Ottawa a brisé le contrat social de l’assurance-chômage

2014/05/21 | Par Pierre Céré

L’auteur est porte-parole du Conseil national des chômeurs (CNC)

Les données disponibles les plus récentes du programme d’assurance-emploi indiquent que la couverture de ce régime a atteint un plancher historique. Le ratio prestataire-chômeur est à 38,8%, celui basé sur les chômeurs ayant une cessation d’emploi valide est à 53,9% (il était de 63% en 2011).

Pour la même période 2012-2013, Statistiques Canada nous apprend qu’il y a eu une augmentation du nombre de refus à l’assurance-emploi, par rapport à l’année précédente, de l’ordre de 7% pour l’ensemble canadien, et de 12% au Québec.

À décortiquer ces chiffres, on comprend rapidement que plus de la moitié de l’augmentation de ces refus (35 670 sur 69 890) a eu lieu au Québec.

Cette situation a permis au gouvernement fédéral de dégager des surplus dans la caisse de l’ordre de 2 milliards de dollars au cours de cette seule année 2012-2013. Les prévisions sont encore plus généreuses pour 2014, soit 4 milliards.

Rappelons au passage qu’entre 1995 et 2008, Ottawa s’est ainsi accaparé les surplus de 57 milliards de la caisse d’assurance-emploi. Par la suite, le « compte d’assurance-emploi » a été aboli (loi budgétaire de 2010 avec effet rétroactif au 1er janvier 2009) pour être remplacé par un nouveau « compte des opérations d’assurance-emploi », remettant au passage les compteurs à zéro. Admirons l’opération!

Ainsi, tous les gouvernements, qui se sont succédé à Ottawa depuis 25 ans, ont imposé des compressions de toutes sortes à ce régime, malmenant ses fondations et brisant le contrat social d’origine.

En 1990, les Conservateurs de Brian Mulroney imposent des sanctions mais, surtout, retirent l’État du financement de la caisse.

En 1993, ce même gouvernement décide que les travailleurs qui quittent volontairement leur emploi sans justification au sens de la Loi, ou ceux congédiés pour « inconduite », seront dorénavant exclus des prestations de chômage. À ce moment, la couverture du régime, qui était d’environ 85% tombe à 65%.

En 1996, les Libéraux poussent la logique beaucoup plus loin. Est alors votée la plus importante contre-réforme encore jamais vue au régime d’assurance-chômage, qui devient par ailleurs l’assurance-emploi.

L’élément majeur de cette contre-réforme est le resserrement de l’admissibilité. Imposant une nouvelle norme d’admissibilité fixée en heures de travail plutôt qu’en semaines, la barre est considérablement relevée.

L’objectif est clair : exclure les travailleurs et les travailleuses à temps partiel (20% de la main d’œuvre, aux deux tiers des femmes) La couverture tombe sous le niveau de 50% et ne se relèvera jamais au-dessus de ce pourcentage.

En 2012-2013, le gouvernement Harper décide d’une nouvelle contre-réforme qui ajoute au caractère arbitraire, complexe et clairement inéquitable du régime d’assurance-emploi.

Le gouvernement met fin à des mesures (projets-pilotes) qui visaient à aider les régions à haut taux de chômage. Par exemple, on accordait à ces régions cinq semaines supplémentaires de prestations. Cette mesure a été abolie au mois de septembre 2012, une coupure de 170 millions de dollars.

Les deux pièces maitresses de cette contre-réforme sont :

- L’abolition des tribunaux administratifs depuis le 1er avril 2013 et leur remplacement par une nouvelle structure, appelée Tribunal de la sécurité sociale, dont tous les dossiers sont centralisés à Ottawa.

Un seul commissaire nommé par le gouvernement – presque tous d’anciens candidats conservateurs – avec de nombreux pouvoirs discrétionnaires (par exemple, fermer un dossier jugé sans cause ou rendre une décision sur la seule foi du dossier).

Avant de faire appel à ce Tribunal, il y a un nouveau passage obligé, celui du dépôt d’une révision administrative, sans avoir accès au contenu de son dossier, sinon en passant par la Loi d'accès à l'information, qui exige un délai minimum de 60 jours, alors que la demande de révision doit être déposée dans les 30 jours. La maison de fous!

- Les prestataires de chômage sont dorénavant divisés en trois catégories distinctes, ne possédant pas les mêmes droits, ni relevant des mêmes obligations. Ainsi, il y a les « travailleurs de longue date », les « prestataires fréquents » et les « prestataires occasionnels ».

Ce sont les prestataires fréquents qui sont les premiers visés par ces mesures, et cela nommément et sans ménagement.

Rappelons ici un certain nombre de faits. Les « prestataires fréquents » représentent 23,6 % des demandeurs de prestations au Canada, très majoritairement des saisonniers. Plus de 38% des demandeurs saisonniers d’assurance-emploi sont Québécois.

De façon générale, l’Est du Canada (Québec et les provinces atlantiques) totalise plus de 70% des prestataires dits fréquents.

Avec ces nouvelles catégories, on redéfinit ce qu’une personne en chômage doit chercher comme type d’emploi, à quel plancher salarial, à quelle distance de sa résidence, etc.

Les prestataires fréquents, par exemple, ne peuvent plus exiger de chercher de l’emploi dans leur domaine d’expérience. Au cours des 6 premières semaines, ils doivent ouvrir leur recherche à une « occupation semblable » à 80% du salaire précédent.

À partir de la 7e semaine, ils devront définir leur disponibilité en fonction de tout emploi qu’ils sont capables de faire et à un plancher salarial de 70%.

Tout cela dans un contexte de gestion mesquine contre les prestataires de l’assurance-emploi : système de quotas, enquêtes sélectives, délais administratifs sans fin, etc.

Mener une lutte contre cette réforme, c’est mener une lutte contre un gouvernement qui s'attaque aux droits fondamentaux de ses citoyens. C’est rappeler aussi qu’Ottawa ne respecte plus, depuis déjà de nombreuses années, la mission même d’un régime d’assurance-chômage, soit d’assurer une sécurité économique à ceux et celles d’entre nous qui se retrouvent en situation de chômage.

La gestion de l’assurance-emploi étant devenue une véritable maison de fous, cela impose de grands changements, sinon une reconstruction complète.

Le Conseil national des chômeurs (CNC) soutient un projet qui en devient un de société : le Québec doit devenir le maître d’œuvre de ce programme social.

Nous sommes de plus en plus nombreux à y croire et la période actuelle nous laisse du temps pour réfléchir, étudier et définir les paramètres futurs d’un tel programme québécois.