Affaire Harkat : la Cour suprême appuie Stephen Harper dans sa lutte antiterroriste

2014/05/20 | Par Rose St-Pierre

Le 14 mai dernier, le plus haut tribunal du pays a rendu une décision attendue concernant la constitutionnalité du système de certificat de sécurité tel que proposé par le gouvernement conservateur. La Cour a validé le nouveau régime en place depuis 2008 et considère qu’il n’enfreint aucun droit fondamental assuré par la Charte des droits et libertés.

Ce jugement s’inscrit dans la bataille judiciaire opposant Mohamed Harkat, un Algérien soupçonné d’être un agent dormant du groupe terroriste Al-Qaïda, au gouvernement canadien. Le réfugié canadien a été arrêté à Ottawa en décembre 2002 en vertu d’un certificat de sécurité. Il sera ensuite détenu sans accusation pendant un peu plus de trois ans avant d’être assigné à résidence et de devoir porter un bracelet de sécurité pendant 7 ans. En 2012, Mohamed Harkat conteste le certificat de sécurité dont il fait l’objet et porte sa cause en Cour suprême.

En place depuis 1978, les certificats de sécurité permettent au gouvernement d’expulser ou d’emprisonner un non-citoyen canadien s’il est soupçonné de représenter une menace pour la sécurité du pays.

Contrairement à une procédure d’expulsion traditionnelle, ce système utilisé pour lutter contre le terrorisme permet au gouvernement et aux tribunaux de garder les détails de la preuve secrète. Le non-citoyen soupçonné de menace à la sécurité nationale sera arrêté et jugé sans avoir accès à la preuve complète retenue contre lui.

Il devient donc ardu sinon impossible pour l’accusé de préparer efficacement sa défense. Si la Cour décrète que le mandat de sécurité est justifié, l’accusé peut être renvoyé dans son pays d’origine sans appel.

Cette procédure peut avoir pour conséquence de renvoyer une personne à la torture ou à la mort sans que cette dernière ait la possibilité de savoir sur quelle base elle a été accusée.

En 2007, la Cour suprême déclarait inconstitutionnelles certaines dispositions de ce système, dont l’absence de divulgation de la preuve. Le gouvernement fédéral disposait d’un an pour modifier la loi.

En octobre 2007, le gouvernement conservateur de Stephen Harper présentait un projet de loi inspiré du système américain et britannique censé répondre aux recommandations de la Cour : on y proposait l’instauration d’un « avocat spécial ».

L’avocat spécial désigné par le juge doit défendre les intérêts de l’accusé tout en étant limité par des pouvoirs restreints. Il tentera de défendre la personne inculpée en interrogeant la validité de la preuve, en obtenant que des renseignements soient rendus publics et en contre-interrogeant des témoins.

L’avocat aura accès aux renseignements confidentiels entourant l’accusation, mais au moment où il prendra connaissance de cette preuve, l’avocat spécial ne pourra plus entrer en communication avec son client.

En vertu de cet amendement, l’accusé a aussi accès à un court exposé de la preuve, restreint pour cause de sécurité d’État et de protection des sources.

C’est cet amendement proposé par le gouvernement Harper que le plus haut tribunal du pays a validé le 14 mai dernier. Cette décision est déjà contestée par des spécialistes et des groupes de droits de la personne, qui estiment que cette nouvelle loi ne respecte toujours pas les garanties juridiques assurées par la Charte canadienne.

Les certificats de sécurité s’inscrivent dans les nouveaux pouvoirs spéciaux institués par les gouvernements successifs depuis septembre 2001. Au nom de la sécurité nationale et de la lutte antiterroriste, les gouvernements et les tribunaux disposent de mesures exceptionnelles entrevues comme des menaces aux droits fondamentaux par plusieurs défenseurs des droits de la personne.

Dans le cas du jugement Harkat, la Cour a statué que la protection de la sureté du pays est prépondérante aux garanties juridiques inscrites dans la constitution. Une personne soupçonnée de terrorisme n’aura pas des droits et un procès semblable à n’importe quel Canadien.

L’avocat de Mohamed Harkat s’inquiète que la justice canadienne ne devienne maintenant un système à deux vitesses.

Depuis septembre 2001, la fragilisation des droits fondamentaux au profit de la sécurité nationale est un débat coutumier s’étendant à tous les pays faisant de la lutte antiterroriste.

À ce titre, en juin 2013, plusieurs Américains ont été indignés de découvrir que l’Agence de sécurité nationale (NSA) a été autorisée à recueillir des renseignements personnels de tous les citoyens entretenant des conversations avec une personne d’un autre pays, notamment en consultant leurs courriels et des échanges sur Skype ou Facebook.

Là aussi, la constitutionnalité des pouvoirs de la NSA a été remise en question.

Ces nouveaux pouvoirs qui permettent aux gouvernements de déroger aux droits fondamentaux fragilisent aujourd’hui la portée de ces présumées garanties universelles inscrites dans les constitutions.