Le retour des mini-centrales: un projet controversé

2014/06/09 | Par Rose St-Pierre

Le 21 mai dernier, à l’occasion de son discours inaugural, Philippe Couillard fait part de la volonté des libéraux de relancer la construction de petites centrales hydroélectriques au Québec, un projet loin de faire l’unanimité.

Le programme de mini-centrales permet à une municipalité, une MRC ou une communauté autochtone et un promoteur privé de s’associer et de partager les redevances de la construction d’une petite centrale sur leur territoire.

L’objectif n’est pas de fournir en électricité la région, puisqu’elle est déjà reliée au réseau d’Hydro-Québec, mais de la vendre au réseau public. Hydro-Québec assure le transport, la distribution et l’emmagasinement.

À l’hiver 2013, l’ex-ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, met fin au programme de centrales hydrauliques de moins de 50 MW et décommande six projets. Québec soutient alors que l’annulation permettra d’économiser 24 millions de dollars par année, en évitant des pertes importantes en situation de surplus énergétique.

Un an plus tard, le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec consolide la position du gouvernement en place. En effet, les commissaires qui avaient à se pencher sur les grands axes de la future politique énergétique suggèrent de cesser tous les contrats en petite hydraulique.

Le rapport fait état de nouveaux facteurs qui forcent la révision des stratégies énergétiques : d’abord, l’avènement des technologies d’extraction de gaz et de pétrole de schiste qui font baisser le prix de l’hydroélectricité québécoise sur les marchés étrangers.

Ensuite les surplus d’électricité de 30 TWh par année d’Hydro-Québec qui se poursuivront sur 15 ans. Ces surplus obligent la société d’État à exporter l’électricité en période hors pointe à des prix inférieurs au coût de production, des pertes qui s’élèveront à 1,2 milliard par année en 2017 selon les commissaires.

Actuellement, le budget Leitão prévoit le retour de six projets de mini-centrales. Les orientations en matière de nouveaux projets seront annoncées dans la future politique énergétique du gouvernement.

En chambre, le premier ministre et le ministre des Ressources naturelles, Pierre Arcand, ont été questionnés par les groupes d’opposition au sujet de la relance d’un projet à perte alors que le gouvernement parle de rigueur budgétaire.

Philippe Couillard explique que les mini-centrales ont un impact tarifaire inférieur à l’achat de la production éolienne. L’effet sur les tarifs, d’après les libéraux, n’est que de 0,2 %. Pour le premier ministre, la relance de la petite hydraulique permettra aux régions de s’enrichir, de lutter contre l’exode rural, garantira la création d’emplois en plus d’assurer aux communautés autochtones impliquées des bénéfices financiers. Le ministre Pierre Arcand a décliné notre demande d’entrevue.

Dany Rousseau, directeur des communications pour la Fédération québécoise des municipalités

(FQM), soutient que « les mini-centrales sont de très bons leviers de développement économique, d’excellents projets qui exploitent une énergie verte et renouvelable. Ce sont aussi des projets qui profitent à nos communautés et non à des entreprises étrangères ».

Les redevances perçues par la ville sont ensuite investies dans le développement économique local. « Actuellement, les revenus des municipalités dépendent à 70 % de la taxe foncière et c’est difficile d’augmenter ces frais. Dans les petites municipalités, ces projets ont un effet de levier très important. »

Pour la FQM, il faut aussi remettre les conséquences sur le patrimoine naturel et l’industrie touristique en perspective. « Ce sont des projets qui sont passés par le BAPE, des étapes qui assurent le respect de l’environnement et du patrimoine ».

Au sujet des suppléments énergétiques, la Fédération croit que l’estimation est « largement exagérée : c’est 1,4 % des ventes d’Hydro-Québec annuelles. Avec l’hiver rigoureux qu’on a observé cette année aux États-Unis, la société d’État a pu vendre ses surplus avec de très bons bénéfices. »

Les surplus permettraient de fournir suffisamment d’énergie pour les producteurs serricoles ou encore pour l’implantation d’une nouvelle aluminerie au Québec.

Alain Saladzius, cofondateur de la Fondation Rivières, dénonce le retour du programme de mini-centrales, suspendu à trois reprises dans le passé. « On a identifié des lacunes en terme environnemental, en terme d’équité sociale et certains enjeux économiques préoccupants. »

L’installation d’une petite centrale oblige le détournement des rivières par des tuyaux, ce qui occasionne l’assèchement de tronçons de cours d’eau. La construction détériore aussi le patrimoine naturel de ces sites et engendre des conséquences dans le domaine récréotouristique.

À Shannon, la mini-centrale risque de devenir un obstacle à la migration du saumon dans la rivière Jacques-Cartier. Le projet de Rivière Sainte-Anne-du-Nord inquiète également la Fondation Rivières, parce qu’il est situé près du Canyon Sainte-Anne, « un site majestueux avec des chutes de 75 m de haut ».

Alain Saladzius souligne le manque d’équité entre les municipalités. « Ces projets profitent uniquement aux régions ou aux municipalités qui bordent ces rivières avec un potentiel hydraulique suffisant ».

L’enjeu économique est également préoccupant pour l’organisme qui se porte à la défense de rivières menacées. « L’exploitation de ces centrales occasionne des pertes importantes pour Hydro-Québec et pour tous les Québécois ».

La Fondation Rivières estime la création d’emploi à 1 ou 2 postes de contrôleurs qui travailleront à distance et possiblement un gardien sur place et une petite équipe d’entretien.

Au niveau éthique, la Fondation surveillera de près le processus d’appels d’offres, puisque plusieurs promoteurs contribuaient déjà, dans les années 1990, à la caisse du Parti libéral.

C’est le cas du groupe AXOR, actuellement impliqué dans trois projets de mini-centrales, qui a plaidé coupable en 2010 à plus de quarante infractions à la loi électorale concernant des dons versés à des partis politiques par des prête-noms. Le Parti libéral avait reçu de la firme 113 500 $.

La firme BPR a également fait l’objet d’enquêtes pour des appels d’offres non conformes dans le dossier de Shannon, de Val-Jalbert et de Sainte-Ursule, où les contrats ont été accordés sans respect des règles d’appels d’offres.

La Coalition avenir Québec s’oppose au retour des mini-centrales, un projet perdant d’un point de vue économique. « Pourquoi créer des mini-centrales qui coûteront plus cher à produire l’électricité qu’on a déjà? » Comme les municipalités n’ont pas besoin de l’énergie produite par les mini-centrales, il s’agit plutôt, pour Gérard Deltell, « d’une subvention accordée à la ville pour qu’elle mette en place d’autres projets, c’est une subvention déguisée et non du développement économique ».