Commémoration du Débarquement en Normandie : une vision mythique du rôle des États-Unis

2014/06/06 | Par Nico Hirtt

Par leur accumulation et par leur caractère unilatéral, les commémorations du Débarquement sont en train d’installer, dans la conscience collective des jeunes générations, une vision mythique, mais largement inexacte, concernant le rôle des États-Unis dans la victoire sur l’Allemagne nazie.

L’image véhiculée par les innombrables reportages, interviews d’anciens combattants américains, films et documentaires sur le 6 juin, est celle du tournant décisif de la guerre. Or, tous les historiens vous le diront : le Reich n’a pas été vaincu sur les plages de Normandie mais bien dans les plaines de Russie.

Rappelons les faits et, surtout, les chiffres. Quand les Américains et les Britanniques débarquent sur le continent, ils se trouvent face à 56 divisions allemandes, disséminées en France, en Belgique et aux Pays Bas. Au même moment, les Soviétiques affrontent 193 divisions, sur un front qui s’étend de la Baltique aux Balkans.

La veille du 6 juin, un tiers des soldats survivants de la Wehrmacht ont déjà enduré une blessure au combat. 11 % ont été blessés deux fois ou plus. Ces éclopés constituent, aux côtés des contingents de gamins et de soldats très âgés, l’essentiel des troupes cantonnées dans les bunkers du Mur de l’Atlantique.

Les troupes fraîches, équipées des meilleurs blindés, de l’artillerie lourde et des restes de la Luftwaffe, se battent en Ukraine et en Biélorussie. Au plus fort de l’offensive en France et au Benelux, les Américains aligneront 94 divisions, les Britanniques 31, les Français 14. Pendant ce temps, ce sont 491 divisions soviétiques qui sont engagées à l’Est.

Mais surtout, au moment du débarquement allié en Normandie, l’Allemagne est déjà virtuellement vaincue. Sur 3,25 millions de soldats allemands tués ou disparus durant la guerre, 2 millions sont tombés entre juin 1941 (invasion de l’URSS) et le débarquement de juin 1944. Moins de 100 000 étaient tombés avant juin 41. Et sur les 1,2 millions de pertes allemandes après le 6 juin 44, les deux tiers se font encore sur le front de l’Est.

La seule bataille de Stalingrad a éliminé (destruction ou capture) deux fois plus de divisions allemandes que l’ensemble des opérations menées à l’Ouest entre le débarquement et la capitulation. Au total, 85 % des pertes militaires allemandes de la deuxième guerre mondiale sont dues à l’Armée Rouge (il en va différemment des pertes civiles allemandes : celles-ci sont, d’abord, le fait des exterminations opérées par les nazis eux-mêmes et, ensuite, le résultat des bombardements massifs de cibles civiles par la RAF et l’USAF).

Le prix payé par les différentes nations est à l’avenant. Dans cette guerre, les États-Unis ont perdu 400 000 soldats, marins et aviateurs et quelques 6 000 civils (essentiellement des hommes de la marine marchande). Les Soviétiques quant à eux ont subi, selon les sources, 9 à 12 millions de pertes militaires et entre 17 et 20 millions de pertes civiles. On a calculé que 80 % des hommes russes nés en 1923 n’ont pas survécu à la Seconde Guerre Mondiale. De même, les pertes chinoises dans la lutte contre le Japon – qui se chiffrent en millions – sont infiniment plus élevées – et infiniment moins connues – que les pertes américaines.

Ces macabres statistiques n’enlèvent bien évidemment rien au mérite individuel de chacun des soldats américains qui se sont battus sur les plages de Omaha Beach, sur les ponts de Hollande ou dans les forêts des Ardennes. Chaque GI de la Seconde guerre mondiale mérite autant notre estime et notre admiration que chaque soldat russe, britannique, français, belge, yougoslave ou chinois.

Par contre, s’agissant non plus des individus mais des nations, la contribution des États-Unis à la victoire sur le nazisme est largement inférieure à celle que voudrait faire croire la mythologie du Jour J. Ce mythe, inculqué aux générations précédentes par la formidable machine de propagande que constituait l’industrie cinématographique américaine, se trouve revitalisée aujourd’hui, avec la complicité des gouvernements et des médias européens.


Alors, bien que désormais les cours d’histoire de nos élèves se réduisent à l’acquisition de « compétences transversales », il serait peut-être bon, pour une fois, de leur faire « bêtement » mémoriser ces quelques savoirs élémentaires concernant la Seconde Guerre mondiale :

  • C’est devant Moscou, durant l’hiver 41-42, que l’armée hitlérienne a été arrêtée pour la première fois.
  • C’est à Stalingrad, durant l’hiver 42-43, qu’elle a subi sa plus lourde défaite historique.
  • C’est à Koursk, en juillet 43, que le noyau dur de sa puissance de feu – les divisions de Pantzers – a été définitivement brisé (500 000 tués et 1000 chars détruits en dix jours de combat !).
  • Pendant deux années, Staline a appelé les Anglo-Américains à ouvrir un deuxième front. En vain.
  • Lorsqu’enfin l’Allemagne est vaincue, que les Soviétiques foncent vers l’Oder, que la Résistance – souvent communiste – engage des révoltes insurrectionnelles un peu partout en Europe, la bannière étoilée débarque soudain en Normandie...


L'auteur est enseignant, écrivain (auteur de « L’école prostituée », éd. Labor)
Source : www.globalresearch.ca, juin 2004