Postfaces de Micheline Lachance

2014/05/30 | Par Micheline Lachance

Avec la collaboration de Pierre Godin

Au-delà de son côté carnavalesque — casseroles, manifs nocturnes festives, défilés d'étudiantes aux seins nus — le Printemps érable, c'était d'abord la répression. Je n'en soupçonnais pas l’ampleur avant de lire Un Printemps rouge et noir que signent des témoins de la révolte étudiante contre la hausse des frais de scolarité de 75 % décrétée par le gouvernement Charest, en 2012.

Durant ces mois ténébreux, le Québec n’eut rien à envier aux régimes despotiques qui écrasent les libertés démocratiques. Des jours sombres où il suffisait d’épingler le carré rouge par solidarité avec les étudiants pour être sanctionné par les tribunaux ou pis, se faire tabasser ou poivrer par les policiers qui arrêtèrent... 3 509 étudiants et badauds.

Des jours sombres où des « juges politiques » massacraient les libertés d’expression et de manifestation en faisant pleuvoir sur les étudiants une pluie d’injonctions trop abusives pour se mériter le respect. L’une ordonnait aux établissements scolaires d'appeler la police pour forcer le retour en classe.

Des jours sombres où un Jean Charest éreinté par la « politique de la rue », comme il disait, sombra dans la répression la plus féroce, faisant voter la loi 12 pendant la nuit. Une « loi spéciale » si antidémocratique que la population lui opposa des concerts de casseroles quotidiens.

Alors que les Nations Unies s’alarmaient, le Barreau du Québec, la Ligue des Droits et Libertés, l’Association canadienne des libertés civiles et Amnistie internationale condamnaient cette loi qui ternissait à jamais le blason de Jean Charest. Comme celui de Pierre Trudeau souillé par l’infâme loi des mesures de guerre d’octobre 1970.

Au final, ce ne fut pas cette triple répression — policière, judiciaire et législative — qui cassa la grève, mais les élections du 4 septembre 2012. Confortés par la promesse de Pauline Marois de geler la hausse des frais de scolarité, les étudiants firent la trêve.

Hélas ! ils seraient déçus des péquistes qui, une fois élus, tournèrent la veste et optèrent pour l’indexation plutôt que le gel.

Un Printemps rouge et noir, collectif d’auteurs dirigé par Marcos Ancelovici et Françis Dupuis-Déri, Écosociété, 2014.


Bien pris qui croyait prendre

Depuis Expiation, roman qui a propulsé Ian McEwan dans « mon » panthéon de la littérature, je ne rate aucun de ses livres. Son dernier, Opération Sweet Tooth, mérite d'y figurer. À peine a-t-on parcouru dix pages qu'on reconnaît sa façon merveilleuse d'insérer réalité et fiction dans une trame où l'humour britannique côtoie le tragique, sans que celui-ci perde son punch dramatique.

Serena, la brillante espionne du MI5 — légendaire service secret anglais — , risque gros en épiant jusque sur l'oreiller l'écrivain prometteur Tom Haley dont elle apprécie la prose. La mission de cette lectrice boulimique: le détourner des idées révolutionnaires et non conformistes qui menacent l'ordre établi parHis ou Her Majesty depuis les fins fonds de l'Histoire.

Ce faisant, Serena tombe éperdument amoureuse de Tom qui, l'ayant démasquée, la répudie. Pourra-t-il vraiment rayer de sa vie cette envoûtante Mata-Hari intello?

Opération Sweet Tooth, par Ian McEwan, Gallimard, 2014.


La faute à Lord Durham

Ce qui frappe en lisant l'ouvrage de Jean-Claude Germain, c'est le savant alliage d'anecdotes souvent humoristiques et d'analyses percutantes au service de l'histoire.

S'il ressuscite Lord Durham, c'est pour nous démontrer que le mépris du gouverneur anglais a engendré, au Bas-Canada, une génération d'écrivains et d'historiens. « À peine son rapport nous avait-il désignés en 1839 comme un peuple en manque d'histoire et de littérature que la mémoire nous revenait », écrit-il.

