussi des smattes, qu’il ne faut pas confondre avec des faiseux. Le smatte, en effet, prétextant vouloir votre bien, s’arrange plutôt pour que ce soit le sien de bien qui soit en priorité pris en compte.

Mais revenons au faiseux, dont l’une des caractéristiques est de se prendre pour un autre, qu’il croit être bien sûr, mais qu’il n’est pas.

Ces jours-ci, le prototype le plus achevé me semble Gérard Bouchard. Chez lui, ce n’est pas seulement le nez qui pointe vers le haut quand il gratifie quelqu’un de sa superbe, cette assurance orgueilleuse qui se manifeste par l’air et le maintien. Tout le reste vient avec : les yeux, qui foudroient, le menton, qui accuse, la bouche, qui dédaigne, le front, sur lequel vient glisser une lumière crue.

« Avez-vous des études ? » C’est à vingt reprises au moins qu’à Tout le monde en parle, il demandé à un Bernard Drainville, stoïque pourtant, qu’il voulait balayer du haut de ce savoir que lui confère, en est-il convaincu, son perchoir universitaire. Mais Bouchard n’est pas seulement un faiseux. C’est un faiseux récidiviste.

Il est revenu à la charge dans une lettre à La Presse, dans laquelle il a épuisé en quelques lignes sa réserve hebdomadaire d’épithètes accusatrices. Exigeant la démission de l’ex-ministre porteur de la Charte de la laïcité, pourtant fraîchement réélu, le pontifiant, tel un Cicéron en culottes courtes, a lancé ses anathèmes, profondément convaincu de réécrire les Catilinaires.

« Rôle sinistre… démagogie… intolérance… hypocrisie…amateurisme… déclarations incendiaires et mensongères… opérations déshonorantes… manœuvres duplessistes… malhonnêteté… abus de confiance… imbécillité… violation du droit… gâchis… » On se retient d’ajouter : Un chausson aux pommes avec ça ?

Parlant de faiseux, il y en a deux autres qui continuent de sévir dans les pages de La Presse. André Pratte, qui s’est autoproclamé guide du peuple sur la voie fédéraliste, nouveau Moïse conduisant le sien dans le Sinaï.

Président de l’Idée fédérale, groupuscule voué à la défense et à l’illustration de l’assujettissement du Québec, il avait jusqu’à tout récemment comme directeur de recherche un certain Martin Coiteux. Un smatte celui-là.

L’autre, c’est Alain Dubuc, champion du rapetissement du Québec. Une récurrence chez lui. D’ordinaire dans le champ économique. Mais, comme récemment, il lui arrive de fouler le champ politique et d’amalgamer Drainville, Janette Bertrand et Marine Le Pen. Une croix gammée avec ça, peut-être ?

Mais il y a aussi des faiseuses.

À ce chapitre, elles sont plusieurs à s’illustrer, à commencer par Denise Bombardier, dont on sait la très haute opinion dans laquelle elle se tient. Elle partage avec Gérard Bouchard d’habiter un Olympe élitiste, d’où on jette sur un peuple qui parle si mal sa langue un regard méprisant.

En 2013, quelques mois après les élections, elle déplorait qu’on ait eu « la peau des Libéraux » et qu’un vrai premier ministre, Jean Charest, ait été victime « du populisme qui triomphe dans les médias ». Les Québécois n’étaient pas dirigés par des adultes, clamait-elle.

N’oublions pas non plus Christine St-Pierre, qui veut prendre le bâton du pèlerin pour rétablir, sur le plan international, « l’image du Québec ternie par la Charte ». Rien de moins !

Davantage portée sur les campagnes du bon parler français que sur la protection de son statut, elle avait lancé en 2008 un « concours d’écriture qui célèbre la langue française ».

Accusant le conteur Fred Pellerin d’être un partisan de la violence pour avoir soutenu les carrés rouges, elle avait mis une semaine avant de s’excuser, du bout des lèvres cependant. Une vraie faiseuse, quoi !

Rien à ajouter, enfin, sur Lysiane Gagnon, grande faiseuse de son état, qui ne soit déjà su.

Mais ce qu’il faut surtout retenir des faiseux et des faiseuses, c’est que leur suffisance finit par obscurcir leur raisonnement et devient le principal fondement de leurs opinions.

Pour comprendre Gérard Bouchard et ses charges fulminatoires, il faut se rappeler que Pauline Marois avait dit de son rapport qu’il traitait de l’identité à la manière d’Elvis Gratton. Ce qui avait provoqué un effet de toge remarquable de son frère Lucien : « Elle a traité mon frère d’Elvis Gratton ! »

Bouchard, un faiseux, n’a jamais oublié cet affront …