Louis Fréchette est l'un de ces hommes de lettres du XIXe siècle qui ont laissé une œuvre aussi remarquable que méconnue. Comme ses compatriotes, l'auteur de La Légende d'un peuple était partagé entre son appartenance américaine et son ascendance européenne.

Le célèbre écrivain américain Mark Twain était son ami, Victor Hugo, dont il fut qualifié de pâle copie, son modèle. Hugo, qui lui réserva, chez lui, place des Vosges, un accueil épouvantable. Croyant avoir affaire à un mendiant, il lui offrit l'aumône...

De passage à Montréal, la « Divine » Sarah Bernhardt que Fréchette admirait aussi lui servit une répartie piquante. Alors qu'il lisait sa poésie devant public, elle l'interrompit, excédée : « Vos vers sont charmants, cher maître, donnez-les-moi, je vous prie, je vous apprendrai à les lire. »

Cet essai biographique nous révèle surtout le conteur que fut Fréchette, dont les Originaux et détraqués ont inspiré les Deschamps et Pellerin d'aujourd'hui.

La double vie littéraire de Louis Fréchette, par Jean-Claude Germain, Hurtubise, 2014.


Vertigineuse plongée

La narratrice du roman de Stéphanie Janicot nous fait traverser le temps et les civilisations, depuis aussi loin que les pharaons de la XVIIIe dynastie (1360 av. J.-C.). En Égypte, où elle est née, on l’appelait Berit. Chez les Hébreux, dont elle guide la longue marche vers la terre promise, elle devient Shlomit, alors que les philosophes grecs, depuis Épicure jusqu’à Platon, la connaissent sous le nom de Sophia, c’est-à-dire la sagesse.

Cette plongée vertigineuse dans la « mémoire du monde » a son maillon surréaliste : c’est qu'elle n'existe pas, cette femme qui déambule parmi les vivants de siècle en siècle.

À l’approche de la vingtaine, elle est devenue immortelle, après avoir avalé sans le vouloir l’élixir d’immortalité inventé par son grand-père.

Pour goûter ce roman, il faut se coller au merveilleux. Se concentrer sur la narration épique des grands moments de l’origine du monde jusqu’à nos jours, sur ses conquérants et ses penseurs célèbres qui, à leur manière, sont aussi devenus des immortels.

La mémoire du Monde, Stéphanie Janicot, Albin Michel, 2013.


Hanté par son passé

D’entrée de jeu, Isabelle Grégoire propulse le lecteur au cœur des activités vengeresses des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Son héros, Victor Mondragon, a immigré dans un village québécois, Sault-au-Galant, un an plus tôt.

S’il jure ne pas avoir de sang sur les mains, il est hanté par les crimes d’une cruauté inégalée qu’il n’a même pas essayé d’empêcher. Pressé de tourner la page, il encourage ses enfants à s’adapter à leur terre d’exil qu’on devine en Beauce.

Mais la cohorte de familles colombiennes dont il fait partie peine à s’acclimater dans ce coin de pays parfois hostile. Car, pour les villageois, ces nouveaux arrivants sont perçus comme une menace.

Ce premier roman de la journaliste traduit bien l’angoisse des réfugiés qui trainent un passé insoutenable et la méfiance des « pures laines » dont l’accueil est généreux, mais les préjugés enracinés. Ici, ce sont les enfants qui en paient le prix, en particulier le petit Émilio, victime d’un traquenard qui chamboule tout le village.

Sault-au-Galant, par Isabelle Grégoire, Québec Amérique, 2014.


La plume qui tue

Directeur d'école à la retraite, Richard Migneault se désole de voir que, dans nos librairies, les polars québécois disparaissent sous l'avalanche de bestsellers étrangers signés Mankell, Ellory ou Connelly. Pour corriger l'injustice, l'insatiable amateur de romans noirs a demandé à 16 écrivains d'ici d'imaginer un crime commis dans la librairie de leur choix.

Chrystine Brouillet, Patrick Senécal et les autres font couler le sang à profusion dans ce recueil de nouvelles si captivant que l'on se surprend à espérer lire bientôt Assassinats dans la salle de rédaction ou Meurtres au ministère de la Culture...

Crimes à la librairie, collectif dirigé par Richard Migneault, Druide, 2014.